Un nouveau sursaut de vie bloggique, avec une nouvelle historiette! Et oui! Parce qu'on a tous des trucs dans la tête dont à honte, et qui hanteront à jamais jusqu'à nos vieux jours (au moins, nous n'entendrons plus grand chose!)...
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"Vous aviez cru pouvoir y échapper. Vraiment, vous y aviez cru de toute votre âme. Cru à la force de votre mental d’acier en la question, cru qu’il vous serait à jamais impossible d’y être sujet. Vous viviez alors le cœur léger, les épaules droites et les oreilles frétillantes, insouciant du drame qui allait s’abattre sur vous avec la force d’une chanson de supermarché crachée par des haut-parleurs dernier cri. D’ailleurs, vous n’oserez plus jamais mettre les pieds dans un supermarché, de crainte de succomber à des tentations que vous pensiez jusqu’à aujourd’hui inexistantes. Maintenant, entre les rayons électronique et musique, vous ne serez plus jamais tranquille, trimballant avec vous ce lourd secret comme un poids mort et faisandé. Vous vous imaginez déjà frôler les étagères avec le col relevé d’un imper pour cacher votre visage, de grosses lunettes noires et un chapeau mou enfoncé sur le crâne. Vous serez telle une star déchue, atteinte du dernier mal à la mode, celui qui vous ronge les entrailles, vous vrille les tympans et dont la nausée qui y sera à jamais associée vous empêchera de dormir tranquillement dans votre lit la nuit, assis en sueur au milieu des couvertures et fixant le plafond avec l’énergie du désespoir, des fois qu’il vous tomberait sur le coin de la pomme pour mettre fin à une existence de douleur.
Mais le plafond ne tombe pas malgré la tâche d’humidité causée par le nouveau voisin du dessus ayant inondé sa salle de bain. L’appartement au-dessus du vautre est si vétuste et pourri de l’intérieur qu’il ferait passer une cave préhistorique comme le nec plus ultra du luxe et du confort, et les légendes se répandent dans l’immeuble depuis toujours sur les horreurs insondables qui se cachent dans les murs du 34B. Personnellement, vous pariez pour une colonie de rats géant, le fantôme d’un serial-killer ou paquet d’œufs oublié dans un placard caché et périmé depuis 1995 au moins (aussi bien les œufs que le bois du placard). Toujours est-il que les propriétaires de l’immeuble ne se sont jamais donné la peine d’y remédier et se contentent de le louer à bas pris à de pauvres innocents fauchés, crédules ou désespérés (ou les trois, mais dans ce cas on appelle cette personne un étudiant) qui se succèdent régulièrement, souvent rapidement vaincu par l’appartement maléfique. Vous êtes capables de dire quand un nouveau naïf a emménagé même sans jamais l’avoir croisé pour la simple bonne raison qu’il sera tout bonnement incapable de faire fonctionner la salle de bain sans l’inonder au moins une fois, piégé par les canalisations hantées. D’où la tâche d’humidité qui s’étend régulièrement sur le plafond de votre chambre à chaque nouveau locataire maudit. La gérance de votre immeuble étant reconnue pour agir à peine moins rapidement que l’écart des plaques tectoniques entre continents ou la fonte des glaces, vous avez fini par vous habituer au phénomène et dormez dans le salon lorsque vous entendez les tuyaux glouglouter de manière funeste, signe d’un nouvel arrivant dans la maisonnée. Mais en cet après-midi ensoleillé de début de printemps, vous avez autre en tête que de vous préoccuper de dégâts des eaux supplémentaires. Vous souffrez bien trop pour cela, abattu par la tragique nouvelle que vous venez enfin de réaliser ; avoir mis un nom sur ce mal qui vous minait depuis quelques jours ne vous aide même pas, bien au contraire…
Ne tenant plus en place, vous vous levez de votre vieux canapé d’occasion, une épaisse couverture sur les épaules tandis que, pieds nus, vous essayez de ne pas trébucher sur les jambes de votre vieux peignoir vert et élimé. Marchant dans l’obscurité ambiante, vous vous arrêtez devant la fenêtre du séjour et en tirez juste un peu les épais rideaux, laissant entrer de très minces rayons lumineux à travers les lamelles du store. Après avoir ouvert la fenêtre, vous espacez de vos doigts les fameuses lamelles et plissez vos yeux agressés par la lumière du jour. Dehors, il faut chaud, il fait beau, et vous entendriez les oiseaux chanter si seulement il y avait moins de voitures en train de circuler. Ah, que donneriez-vous pas pour entendre à nouveau le gai gazouillis des moineaux et des hirondelles sous vos fenêtre, leur fraîche mélodie baignant vos oreilles fatiguée d’une véritable ode à la nature, simple et pure. Mais plus jamais vos oreilles ne résonneront du chant des oiseaux ou des rires des enfants en train de courir sur le trottoir… Vous suivez des yeux des gosses en train de jouer en contrebas, vous regardez deux grands-mères pousser leur chariot de course en discutant joyeusement, vous repérez ces étudiants qui rirent en trainant des pieds. Des imbéciles, tous, heureux dans leur ignorance, se complaisant dans leur petit traintrain quotidien, imperméables à tout ce qu’il y avait de plus vil et ignoble en ce monde. Comme vous les enviez, ces insouciants, ces bienheureux, ces ignorants !
Maugréant entre vos dents, vous refermez la fenêtre et tirez à nouveau les rideaux, clignant des yeux pour les réhabituer à nouveau à la pénombre qui serait désormais votre quotidien, indigne que vous êtes de marcher à nouveau dans la lumière. Vous entendez encore la voix de votre chère et tendre ce matin, vous atteignant à travers les trois couvertures jetées sur votre tête, essayant de vous tirer de votre torpeur née du malheur, essayant de vous persuader que quelle que soit l’affliction qui vous ronge, vous dramatisiez. Pourquoi est-elle si persuadée que le drame est dans votre nature, vous qui n’êtes plus que l’ombre de vous-même, pathétique petite chose fragile et à jamais avilie ? La situation actuelle n’a rien à voir avec la fois ou, découvrant qu’une grande marque de l’alimentation décidant d’arrêter de produire vos yoghurts préférés (vous auriez dû vous en douter, pourtant, que « bananes-carottes » ne marcheraient pas longtemps), vous aviez passé la journée sous le choc de la triste nouvelle, en peignoir toujours et un bac de glace sur les genoux, vous lamentant sur le bon goût qui jamais plus ne flattera vous papilles. Non, vraiment, vous ne comprenez pas votre aimée ; le drame n’est pas de votre ressort, et vous n’êtes certes pas prêt à le gonfler quand il se montre déjà si cruel avec vous. Alors elle vous a laissé seul, prétextant on travail qui l’attendait, mais vous ne voyez plus comment la moindre tâche peut avoir son sens dans un monde où une chose aussi terrible que ce qui vous touche peut se produire. Vous n’avez réussi à écrire la moindre ligne depuis votre réveil, convaincu que toute volonté de créer sera à jamais annihilée, balayée par l’horreur qui résonne encore à vos oreilles, qui jamais ne quitte votre esprit, qui vous tourne dans la tête encore et encore, sans cesse, sans merci ni pitié… Tandis que vous vous dirigez à nouveau vers le canapé, vous entendez votre pantoufle –trainant sur seul- feuler ; caché à l’intérieur, petit chat exprime son mécontentement à l’encontre du chihuahua de la voisine d’en face que vous avez accepté de garder le temps d’un long week-end. Guère favorable à la chose, votre félin ne se prive pas de vous le faire comprendre ; presque plus petit que le chien en question, il se cache depuis dans les endroits les plus étroits et improbables, soufflant ou grognant à l’adresse de l’autre bestiole lorsqu’elle vient trottiner dans les parages. Mais vous laissant tomber sur les coussins, vous ignorez les luttes animales qui se déroulent sous vos pieds, et les petites pattes griffues du chien venant gratter votre jambe pour mendier une caresse (tout en donnant l’impression de vouloir plutôt râper du fromage) ne vous distraient pas des idées noires qui flottent dans votre tête de plus en plus lourde...
Pourtant vois aviez toujours lutté, toujours tout fait pour ne pas vous retrouver dans cette atroce situation. Vous faisiez à attention à votre hygiène de vie, vous vous cultivez, vous n’écoutiez pas la radio. Vous sentiez à l’abri, comme barricadé derrière vos certitudes, droit, fier, inébranlable. Vous ne serez pas de ceux qui succombent, vous serez toujours fort, toujours sûr. Les mélodie du mal jamais ne chanteront agréablement à vos oreilles et pourtant, pourtant vous n’avez pas pu l’empêcher. Si vous étiez croyant, vous murmuriez sans aucun doute quelque « Pardonnez-moi mon dieu parce que j’ai pêché ». Vous donneriez même votre âme à Thor, Odin ou un autre ancien dieu oublié du nord pour purger votre corps et votre âme de leur douleur. Et si la femme qui partage votre vie ne peut vous comprendre, c’est parce que vous ne pouvez vous résoudre à l’accabler de cette triste nouvelle, peur de voir son visage se décomposer tandis que vous confesseriez l’insoutenable vérité… Elle aime Pierre Bachelet, Aznavour et Queen, vous aimez Chopin et John Williams. Voilà que votre esprit divague à nouveau, essayant d’invoquer les échos chargés en émotions de tous ces grands chanteurs et compositeur, comme si la musique pouvait laver vos pêchés alors qu’elle est directement responsable de votre malheur. Recroquevillé sur le canapé, les bras serrés autour des genoux, vous vous balancez doucement en chantonnant doucement entre vos lèvres alors que vous devriez hurler à la mort. Mais les notes continuent de vous harceler les tympans, dans votre tête sont gravés au fer rouge les mots honnis et dépourvus de sens. Les mains tremblantes, comme celle d’un drogué en manque, vous vous saisissez du lecteur mp3 où, cédant à votre basse pulsion, vous avez placé l’objet de votre déchéance, la fin de votre humanité, la destruction totale et irrémédiable de ce bon goût dont vous étiez s’y faire. Doucement, comme dans un rêve, vous approchez les écouteurs de vos oreilles, maudissant votre nom et votre faiblesse tandis que les derniers reflets de celui que vous pensiez être fondent comme neige au soleil…
Vous avez une chanson de Rihanna dans la tête, et vous aimez ça."