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Plume de Renard - Page 57

  • Vous, rôliste

     

     

    Quand vous étiez gamin, vous n’étiez pas vraiment du genre à sortir jouer au foot dans la cour. Déjà parce que vous avez toujours eu les réflexes sportifs d’une betterave (et les betteraves, on le sait, ne sont pas des produits très athlétiques), mais surtout parce que vous n’en compreniez pas l’intérêt. Quand il faisait beau et chaud, vous ne voyiez à vrai dire guère d’attrait à l’idée d’aller s’agiter sous un soleil de plomb, de transpirer pour un ballon. C’est ingrat, un ballon, et vous étiez mieux à l’ombre avec un bon bouquin. Ou retranché dans votre chambre à jouer aux légos. Et ce n’était pas en jouant aux légos que vous alliez vous écorcher le genou ou vous faire pousser dans les fourrés (même si on sous-estime les dangers d’une pièce jonchée de pièces de légos lorsqu’on est pieds nus, où la chambre devient un terrible no man’s land hérissée de mines en plastique). Ce qui ne veut pas dire que vous ne sortiez jamais, attention ! Non, quand vous mettiez le nez dehors et que vous y retrouviez vos petits voisins de l’époque, c’était tout simplement pour quelque chose de bien mieux qu’un ballon : c’était pour sauver le monde. Voir même l’univers les jours où vous sentiez tous d’attaque. Le toit du garage d’à côté devenait un paquebot croisant sous un océan de bitume, le gazon derrière l’immeuble était une impénétrable forêt vierge remplie de dinosaures féroces et de ninja arboricoles agressifs (il faut les comprendre : à crapahuter entre les lianes avec un masque étouffant sur la tête, on a de quoi être grognon !), et la moindre barrière un flanc de montagne escarpé au-dessus de la lave bouillonnante. Tour à tour, vos camarades et vous jetaient les grandes lignes d’histoires fantastiques où vous deveniez les héros intrépides luttant contre des adversaires plus nombreux et redoutables les uns que les autres. Enfin, tour à tour le temps d’une petite heure ; après, vous commenciez tous à parler en même temps et vous finissiez par conjuguer tout ce qui vous passait par la tête dans un conte délicieusement absurde, mais quand même bien foutraque ; et oui, vous le rôle de maître du jeu n’était pas quelque chose de connu, à l’époque. Mais le quoi n’avait pas autant d’importance que le comment : comment sauver la terre des méchants soldats ? Comment échapper aux vélociraptors ? Comment traverser l’entier du gazon sans poser un seul pas sur l’herbe…pardon, la marre empoisonnée ? Et franchement, cela valait quand même plus la peine de s’écorcher le genou pour éviter de périr dans de la lave bouillonnante qu’en courant après une balle. Non pas que vous dénigriez le sport, ceci dit ; vous préfériez juste qu’ils arrivent aux autres, et qu’on vous laisse à vos jeux à vous en paix.

    Et puis vous avez grandi (ou plutôt, pris de l’âge, parce que la croissance on repassera). Vous avez continué à lire, mais vous êtes progressivement passé des légos aux manettes de jeux vidéos… et au stylo. Vos aventures ne se passaient plus dehors dans la cour, mais dans les pages des cahiers que vous noircissiez pendant les cours de math. Sortir jouer dehors avec vos voisons n’était plus vraiment d’actualité ; à croire qu’à partir d’un certain âge, courir autour de la maison en agitant une épée imaginaire n’attire plus les mêmes regards attendrissants des gens du coin. Les chasseurs de balles n’avaient pas ce problème, et vous avez plus d’une fois entendu que vous auriez dû vous mettre au foot. Ou au volley. Ou au hockey. Ou a n’importe quelle autre déclinaison improbable d’un groupe de personne courant après un objet ou à un autre. Mais tout le monde n’a pas l’âme d’un sportif (et quant à savoir si tous les sportifs ont une âme, ça, c’est une autre histoire). Bon, encore une fois, vous rappelez que vous n’avez rien contre le sport. Il ne s’agit nullement d’entrer dans le cliché du « pauvre type frêle et délicat plongé dans les livres et son imaginaire et qui, du coup, diabolise le sport par principe ». Non, vraiment, vous n’avez rien contre. Et puis il y a plein de gens dotés d’une imagination débordante et amateurs de livres qui se débrouillent à merveille avec une canne de hockey dans les mains, sur un tatami ou dans l’eau d’une piscine. Non, le truc embêtant, quand on n’est pas sportif –par exemple- c’est qu’on se retrouve finalement avec peu d’alternatives. Il y a plein d’autres choses passionnantes dans lesquelles se plonger, bien sûr, mais elles sont souvent solitaires. Où retrouver, alors, cette sensation d’appartenir à une équipe que peuvent avoir les membres d’un club de football ? Cette possibilité d’interagir avec autrui dans un but commun ? Vous auriez pu faire de la trompette dans un orchestre, mais vous manquez de souffle et vous ne portez pas très bien la casquette.

    Et puis vous avez découvert le jeu de rôles.

    Vous deviez avoir dans les treize ans, cette époque où votre confiance en soi devait creuser pour tomber plus bas ; autant dire que ça ne facilitait pas le fait de devoir courir en short lors d’un cour de gym. A force de lire et d’imaginer des histoires, vous aviez fini par vous demander comment aller plus loin, et c’est alors que vous vous intéressâtes (dieu que c’est moche ; parfois, les subjonctifs sont tout de même les véritables vilains petits canards de la langue française) à ces fameux jeu de rôles. Ni une ni deux, voilà que vous vous être retrouvés avec une boîte d’initiation entre les mains… et autant dire qu’en ôter le couvercle, ce n’était pas comme ouvrir le monopoly. Déjà parce que le monopoly, c’est quand même très surfait et parce qu’il est très difficile de jouer une hypothèque en faisant preuve de role-play (et encore aujourd’hui, vous voyez plus facilement la fin d’une épique campagne de jeu de rôles étalée sur une dizaine de mois que la conclusion d’une partie de monopoly. Et trouvez toujours aussi aberrante cette histoire de cartes « sortie de prison ». Franchement, c’est quoi cette leçon qui nous apprend qu’on peut sortir de taule sur une simple pirouette administrative en carton ? Au moins, dans un jeu de rôles, on apprend à s’en sortir à la dure, en crochetant une serrure ou en défonçant le mur d’un coup bien placé ! C’est quand même nettement plus rigolo). Bref, ouvrir cette boîte, ce fut comme ouvrir une boîte de Pandore ; mais en ne laissant en sortir que des bonnes choses, autant de perspectives d’évasion, d’histoires et de futurs souvenirs. Au fond de la boîte ne restaient que la mauvaise foi, les ballons de foot et ces foutues cartes sorties de prison. A partir de ce moment, vous avez toujours préféré les cartes de la forêt enchantée du comté du nord. Pour quelqu’un comme vous, qui n’aviez donc rien d’un athlète (ou d’un musicien, ou encore d’un membre de jeunesse, tiens), le jeu de rôles représentait alors toute une nouvelle gamme d’opportunités, de rencontres et d’expériences. Cela allait votre goût des histoires à votre recherche de contacts humains qui n’impliquait pas de risquer de recevoir une balle en mousse dans le nez (ou alors, dans certains GN, mais vous n’avez encore jamais fait de GN, vous ne sauriez pas dire). C’était tout simplement un moyen de se réunir entre amis qui consistait en autre chose que de se rassembler par défaut devant un écran de télévision, le moyen d’œuvrer à créer ensemble une histoire et, à partir de cette histoire, autant de souvenirs inoubliables.

    En cela, vous avez eu de la chance, parce que vous avez toujours évolué dans des cercles de gens plutôt ouverts d’esprit, faisant tous quelque part partie du même monde que vous. Jamais vous n’avez été stigmatisé parce que vous étiez plongé dans une telle activité. Votre famille ne s’en est d’ailleurs jamais inquiétée, encourageant même cette occasion de voir leur petit dernier renouer contact avec le monde extérieur. Parce qu’autant le dire tout de suite, vous n’êtes pas du genre sociable (de même que le sport, vous précisez une nouvelle foi que vous ne faites aucune généralité, hein ; de même qu’il y a des rôlistes sportifs, il y a des rôlistes très sociables. Il doit même sûrement exister des rôlistes sportifs, sociables, médecins et pompier volontaires pendant leur temps libre. Ce qui ne vous les rend pas très sympathiques, mais cela n’a du coup plus aucun rapport avec le fait d’être rôliste ou non). Les relations humaines vous laissent la plupart du temps perplexes, et vous êtes aussi à l’aise en société qu’un pingouin à la surface du soleil. Il suffit d’ajouter à cela votre timidité maladive et la fameuse confiance en vous de vos treize ans qui ne vous a jamais vraiment quitté pour faire de vous quelqu’un qui aura sans doute toujours de la peine à aller vers l’autre, à s’intégrer dans un groupe. Mais tous ces inconvénients disparaissent quand vous faites du jeu de rôles. Vous qui vous paralysez d’effroi quand le vendeur de la Fnac essaie de causer de la pluie et du beau temps avec vous, vous êtes capable d’adresser naturellement la parole à un inconnu assis à la même table que vous et de discuter avec lui de tout et n’importe quoi (et, entre rôlistes, de sujets généralement plus intéressants que la météo, même si vous connaissez un halfelin obsédé par les prédictions du temps qu’il va faire). Ces barrières que vous avez sans cesse autour de vous se baissent lors de la pratique du jeu de rôles, et vous permet enfin de vous exprimer, de nouer des liens et de vivre une aventure –au sens propre comme au figuré- avec d’autres personnes réelles plutôt que de vous contenter de lire tout seul dans votre coin. L’espace de quelques heures, vous dépassez vos limites, et vous ne devenez non pas quelqu’un d’autre, mais tout simplement quelqu’un que vous arrivez à comprendre. Bien sûr, le fait de jouer un personnage fictif le temps d’une partie contribue sans aucun doute à lutter contre votre timidité, mais cela ne fait pas de vous un illuminé se prenant pour un vicieux démon avide d’aller effrayer des grands-mères dans la rue ; bien au contraire, à travers un rôle et à travers l’interaction avec d’autres personnes réelles autour d’une table, vous finissez par en apprendre plus sur vous-mêmes et à vous sentir plus à l’aise que jamais. Parce que vous êtes alors entouré de gens très différents aux parcours variés et ayant tous quelque chose  d’unique à apporter et à vous faire découvrir, tout en étant liés par une passion commune. La passion que vous considérez comme la plus noble qui soit : celle des histoires. Et à tous ceux qui s’imaginent que vivre la passion des histoires consiste à se séparer de la réalité, vous leur répondez que c’est au contraire un moyen de mieux l’apprécier. D’en faire le temps d’un jeu un monde fantastique, rempli de souvenirs qui ne rendront que meilleurs les joueurs dans leur vie de tous les jours, enrichis par toutes ces expériences vécues au nom non pas du conflit, de la perte ou du gain, mais de la communauté la plus sincère. Et là, même aux yeux des profanes, le jeu de rôles ne devrait pas être autre chose que ce qu’il est, comme peut l’être la pratique du foot ou le fait de chanter dans une chorale : une activité qui réunit des êtres dotés d’une passion commune et qui leur permet, le temps de quelques instants, de vivre quelque chose ensemble au-delà de ses uniques préoccupations personnelles. Car, au final, il ne s’agit que de passer un bon moment. Il y en a qui, pour s’amuser, quittent leur tenue de travail pour un maillot aux couleurs de leur équipe, et personne ne les accusera jamais de ne pas être fonctionnelles. Personne ne diabolisera le joueur de foot ou le joueur de bridge (et pourtant, les joueurs de bridge peuvent être des gens bizarre). Il devrait en être de même du rôliste.

    Après tout, c’est tout simplement qu’au lieu de chasser le ballon, il préfère chasser le dragon.

  • L'apologie du désespoir

     

     

    Il ne s’agira pas ici de se complaire dans l’auto-apitoiement, ni même de revenir sur tous les soucis qui ont tendance à vous retomber dessus depuis quelques temps comme autant de recouvreurs de dettes sur le mauvais payeur. Non, en fait, il s’agit plutôt d’une nouvelle révélation qui vous a frappé entre les deux il y a quelques heures, tandis que vous vous teniez debout au milieu de la grande pièce principale et quasi-vide de votre futur appartement. Vous deviez être en train d’imaginer un des futurs aménagements possibles de votre premier chez-vous, ou encore de vous demander à quel point cette nouvelle vie en solitaire allait vous changer quand vous vous êtes brutalement aperçu d’une chose : voilà que vous étiez en train de tirer des plans sur la comète, comme à votre habitude. A vous dire que, forcément, cela n’allait que pouvoir être une bonne expérience pleine de chouettes surprises. Qu’à partir de là, le reste de votre vie allait suivre avec armes et bagages pour changer, évoluer et s’améliorer. Une demi-douzaine de scénarios improbables mais ô combien passionnants et agréables avaient déjà traversé votre tête comme autant de TGV la campagne paisible.

     

    Quand tout à coup, une nouvelle pensée soudaine, saisissante, stupéfiante, imposante : pourquoi de telles espérances ?

     

    Vous avez sans doute dû cligner des yeux comme un lapin effarouché avant que votre cerveau ne reparte pour un tour sur cette nouvelle route qui s’offrait enfin à lui. En effet, pour quelle raison tordue étiez-vous déjà en train de mettre si haute la barre de vos attentes ? A penser naïvement que tout ne pourrait que bien se passer et que vous étiez sur le point de gambader sur la route champêtre du bonheur accompagné du chant des petits oiseaux bleus. Tout d’abord, vous avez mis ça sur le compte de votre nature profonde : depuis toujours, vous êtes un grand optimiste. Malgré vos angoisses (nombreuses), vos complexes (légions) et votre manque (légendaire) de confiance en vous, vous n’avez jamais réussi à faire taire totalement cette petite voix en vous qui restait persuadée contre vents et marrées que tout finirait par s’arranger. Que les méchants seraient chassés, que les nuages allaient se dissiper et que vous alliez trouver votre princesse (et, éventuellement, adopter un dinosaure). Même les déprimes les plus noires que vous avez traversées comme autant de tempêtes n’ont jamais totalement submergé la balise flottante, clignotant d’un optimisme certes intermittent mais toujours présent. Cette maudite lueur d’espoir.

     

    Ah, l’espoir, cette qualité humaine si souvent louée, ce parangon de ces petites choses auxquelles s’accrocher quand tout va mal et que le monde dehors est noir, froid, dur et méchant. Cette capacité innée et totalement inouïe à se persuader que quelque chose de bien finira toujours par arriver. Cette lumière au bout du tunnel, cette vérité qui vous attend, ce but souvent insaisissable mais ô combien tentant, ô combien séducteur. Et, à votre avis, ô combien pernicieux. Pourtant, vous avez longtemps cru que l’espoir représentait tout ce dont la vie ne pourrait jamais vous priver. Cette tendance à se dire qu’une fois au fond du trou, on ne peut que remonter. Que ça ira mieux demain, ou la semaine prochaine, voir d’ici dix ans ; cette certitude ancrée en nous qui pousse à nous dire que le temps finit par tout effacer (vous commencez de plus en plus à penser que loin d’oublier, loin de laisser couler, on ne fait qu’accumuler). Que malgré tout ce qui peut vous tomber sur le coin de la pomme, il vous reste cette merveilleuse possibilité de croire en un monde meilleur, que tout pourrait un jour changer, et que vous pourrez enfin aspirer à tous ces rêves qui jadis vous permettaient de tenir. L’espoir, ce merveilleux panacée de l’âme. Et son poison le plus vicieux.

     

    Là où l’espoir vous blesse, c’est lorsqu’il se conjugue à cette imagination débordante dont vous êtes la proie et qui laisse sans arrêt tourner votre cerveau en roue libre. Vous multipliez les scénarios auxquels aspirer, vous vous surprenez à rêver à tant de choses merveilleuses qui pourraient, après tout, bien finir par se produire. Vous vous en bourrez le crâne, vous vous en enivrez jusqu’à relever la tête de votre marasme et de regarder vers ce futur qui vous fait si peur avec une félicité nouvelle ! Autant dire que cela ne fait qu’édifier autant de tours desquelles tomber. A chaque fois, vous ne finissez que par vous y brûler les ailes, à cet espoir. Et pourtant vous y revenez toujours, comme le papillon de nuit à la flamme. Encore et encore, comme une chanson de Cabrel. Et vous vous demandez maintenant si cette capacité que vous avez toujours eue d’espérer et que vous preniez pour une de vos plus grandes forces ne serait pas plutôt une de vos pires faiblesses, un défaut dans la cuirasse si important que vous aviez jusqu’ici occulté son existence. Combien de fois cet espoir, que vous pensiez être la grue qui vous sortait de la dépression et des angoisses, n’a-t-il pas fini par être aussi la raison du prochain plongeon dans la souffrance ? A chaque espoir pourchassé, à chaque espoir imaginé, à chaque espoir que vous avez cru voir se réaliser un jour, vous vous en êtes mordus les doigts. Alors franchement, à quoi bon, hein ?

     

    A quoi bon se dire que les angoisses peuvent disparaître quand elles ne font que s’éloigner de notre champ de vision pour mieux revenir nous frapper dans le dos ? A quoi bon s’imaginer déjà accomplir une tâche particulière quand on ne sait absolument pas si on en sera un jour capable ? Et, surtout, à quoi bon se laisser séduire à nouveau et se prendre à imaginer ce nouveau potentiel de possibilités ? Et de se retrouver, au final, encore une fois à baisser sa garder, à laisser son cœur parler, à se dire que oui, cette fois-ci, cette personne pourrait être la bonne, quelque chose pourrait se passer, tout pourrait arriver… pour être à nouveau rejeté, loin de cette mer des possibles, sur le rivage comme une vieille chaussure noyées. Une fois de plus. Franchement, ça commence sérieusement à vous fatiguer, plus que toute autre chose. Se heurter une fois de plus à l’inaccessible, rendu d’autant plus douloureux par cette maudite capacité à imaginer, rêver et espérer. Se heurter de nouveau à un panneau sens unique, en quelques sortes. Et, à nouveau, se lamenter sur cet espoir perdu et ces rêves qui ne resteront que des rêves. Ah, se passer de ces rêves ! De ces rêves qui vous tombent dessus la nuit en vous projetant non pas dans un univers fantastique rempli de dragons  ou dans un de ces univers loufoques dépourvus de sens, mais qui se contentent de vous faire vivre, le temps d’une nuit, une version légèrement différente de votre vie de tous les jours. Une version meilleure, où vous vivez ce que vous ne pouvez obtenir et qui rend le réveil d’autant plus difficile. Vous en avez marre de rêver votre vie en mieux (et vous regrettez amèrement l’époque où vous rêviez plutôt de combattre dans la forêt les méchantes sorcières armées de hache en compagnie de Morgan Freeman ; ou quand vous chassiez le vélociraptor à vélo…). Et vous finissez par envier ceux qui de leurs rêves ont tiré des croyances. Au point de regretter vous-mêmes de ne pas être du bois dont on fait les religieux. D’être privé d’une telle certitude, d’un tel espoir d’une vie meilleure, aussi irrationnel puisse-t-il être. Et si vous en arrivez là, c’est que vous ne savez vraiment plus quoi faire de tout cet espoir qui persiste en vous.

     

    Alors au fond, à côté de cet espoir si présent mais en même temps insaisissable, improbable ou imprévisible, vous êtes en train de subir l’attrait soudain du désespoir. Mais pas dans le sens chargé de pathos du mot, où l’on imagine le pauvre être frappé du fatal désespoir recroquevillé sur le sol en position fœtale et pleurant toutes les larmes de son corps. Non, par désespoir vous entendez simplement l’absence d’espoir. Nul apitoiement, nul découragement, mais nulle attente non plus. Une philosophie de l’instant extrême où les rêves les plus fous n’ont plus leur place, et ce même lorsqu’ils pourraient très bien se réaliser. Après tout, on ne sait jamais de quoi demain sera fait, alors pourquoi s’entêter à l’imaginer sans cesse meilleur ? Pourquoi ne pas se contenter tout simplement de l’attendre sans espoir ? Juste de l’attendre. Et de voir ce qu’il réserve quand ça nous arrive. Si c’est quelque chose de bien, tant mieux : profitons de cette agréable surprise. Et si le lendemain reste difficile, et bien on le gérera comme on a géré tous les précédents. Pas d’espoir, pas de perte. Ce qui ne veut pas dire qu’il faut s’attendre au pire : abandonner l’espoir ne signifie pas automatiquement succomber à son contraire. Vous, vous voyez plutôt tout cela comme une manière de prendre les choses comme elles viennent.  Sans s’épuiser à se réjouir inutilement, sans se perdre en conjectures, sans  imaginer autant de belles choses qui, lorsqu’elles ne se produisent pas, ne peuvent que vous enfoncer encore plus.

     

    Et vous en avez carrément ras le bol de vous faire enfoncer, un espoir après l’autre. A quoi bon, encore une fois. Ne serait-il pas plus reposant, plus logique de ne s’attendre à rien ? Et de s’abandonner, enfin, à cette apologie du désespoir –dans le sens, encore une fois, de l’absence d’espoir sans pour autant sombrer dans la crise de larmes? Après tout, côté crises de larmes, n’est-ce pas ce fichu espoir si profondément ancré en vous qui a tendance, depuis quelques temps, à vous y précipiter n’importe quand n’importe où ? Vous commencez à penser que oui. Une fois de plus, vous vous y êtes laissé piéger. Peut-être que cette révélation n’est qu’un nouveau stratagème de défense établi par votre esprit pour tenter de préserver. Peut-être êtes-vous totalement à côté de la plaque. Quoi qu’il en soit, en ce moment, vous êtes fatigué d’espérer.

     

    Au final, vous voulez juste continuer d’avancer.

  • This floor is my friend

     

    C’est couché sur le carrelage frais de l’appartement familial, entre le hall d’entrée et le salon, que vous avez une révélation. Et même plusieurs. Premièrement, même enveloppé dans une épaisse robe de chambre, le carrelage, ce n’est pas très confortable. Deuxièmement, vous avez des habitudes bizarres. Et pour finir, ça ne va pas très fort. Ce dernier point étant la cause du premier. Cette curieuse réaction au vague à l’âme qui vous étreint n’est cependant pas nouvelle. Ce n’est pas la première fois que, soudainement abattu comme un philosophe, vous vous contentez de vous coucher sur le sol là où vous êtes. Déjà parce que c’est frais, et que vous recherchez avidement toute fraîcheur capable de refroidir votre esprit échauffé. Vous faites partie de ces personnes curieuses que le beau temps et la chaleur abattent ; le soleil aspire votre énergie, et les hautes températures ralentissent votre esprit tel le premier troll du Disque-Monde venu. Chaque année c’est pareil : dès que le printemps est bien installé et que l’été se fait sentir, votre motivation se dégonfle plus vite qu’un ballon crevé (mais avec moins de bruit). Vous regrettez déjà l’hiver, son ciel gris, sa neige, ses baisses de thermomètre. L’été –et plus particulièrement la période « vacances »- vous fait déjà l’impression d’un long dimanche sans fin. Et l’on connait votre haine légendaire de ce jour maudit. Mais ce qui vous ennuie le plus ces quelques mois de beau temps, c’est ce sursaut d’énergie qui semble secouer le monde entier. Les gens s’animent, les gens sortent, bougent, font du bruit, s’amusent, partent visiter des contrées exotiques, font des projets ; bref, ils vivent. L’automne et l’hiver ont au moins la décence de plonger votre petit monde comme dans du coton, doux et froid. Le matin il fait nuit, et vous ne voyez pas devant vous. Et vous avez horreur de regarder devant vous. Vous projeter dans l’avenir est une véritable épreuve de force pour vous, un exercice qui vous est aussi naturel que le vol l’est à un pingouin un peu maladroit. Quand vous étiez gosse –et même adolescent- lorsque on vous demandait comment vous vous imaginiez adulte, à disons vingt ans, vous n’aviez qu’une réponse : nulle part, pas la moindre idée. Ce qui était moins compliqué à dire aux gens que donner la vraie réponse qui vous venait en tête gamin, quand vous étiez persuadé que vous serez mort avant vingt ans, tellement grandir vous semblait lointain, irréalisable et pas très drôle.

     

    Et pourtant, vous voici en vie, à vingt-cinq ans, couché sur le carrelage de vos parents, dans un vieux peignoir vert et élimé, fidèle seconde peau en ces temps troublés. C’est déjà cinq ans de plus que votre pronostic le plus optimiste de votre vous enfant. Ceci dit, votre vous enfant voulait devenir paléontologue, libraire, écrivain et avoir une barbe. Bon, pour être honnête, vous avez au moins eu la barbe, même si elle dépend principalement du fait que vous considérez l’action de se raser comme une des choses les plus ennuyeuses du monde, avec les séries policières allemandes et la lecture de la « Roue du Temps » (une saga de fantasy dépassant les vingt tomes que votre mère s’est un jour mis en tête de vous offrir un par un. Seulement, ils ne sont pas des plus passionnants. Mais vous  vous sentiez un peu obligé de vous y mettre, du moins jusqu’à ce que l’auteur meurt avant d’écrire le dernier. Après plus de vingt tomes, vous le précisez. Bon dieu.). Bon, d’accord, vous êtes vivant, c’est déjà ça. C’est même des plus important. Ca, vous ne le contesterez jamais : la vie, c’est à la base incroyablement chouette et précieux, comme un roman de Terry Pratchett (même si votre vie à vous a tout de même moins de coffres à pattes et d’orang-outans bibliothécaires). Non, ce qui vous mine ces jours-ci, c’est plutôt ce que vous en faites, de cette vie. C’est là le grand point de contention de votre existence depuis le collège, même si vous avez réussi à le maintenir à bout de bras jusqu’à bien longtemps après. Au final, c’est un peu comme lutter avec un alligator dont on écarte les mâchoires : tout bien considéré, pendant l’action, tout ne va pas si mal tant que les mâchoires ne se referment pas sur nous. On finit même par l’oublier. Jusqu’à ce que les bras fatiguent, que la morsure survienne (et qu’on s’exclame soudainement : « OHMYGODIHAVEANALLIGATORTRYINGTOEATMEOHPLEASEOHGODHELPMEPLEASE »). Entre deux grignotages reptiliens, vous avez donc pris l’habitude de profiter de période de… disons de stabilité à défaut de périodes pleinement heureuses. Mais franchement, vous prenez la stabilité n’importe quand. Cette stabilité d’humeur qui vous permet de mieux encaisser le prochain ras de marée émotionnel. C’est un cycle perpétuel auquel vous êtes hélas habitué, au point de commencer à paniquer tout seul comme un grand lorsque vous restez stable plus longtemps que d’habitude. Et récemment, vous avez sans doute vécu la plus longue de ces périodes de calme de ces dix dernières années. Pendant près de cinq mois, l’alligator a été maintenu tellement loin que vous n’entendiez même plus ses petites pattes s’agiter dans les algues du marécage. Votre esprit était… au calme. Terminées, ces intenses et épuisantes périodes où votre cerveau ne pouvait s’empêcher de tourner en roue libre, sautant d’une idée à l’autre, d’un sujet à l’autre, d’une envie à l’autre sans jamais prendre le temps de stopper pour se reposer. Terminée, cette longue période où vous étiez incapables de vous lancer dans une occupation sans devoir vous forcer pour l’abandonner aussi sec ; vous pouviez passer des heures à hésiter entre deux bouquins, incapable de trouver la force de vous plonger dans l’un  ou l’autre (et vous ne parlerez pas de la galère à choisir entre deux boîtes de petits pois sur les étagères du magasin). Non, vous étiez à nouveau capable de vous investir dans vos expériences, dans vos loisirs, dans votre vie. Les romans étaient à nouveau intéressants, les films et les séries vous captivaient à nouveau, vous étiez capables de faire de nouvelles découvertes… Rien ne changeait vraiment, la vie était toujours la même, mais vous aviez réussi à reprendre assez de contrôle sur elle pour éviter de vous y noyer !

     

    Et paf. Ou plutôt : crunch. Sans comprendre comment ni savoir pourquoi, voilà que la bestiole pleine de dents avait à nouveau frappé, se glissant sous votre garde. Et comme après une longue montée monotone mais tranquille sur un grand-huit, la descente qui suit se montre inévitablement violente, rapide et soudaine. C’est comme retomber au fond de la mare, jusqu’aux hanches dans la boue. Ce saint Graal qu’était la stabilité volant en éclat sous la pression de vos angoisses, de vos regrets et de vos craintes. Le bilan sans appel délivré comme un coup de basket en pleine figure par le plus inébranlable des recouvreurs de dette. Quelque part, c’était inéluctable comme la carrière de Charlie Sheen. Le long dimanche qui recommence, votre pleine conscience de cette inactivité dans laquelle vous marinez. Le bilan, donc, toujours le même qui revient. Vous vous en êtes rendu compte en survolant l’entier de votre blog du début à la fin. Comme un 33 tours rayé qui joue sans arrêt la même piste en sautant d’un accord à l’autre. La musique reste belle en soit, mais vous êtes incapable d’y naviguer avec aisance. Plutôt que de vous tourner vers ce que vous pourriez vivre, vous restez bloqué sur ce que vous n’avez pas vécu. Sur ce que vous n’avez pas accompli. Pas mal de gens vous citeront le travail, l’amour, le simple but de laisser sa marque dans l’existence comme autant d’idéaux dans la vie. Vous n’êtes pas très doué pour aucun d’entre eux, vous le réalisez une fois de plus en faisant ce petit bilan.

     

    Le travail vous apparait toujours comme quelque chose d’inaccessible. Vous y avez goûté, vous vous y êtes essayé, et vous avez été à chaque fois brisé. Finis, les rêves d’enfance de paléontologie (bon, pour être honnête, c’était sans doute une idée stupide de votre jeune vous : vous n’aimez pas l’exercice physique, et rester penché le nez dans la poussière ne vous semble pas si proche que ça de l’idéal romantique que vous vous faisiez de la branche. Un idéal où vous vous imaginiez simplement trébucher sur un tibia dans le gazon et découvriez aussitôt le Philipposaure Moretus). Les libraires n’ont jamais voulu de vous, et vous n’avez pas envie de revenir sur vos rêves inavoués d’écrivain sous peine de sombrer plus loin. Tiens, voilà que vous vous étalez déjà un peu plus sur le sol. Aaah, ce bon vieux sol si frais, cet ami fidèle ! Bref, vous pensiez avoir réussi, ces derniers mois de tranquillité bienvenue, à avoir fait le deuil de ce pan de votre existence. D’avoir accepté le fait que vous n’étiez pas assez costaud pour retrousser vos manches et vous y mettre comme tout le monde ! Et voilà que ça vous retomber sur le coin de la pomme comme le dernier bouquin de Richard Dawkins sur la figure d’un religieux intégriste. Situation rendue d’autant plus difficile par le simple fait de voir tous ces gens autour de vous qui bossent, qui œuvrent, qui luttent pour le but qu’ils se sont fixés. Vous les admirez autant que vous les enviez, et vous leur tirez votre chapeau (un vrai ; les chapeaux, c’est classe).

     

    Quant à l’amour, votre bilan n’est guère plus glorieux. C’est quelque chose d’incroyablement difficile et complexe à appréhender (ceci dit, sur ce coup là, vous auriez envie de dire que c’est certainement le cas pour la plupart d’entre nous). Votre vie sentimentale est, disons… Raaah, comment dire ça sans verser dans l’apitoiement (à ce propos, vous jugez bon de préciser que vous n’écrivez pas tout ce texte dans le but gratuit de vous apitoyer ; vous voyez vraiment tout cela comme un bilan, une série de constatations que vous ressentez le besoin d’exprimer là tout de suite) ? Bon, disons qu’elle est comme un manchot à la surface du soleil : généralement inadaptée à son environnement.  D’une part, vous possédez les capacités d’interaction sociale, grosso modo, d’une espadrille. Vous êtes incapables de déchiffrer les signaux qu’on vous envoie (plusieurs fois, vous avez appris avec stupeur bien après les faits qu’une personne avait un jour eu l’idée saugrenue de s’intéresser à vous), ou vous les comprenez systématiquement de travers, sans savoir quoi en faire, vous plongeant dans le même abime de perplexité qu’une équation du second degré (et en toute franchise, même du premier ; vous n’avez jamais été bon en math). Réciproquement, vous ne savez pas absolument pas comment émettre de tels signaux vous-mêmes et faites généralement preuve de l’esprit d’initiative d’une pomme de terre. Ce qui fait que quoi que vous fassiez, vous finissez presque inévitablement dans le rôle du « brave type un peu bizarre », du « bon copain (un peu étrange ) », voir du « petit frère » (ainsi avait réagi la première fille pour qui vous avez éprouvé des sentiments le jour où elle l’avait appris). Ce qui vous amène à l’autre part ; d’autre part, donc, en plus de votre manque de savoir-faire chronique en la matière, vous êtes un spécialiste reconnu du mauvais timing. Quand vous baissez votre garde, c’est systématique ou presque pour quelqu’un d’inaccessible. Celle qui est déjà en couple. Celle qui a des vues sur quelqu’un d’autre. Celle qui n’a pas envie d’une relation en ce moment. Celle qui vit très loin. Et, généralement un trait commun : celles qui vous voient comme le bon copain (un peu bizarre, on le rappelle). Vous avez fini par, pendant longtemps, vous protéger de la possibilité de vivre une histoire réelle –et donc d’en souffrir- en vous plongeant dans des relations à distance, protégé par l’écran d’un ordinateur. Et puis, un jour, l’amour. Le vrai, le passionné, le subit, le complice et –surtout- le réciproque ! Votre première expérience amoureuse partagée, des mois d’une joie retrouvée jusqu’alors insoupçonnée, un véritable partage. Elle était venue vers vous (rappelons-nous, vous ne sauriez pas faire le premier pas même si votre vie en dépendait )et, avant même que vous ne vous rendiez compte, vous étiez eu. Et l’instant d’après, vous étiez vivant : vous vous étiez réveillé. Des mois électriques, magiques, donnant à cette vie monotone une saveur nouvelle et son lot d’expériences inédites ! Une connexion intime, ce fameux lien dont les histoires parlaient existait réellement, finalement. Et puis la chute, brutale, inévitable. Avant vous, elle sortait d’une longue relation compliquée. Après vous avoir dit qu’elle voulait attendre avant de se lancer dans quelque chose avec vous, elle avait soudainement décidé de sauter le pas et de venir vers vous. Et après tout cela, après ces mois d’une vie retrouvée, un départ : finalement, elle n’était pas prête. Ce n’était pas juste pour vous, et elle avait besoin d’autre chose. Soit. Vous avez encaissé le coup avec un sourire compréhensif. Sans colère. Vous n’étiez même pas si secoué que ça. Du moins sur le moment. Car comme la plupart de ce qui peut vous arriver dans la vie, vous ressentez le contrecoup en décalage, jamais sur le moment. Il vous avait fallu quelques mois avant d’être rattrapé par la réalisation de ce que vous aviez perdu, et toute la douleur, toute la frustration, toute la tristesse s’était déversée en vous comme le fleuve brisant la digue du barrage et noyant les terres. A partir de là, on peut dire que vous avez mis du temps à vous en remettre. Beaucoup de temps avant d’avancer, même si vous ne regrettiez pas ce que vous aviez vécu. Mais vous avez néanmoins maudit cette sensibilité, cette faiblesse prononcée de votre psyché qui vous fait ressentir la moindre variation d’humeur à la puissance 4. Et depuis, ces dernières années, vous n’avez pas eu la moindre relation. Pour vous protéger. Parce que vous n’auriez pas su reconnaître la possibilité d’une relation même si elle était venue danser sur vos genoux décorés de guirlandes de Noël. Parce que vous ne sauriez pas vraiment comment faire. Et puis parce que quand vous vous êtes à nouveau laissé aller à ressentir un coup de cœur pour une femme ou une autre, elle se révélait à nouveau inaccessible. Et puis l’idée devoir un jour vous investir à nouveau dans une relation vous fait un peu peur ; vous ne sauriez pas vraiment comment vous y prendre, et vous ne voyez pas trop ce que vous pourriez apporter.

     

    Au-dessus de vous, le plafond se montre des plus rébarbatifs à refléter vos sentiments (comme la plupart des plafonds, qui sont tout de même bien moins faciles à vivre que les sols). Vous écartez les bras, grimacez lorsque la chienne, plutôt que de passer à côté de votre corps flasque, vous franchit en vous sautant sur l’estomac, et vous lâchez un gros soupir. Au final, toutes ces constatations vous renvoient à votre peur la plus vive et la source de vos angoisses les plus profondes : la solitude. Vous n’avez jamais vraiment su aller vers les autres, et vous avez une peur maladive de perdre les quelques relations que vous avez su garder. Bien sûr, il y a la famille –suite à votre situation particulière, vous en avez même deux !- mais même avec eux, vous n’êtes pas sûr de savoir comment vous comporter. Et vous n’êtes pas sans amis, vous le savez. Vous vous raccrochez à vos vieux camarades de toujours, mais avec l’impression de ne pas trop savoir comment s’y prendre. Comme en amour, vous n’avez jamais été très doué pour l’amitié. La vôtre est généralement rongée par vos complexes, votre difficulté à communiquer et une certaine pudeur. Vous êtes terrifié à l’idée de finir un jour seul, incapable d’aller vers les autres. Pourtant, récemment, vous avez réalisé avec stupeur que vous étiez encore capable – à votre façon maladroite- de créer des liens. Vous avez juste peur de ne plus savoir comment les maintenir. Encore une fois, plutôt que de profiter de ce que le présent vous offre, c’est le futur qui vous effraie. La perpétuelle évolution.

     

    Au fond, vous ne savez pas trop ce que vous voulez. Peut-être qu’il vous faut d’abord réussir à assumer cette crainte pour aller de l’avant. Pour oser rêver à plus. Vous remettre un jour sur la selle de la vie, trouver un but. Apprendre à mieux interagir avec les gens ; à conserver et chérir les liens anciens comme à en tisser de nouveaux, tout aussi solides. Se permettre de revivre l’amour un jour, de trouver la personne à qui dire bonne nuit le soir sans la voir partie le matin, avec qui échanger, partager, lutter côte à côte, discuter aussi bien séries et histoires que de ce qui compte vraiment, de rêves, de craintes et d’espoir. Cet espoir, la qualité qui est le plus à même de vous faire mal, mais que vous ne pouvez vous empêcher de conserver même quand vous n’arrivez plus à vous accrocher. L’espoir, qu’un jour, vous trouviez tout ça, et qu’on vous trouve. Votre place dans le multivers, votre connexion avec la vie. De réalisez pouvoir tourner la tête pour rencontrer toujours un regard, et se dire enfin que vous n’êtes pas seul.

     

    Votre dos commence à faire un peu mal, mais votre esprit s’est rafraichi. Dans l’appartement désert –si ce n’est la chienne qui rêve dans son coin- il est temps de vous lever, et de vous faire une tasse de thé. Et pour tromper le silence, le bruit de vos doigts sur le clavier. Ecrire tout ça pour le faire sortir, pour vous y confronter, pour confier ce que vous n’arriverez jamais à prononcer avec des mots parlés. Pour passer à autre chose au moins un petit moment après avoir déversé toutes ces longues phrases, après les avoir couchés sur l’écran. Pour que l’alligator fasse une petite sieste. Il se réveillera bien assez vite mais, au moins, vous aurez le temps de respirer.

     

    Espérer, tout simplement.

     

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    Word.