J'hésite toujours à publier ce type de note (oui, une fois n'est pas coutume, je fais un préambule; et c'est terrible comme je n'ai plus l'habitude d'écrire à la première personne, argh!). Je sais bien qu'il est normal d'être parfois un peu plus "journal intime" sur un blog, mais je n'ai jamais été très à l'aise avec cette fonction là du truc. J'ai peur de trop en faire façon "demande d'attention", "déprime égomaniaque" ou encore "désespoir jeté à la face du monde". Et si ce n'est pas mon but, je ne peux nier que le but est d'exposer un peu tout ça. C'est dur, de trouver l'équilibre. Mais comme je ne suis pas vraiment doué pour m'exprimer oralement, je me repose comme toujours sur l'écrit pour me vider la tête. Et si je garde ça pour moi, c'est presque comme si je ne l'avais pas vraiment... sorti, malgré tout. Et puis si des ados boutonneuses se permettent de raconter tout ce qui passe par leur philosophique tête façon "un mot, une couleur flashy" sur le net, je peux bien balancer mon humeur ici. Garanti sans couleurs, mais avec des citations de Terry Pratchett.
Ah, lorsqu'il sera question de lézard et de tortue, cela fait référence à une note d'il y a quelques mois... sur un lézard et une tortue (ou la fois où j'ai laborieusement décidé de tenter d'écrire une petite histioire en anglais). Quant au titre de la note (Wallow), c'est parce le wallowing, je suis en plein dedans, et que j'adore la sonorité de ce mot en bouche (c'est comme avoir un gros morceau de guimauve qui fait gonfler les joues avant de fondre entre les dents et de clouer le bec; le mot parfait pour l'esprit de cette note!). La traduction française ne rend pas justice à sa glorieuse sonorité! Sur ce... et bien, c'est tout!
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“They didn't know why these things were funny. Sometimes you laugh because you've got no more room for crying. Sometimes you laugh because table manners on a beach are funny. And sometimes you laugh because you're alive, when you really shouldn't be.” Terry Pratchett - Nation
Quelquefois, vous devez rire. C’est tout simple. Jusqu’à en avoir mal aux côtes, jusqu’à sentir les crampes se saisir de votre estomac, jusqu’à réveiller votre asthme (qui, pourtant, ne demandait rien à personne et se contentait joyeusement de roupiller dans un coin). Comme avant de vous mettre à écrire le charabia qui suit. Avant les larmes, surtout. Et ce sans aucune raison. Sans aucune putain de raison, vous sentez-vous obligé d’ajouter pour intensifier le côté dramatique de la chose, vous qui n’êtes pourtant pas un grand adepte des jurons. Et là, on va certainement vous demander quel rapport le drame a avec le rire. Et bien il n’y en a pas, si ce n’est le comique forcé né de la confrontation de deux extrêmes. C’est le tragique de la grande comédie humaine, celle qui ne serait qu’une vaste blague cosmique pourtant guère drôle ; l’équivalent « multiuniversel » de trois types qui rentrent dans un bar. Mais ces types, vous les enviez : ils sont trois, et ils ont un bar à disposition. Et s’il est bien un fait avéré, c’est qu’il n’y a rien de tel qu’un bar pour noyer sa peine. C’est le miracle qui transforme l’eau en vin, les larmes en hydromel. Et c’est un de ces jours où la proverbiale image de la cuite -tête en vrac, yeux de travers, estomac retourné et esprit fragmenté- vous séduit, vous qui n’avez encore jamais connu ça. Ca doit être l’esprit fragmenté né du fruit fermenté qui vous attire : réduire votre psyché en une fraction de petits bouts, comme les glands entassés un à un dans le creux d’un tronc d’arbre par l’écureuil volontaire. Oui, en cacher les morceaux non pas le temps d’un hiver mais le temps d’un été et de son aveuglante énergie remplie de mouvements et de lumière. Dormir pendant que le monde s’agite, loin des rires qui se répercutent le soir sur les pavés entre deux terrasses de café. Dormir pour vous réveiller sous un ciel si pâle qu’il semble confondu avec le manteau de neige qui recouvre la terre. Un monde blanc, froid, uni ; un monde simple. Dieu, que vous vous damneriez pour cette simplicité, dont le désire vous taraude comme celui de la fraise chez une femme enceinte (ou de la glace pilée, voir des morceaux de morue marinés dans un bocal ; les femmes enceintes ont des envies et des goûts très variés).
Mais votre esprit n’est qu’un gros bloc à l’intérieur de votre crâne, un bloc qui vient peser sur vos épaules comme un énorme sac à dos rempli de bric-à-brac sur le dos d’un voyageur égaré le long de la route. Une très longue route, de celles où lorsqu’on s’imagine enfin avoir atteint l’horizon on découvre alors qu’on ne peut que redescendre avant le prochain tronçon ; celui qui monte encore plus haut, encore plus dure, encore plus longtemps. Vous, vous vous êtes installé sur le bord de la route, et vous regardez les voitures qui vous dépassent en vrombissant. Des rouges, des jaunes, des vertes ; des véhicules tous différents, tous uniques qui n’ont que pour seul trait commun celui d’avancer, toujours plus loin, brûlant son carburant. Le transformant en mouvement. Ainsi, l’énergie ne stagne pas, l’énergie ne se gâche pas, l’énergie produit quelque chose, et elle carbure en vue d’un but. D’un lendemain qui chante sans doute ou, qui s’il a la voix enrouée, se veut au moins un petit meilleur que le jour précédent. Sur le bord de la route, vous videz votre sac : vos piles de livres, vos carnets jamais terminés, vos désires inassouvis, vos idées avortées. Comme une bulle familière, rendue confortable seulement par l’habitude. Votre carburant bouillonne avant de s’épaissir dans son coin, et votre sac pèse toujours sur vos épaules, même vide. Vous pourriez allez l’enterrer dans le désert l’espace de quelques mois que cela ne changerait pas grand-chose. Et puis vous en avez l’habitude, vous le connaissez, vous savez quand relâcher les lanières l’espace de quelques secondes, promesse d’un mieux illusoire, rapidement dissipé par le poids revenant peser sur votre dos. Rassurant, quelque part, malgré son encombrement : vous savez à quoi vous en tenir, nul besoin de prise de risque, nul besoin de tenter sa chance. Nul besoin de courir après l’espoir, comme vous l’avez démontré dans un article précédent.
Et puis vous êtes fatigué, et ce bord de route en vaut bien un autre. Un coin de trottoir où vous asseoir, sans pour autant poser votre fardeau. A dire vrai, c’est surtout que vous ne savez pas où aller. De temps en temps il vous arrive bien de lever le pouce et de parcourir quelques kilomètres accompagné, mais les chemins finissent par diverger. Ils finissent toujours par diverger. Du moins n’avez-vous encore rien vu qui puisse prouver le contraire. Il faut dire qu’en auto-stop, vous ne regardez pas vraiment le paysage à travers la vitre : vous préférez regarder la personne qui conduit, de peur d’avoir à tomber sur votre reflet dans la vitre. Il est tout simplement si bon, si facile, si confortable de vivre pour, à travers autrui (même si l’autrui en question ne pense sans doute pas la même chose ; ça ne doit pas être très confort, d’avoir quelqu’un à travers, comme l’inévitable canapé trop grand coincé entre deux étages lors d’un déménagement). Mais même lever le pouce vous apparaît comme incroyablement épuisant. Tout ça pour redescendre un peu plus loin au bord de la route, guère plus avancé, et bien plus désorienté. Seul avec vous-même, ce que vous essayez désespérément d’éviter en vous noyant dans la bulle de vos livres, de vos histoires et de ces expériences toutes faites qui ne demandent qu’à vous remplir le crâne. C’est d’ailleurs dans un livre que vous avez lu un personnage demander à un autre s’il connaissait l’expression « L’enfer, c’est les autres ». Et de lui dire en suite que tôt ou tard, on finit par s’apercevoir que c’est faux. Il n’y a pas de mots plus vrais. En ce qui vous concerne, les autres représentent un paradis. C’est juste qu’il y a bien peu de paradis au milieu de tous les mirages.
Peut-être est-ce l’époque qui veut cette solitude. La communauté ne prime plus, dans le sens qu’elle n’est plus considérée par nécessaire par un grand nombre d’individus. Dans votre tête, un souvenir vous hante… Il y a peu, alors que vous cheminez en ville d’un pas distrait, vous avez aperçu du coin de l’œil une femme s’asseoir sur un rebord dans une ruelle et, la tête dans une main, se mettre à pleurer. Personne d’autre dans les parages que vous, qui passiez juste à côté. Dans un coin de votre esprit, vous vous êtes toujours plu à entretenir cette image romantique de la nature humaine, en optimiste rongé par le ver de l’espoir que vous étiez ; vous pensiez encore être dans un monde où son prochain pouvait stopper sa course auprès d’un autre prochain, même s’il n’était pas si, et bien, prochain que cela. Et puis voilà que vous voyez quelqu’un se mettre à pleurer dans son coin, comme abattu par le poids du sac à dos métaphysique (ou alors quantique, vous n’êtes pas très sûr de l’évolution de ces choses là), une personne seule et abattue, comme vous l’êtes si souvent… et vous ne vous êtes pas arrêté. Cette fois-ci, c’est vous qui avez continué votre chemin en laissant une anonyme sur le bord de la route. Il y a plein de raison à cela, diraient la plupart des gens : c’était une inconnue ; ce n’était pas vos affaires ; ce n’était pas votre rôle ; vous n’auriez de toute façon pas su quoi dire ; vous aviez le LEB à prendre. Seulement, vous ne saviez pas que vous faisiez partie des gens. Si vous vous étiez imaginé cette scène, votre cœur se serait serré à l’idée de telles excuses ! Inconnue ou pas, cela n’a pas la moindre importance ! Quand quelqu’un souffre sur le bord du trottoir au point de se mettre à pleurer la tête dans la main en vue du moindre passant potentiel, on devrait être en mesure de tenter de faire quelque chose ! On ne laisse pas quelqu’un d’aussi seul au bord de la route, bon sang ! Combien de fois avez-vous vous-même été pris de crises de larmes subites ces dernière semaines, recroquevillé sur votre matelas ou à même le sol, la bouche tordue dans une plainte silencieuse et inarticulées (bah oui, il est quand même bien plus aisé d’être inarticulé en silence), sans personne dans les environs, désespérant de sentir une main secourable se poser sur votre épaule ? Comme pas plus tard que tout à l’heure, effrayant même le chien, surpris par le comportement décidément bien étrange de son humain ? Mais non, malgré tout ce besoin désespérant que vous avez de croire en l’espoir, de croire en l’humanité, vous avez passé votre chemin. Vous répétant que vous n’auriez pas su quoi dire de toute façon (vous êtes aussi à l’aise côté réconfort que, disons, une tranche de pain mou), et que vous ne deviez pas rater votre train. Et c’est ça, l’ennui : les gens auront toujours un train à prendre. Toujours quelque chose à faire, à préparer, à prévoir. Une tendance de plus en plus globale dans cette humanité où l’on passe plus de temps à penser à demain qu’à vivre aujourd’hui. Et au final, il ne reste que vous et vos regrets le soir venu, une personne seule qui n’aura pas su en aider une autre. C’est peut-être idiot, vous n’en savez trop rien, mais vous en garderez sans doute encore longtemps un poids sur la conscience, et l’image de cette femme seule pleurant dans la rue. Qu’avait-il donc pu lui arriver pour qu’elle finisse ainsi par craquer ? Qu’est-ce qui pouvait affliger son cœur de telle manière ? Pourquoi diable tant de tristesse ?
Vous ne le saurez jamais. Et c’est futile, mais c’est terrible à quel point ça vous fait mal, d’autant plus maintenant que c’est trop tard. Trop tard pour autre chose que des regrets, bourrant déjà votre sac à dos plein à craquer. Trop tard pour contempler autre chose que le miroir terne de votre solitude. Une solitude du cœur, ce mal dont toutes les âmes sont la cible un jour ou l’autre. Vous pensiez vous y être habitué, pourtant. Et puis vous pensiez que cela valait mieux que de marcher à deux. La brève période où vous vous y étiez essayé, il y a des années de ça, n’avait finalement contribué qu’à mieux vous briser. L’horreur de connaître quelque chose de si beau et de si fort qui, une fois disparu et dispersé aux quatre vents, rend son absence intolérable. Au point de maudire le simple fait d’avoir vécu, d’avoir connu tout ça : après tout, on ne peut pas manquer ce qu’on ne connait pas (comme se faire mâchouiller puis recracher par un grizzly sauvage et féroce, par exemple ; vous ne l’avez jamais connu, ça ne vous manque pas. Ben oui.). Et des mois, des années après, continuer de ramasser les pièces de son être perdues dans la poussière. Se convaincre qu’une telle rencontre, une telle expérience n’arrivera plus jamais, et finir malgré tout par s’en languir de toute la force de son âme. Et dès qu’on recommence à y croire, dès qu’on l’envisage à nouveau, qu’une voiture attire son regard, qu’un chemin semble soudain plus verdoyant sous la loupe rose de l’espoir… on réalise que ce n’était qu’un mirage de plus. En tout cas, en ce qui vous concerne, vous les collectionnez, les mirages : tableaux impossibles, chapitres interdits, scènes coupées, et même pas de bonus sur les DVDs. Et quel tragique comédie, donc, que d’en venir à manquer tout cela, à manquer cet espoir, à manquer la rencontre d’une quelqu’un quand on sait la douleur qui finira par en résulter, confronté à l’obsolescence programmée du cœur, quand elle n’est pas tout simplement impossible. Et plus vous avez passé de temps –toutes ces années !- à se convaincre que vous n’en aviez plus besoin, à vous faire à l’idée que vous ne vivriez plus jamais de telles histoires, plus vous finissez par réaliser à quel point cela peut vous manquer. Avoir quelqu’un pour vous ramasser au bord de la route. Le contact (et vous ne sous-entendez pas là un manque de relations charnelles, précisez-vous aux lecteurs dotés d’un esprit dénaturé ; de toute façon, au vu de votre expérience, vous avez tendance à trouver ça surfait. Les relations charnelles, donc, pas les lecteurs.). Ces bêtises de marcher à deux dans les mêmes souliers (c’est quand même une métaphore idiote, ça ; son auteur n’a jamais dû essayer de le faire. Ca doit être atrocement inconfortable ! Vous persistez à penser qu’un couple fonctionne bien mieux chacun dans ses souliers. Le but est de marcher côte à côte, après tout. Tsk, ces auteurs romantiques… Sans doute les mêmes qui parlent de rires enamourés cascadant comme des torrents de montagne. C’est joli, les torrents de montagne, mais c’est super froid, et le rire cascaderait sûrement moins bien avec un saumon coincé entre les dents, tiens !).
Mais il ne tient qu’à vous de vous secouer et de faire en sorte de faire bouger les choses, ne manquera-t-on pas de vous dire. Il est vrai que jusqu’ici, c’est le reste de l’univers qui s’est souvent chargé de vous secouer. Quand vous vous y essayez, vous vous prenez généralement une pomme sur le coin de la tête, de toute façon. A croire que vous n’êtes pas fait pour vous secouer, condamné à être aussi rigide socialement parlant qu’un orteil dans un de ces foutus torrents de montagne. Et puis si vous avez tant de difficulté à changer, vous avez tendance à penser que c’est parce que vous ne savez toujours pas qui vous êtes. Voilà, tout bêtement, votre plus grand frein, c’est que vous ne savez pas quoi répondre à cette question plutôt élémentaire : qui êtes-vous ? Comment voulez-vous vous changer en autre chose si vous ne savez même pas ce que vous êtes au départ ?
Alors pour le moment, vous restez assis au bord de la route, au milieu du désert où les lézards voyagent à dos de tortue. Vous n’avez ni lézard, ni tortue, probablement parce que vous ne savez pas lequel des deux vous êtes. Et autant dire qu’un tel manquement à la confiance, ce n’est pas la belle salade dont on se sert pour attirer son reptile. Et vous commencez sérieusement à user votre réserve de métaphores. Et, comme vous, un peu partout dans le désert, il y a d’autres inconnus assis sur un rebord, la tête dans les mains. Vous espérez que, pour eux, quelqu’un finira par s’arrêter.
De votre côté, il ne vous reste plus qu’à rigoler, quitte à le forcer. De toute façon, vous n’êtes pas sûr qu’il vous reste assez de carburant pour pleurer.
“-And what would humans be without love?
-Rare.” Terry Pratchett - Sourcery