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Plume de Renard - Page 53

  • Lucie 6

    Allez, l'exercice continue! J'ai senti aujourd'hui la baisse de régime qui m'est coutumière dès que j'essaie de maintenir mon attention plus de deux jours sur la même histoire, mais je tiens bon: une page minimum! o/ Et donc, voici:

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    A l'intérieur, le train ne payait pas de mine. Les cloisons intérieures étaient du même métal que l'extérieur, et tout était pensé pour être robuste et pratique. A part au sein de Domaine où le décorum régnait, symbole de temps anciens et élégants d'avant la colonisation, l'Hégémonie n'avait jamais accordé une grande importance à l'esthétique. Les belles choses, surtout délicate et raffinées, étaient un luxe rare sur un monde où tout devait être fait pour durer. Mais malgré tout, il y avait quelque chose de si surréel à se tenir là, à l'intérieur de fameux train, que même Martha ne pouvait y rester insensible. Maintenant qu'elle avait enfin posé le pied à bord, elle avait enfin l'impression que ce nouveau départ n'était pas qu'un rêve, et l'excitation qui faisait depuis longtemps rage chez sa fille commençait à la gagner. Arthur Kent, lui, avait l'air plutôt étonné, mais Martha en était venue à conclure que c'était là son air habituel. Il donnait toujours l'impression de ne pas être vraiment à sa place, comme s'il n'était jamais assez sûr de lui pour le savoir. Mais il y avait aussi chez lui quelque chose de doux et, réellement de bonne humeur pour la première fois depuis longtemps, Martha s'amusa lui prendre le bras, l'arrachant à quelque rêverie.

    -Allons-y monsieur Kent !

    -Hein ?

    -Si vous voulez bien me suivre, votre voiture est juste là ! leur dit Ed Travers, désignant la porte devant laquelle trépignait Lucie. Travers appuya sur un bouton, et la lourde porte -Martha remarqua qu'elle était particulièrement épaisse- s'ouvrit avec un sifflement.

    -Choisissez les places qui vous conviennent, et n'hésitez pas à vous installer confortablement : si tout va bien, nous devrions accomplir le trajet en à peu près sept heures. Le climat extérieur ne permet pas de maintenir une grande vitesse, mais d'arriver à bon port lentement mais sûrement. Croyez moi, vous ne voudriez pas risquer un accident à la surface d’Éclat ! Rester bloqué là-haut, au milieu de la voie, n'a rien d'amusant. Mais inutile de s'inquiéter ! Les cabinets sont à l'avant de la voiture, et un chariot passera avec des rafraîchissement et des sandwichs.

    Travers débitait son discours avec l'adresse de celui qui l'avait déjà fait des centaines de fois, et il faisait de son mieux pour insuffler dans chacun de ces mots ce qu'il espérait être une énergie communicative. A vingt-huit ans, il estimait avoir fait ses preuves dans sa branche et espérait qu'il n'aurait plus beaucoup de tels voyages à effectuer avant de prétendre à une promotion, idéalement dans les services publics de Domaine. Mais en attendant, il essayait de faire contre mauvaise fortune bon cœur, et cette volée de passagers n'avait pas l'air aussi pénible que d'autres l'avaient été. Il décocha même un sourire plein d'espoir à Martha Robbins, qu'il trouvait plutôt jolie, mais elle ne sembla même pas le remarquer et Travers se retrouva face à Arthur Kent, qui lui souriait en retour, s'imaginant lui retourner la politesse. En voilà un qui n'avait pas l'air malin, se dit le responsable Travers, qui n'en perdit pas ses moyens pour autant et reprit sa présentation :

    -Vous trouverez des compartiments à bagages au-dessus de vous, sous le plafond. Ils devraient être assez grands pour contenir la plupart de vos affaires, mais des espace de stockage pour des volumes plus conséquents sont disponibles, adressez-vous à moi si besoin est. En fait, si vous avez besoin de quoi que ce soit, je suis votre homme. Si je ne suis pas présent dans le wagon, il vous suffit d'appuyer sur un des boutons situés à l'entrée ou à la sortir pour me signaler que vous avez une requête. Ah, sachez aussi que votre compartiment est aussi chauffé que possible, mais qu'il risque malgré tout de faire un peu frais suivant les conditions extérieures lors du voyage. Le froid d’Éclat a tendance à se répandre partout, mais c'est bien la seule chose, ahahah (il marqua une brève pause puis, voyant que personne ne réagissait, il reprit, à peine décontenancé). Une couverture isolante st placée sous chaque siège pour les plus frileux, mais si vous êtes bien habillés, l'inconfort devrait être minimal. De la lecture et divers jeux sont à disposition, bien sûr, et vous êtes libre de circuler dans la voiture qui vous est allouée. Voilà mesdames et messieurs, je crois que j'ai fait le tour. Installez-vous, et nous devrions partir dans une dizaine de minutes, un quart d'heure tout au plus. En attendant, j'ai d'autres tâches à effectuer, je vais vous laisser prendre vos aises tranquillement. N'oubliez pas le bouton si vous avez besoin de moi !

    Et, dans un dernier sourire poli par des années de pratique, Ed Travers se retira, disparaissant derrière la lourde porte qui s'était ouverte à nouveau, et les passagers purent s'acclimater à leur nouvel environnement dans le calme. La voiture était partagée en deux rangées de places séparées par un large couloir. Les sièges étaient par groupe de quatre, se faisant face les uns aux autres. Il devait y avoir entre trente et quarante places en tout, mais elles étaient loin d'être toutes occupées. Au premier coup d’œil, Martha ne fut même pas sûr d'arriver à dix personnes. Ils n'allaient pas risquer la promiscuité, et elle se détendit à cette pensée ; malgré toute une vie passée dans les ruelles étroites des vieux quartiers de l'Hégémonie, elle ne s'était jamais vraiment habituée à ce qu'on empiète sur son espace vital. Et pour ne rien gâcher, les fauteuils semblaient relativement confortable : ils avaient l'air d'être fait en une sorte de cuir d'un rouge passé et s'ils étaient aussi anciens que le reste du train, ils étaient aussi bien entretenus. Des plaques pouvaient être dépliées entre les sièges pour faire office de petites tables, et des lampes étaient disposées à intervalles réguliers sous les compartiments à bagages. Tout contribuait à donner une impression de sécurité, l'imposant train d'acier allant bientôt devenir la forteresse mobile qui les protégerait de l'extérieur. Quant à Lucie, elle n'avait accordé aucune importance aux sièges épais, aux cloisons grises, aux autres passagers qui rangeaient leurs bagages au-dessus de leur tête, parce qu'elle s'était immédiatement précipitée vers une des choses les plus incroyable qu'elle ait jamais vu : là, contre la cloison qui séparait deux groupes de sièges qui se faisaient face, il y avait une fenêtre.

  • Lucie 5

    Allez, ça continue!^^

     

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    Vêtu d'un manteau usé trop grand pour lui enfilé sur une chemise boutonnée de travers, il était d'un physique si commun qu'on ne l'aurait sans-doute jamais remarqué dans une foule s'il n'avait pas été aussi agité. Des cheveux châtain foncé, un visage peut-être un peu rond mais sans signes distinctifs, un vague début de barbe, des lunettes qui tressautaient sur nez au rythme de sa course un peu pataude typique de quelqu'un guère accoutumé à l'exercice physique. Il avait une vieillie sacoche de cuir coincée sous le bras, et les roues de la valise derrière lui semblaient animées d'une vie propre, rebondissant sur chacune des aspérités qui croisaient leur chemin. En fait, il donna aussitôt à Martha l'impression d'être le type même de l'homme destiné à se prendre les pieds dans toutes les ornières disséminées sur sa route. Il finit par arriver au guichet, hors d'haleine, après avoir manqué trébucher plus d'une fois dans sa course. Lâchant la poignée de sa valise, il s'accroupit brusquement, plié en deux alors qu'il essayait de reprendre son souffle, serrant sa sacoche contre sa poitrine.

    -Ça va aller mon gars? lui demanda le guichetier, qui s'était penché au-dessus de son comptoir, observant le dernier arrivé avec un amusement teinté de curiosité. Le train n'est pas encore parti, vous n'allez pas le rater. Vous avez vos papiers ?

    -Hein? L'homme leva un regard intrigué sur le fonctionnaire, comme s'il n'avait aucune idée de ce dont il pouvait bien parler.

    -Vos papiers. Ceux qui attestent de votre droit à embarquer pour Haven.

    -Mes... ? Quoi ? Ah, oui, mes papiers. Bien sûr, pardon, ça m'était sortir de la tête... Je dois les avoir quelque part...

    L'homme aux lunettes se releva avec un sourire d'excuse, qui se mua rapidement en grimace paniquée tandis qu'il fouillait une à une les poches de son manteau. Puis de ses pantalons. Il vérifia le tout plusieurs fois. Un son qui ressemblait à un petit râle de panique s'échappa d'entre ses lèvres et il se laissa retomber sur le sol, où il s'assit en tailleurs, sa sacoche ouverte devant lui. Il en examinait l'intérieur avec une énergie proche du désespoir, ses doigts passant fiévreusement entre les chemises remplies de feuilles de papier.

    -Non, c'est pas vrai ! Dites moi que c'est pas vrai ! Il recommença son examen, sans plus de succès, et finit par abandonner, la tête dans les mains.

    -Excusez moi...

    -Non ! Pourquoi est-ce qu'il faut toujours qu'il m'arrive ce genre de trucs ?

    -Monsieur...

    -Hein ?

    Éberlué, il sentit qu'on tirait sur sa manche et il ouvrit un œil pour voir Lucie qui lui présentait une petite liasse de documents froissés.

    -Ils sont tombés de votre manteau quand vous êtes arrivé...

    -De quoi ? Il cligna plusieurs fois des yeux derrière ses lunettes, éberlué. Puis l'information fit son chemin et dispersa le désespoir dont il était saisi. Mes papiers ! Oui, c'est bien ça !

    Il se releva à nouveau, se frotta les cuisses puis les pans de son manteau qui avaient traînés sur le sol, et il prit les documents que lui tendait la fillette avant de les tendre au guichetier qui s'en saisit sans commentaires, l'air de celui qui en avait vu d'autres. Et pendant qu'ils les compulsait, l'homme aux lunettes se pencha pour serrer vigoureusement Lucie dans ses bras :

    -Je ne sais pas qui tu es, mais merci ! Tu me sauves la vie !

    -Lucie! Fit-elle d'une voix étouffée, le visage enfoncé dans le manteau trop grand de l'homme.

    -Hey, dites donc, vous ! s'exclama Martha. A ces mots, l'homme relâcha son étreinte et se fendit d'un sourire gêné :

    -Oh, pardon. Mais cette jeune fille vient de me sauver la vie !

    -Vous ne seriez pas porté sur l'exagération des fois ?

    -C'est tout moi, on me le reproche souvent. Arthur Kent.

    -Martha.

    -C'est votre fille ?

    -Oui.

    -Vous allez à Haven vous aussi ?

    -D'après vous ?

    -Ah. Oui. C'est évident.

    -Tout est en ordre, mon gars, les interrompit le guichetier en rendant à Arthur ses papiers. Ce dernier le remercia et les fourra quelque part dans son manteau, distraitement.

    -Maman, on y va !

    Lucie tapait du pied sur le sol, devant la grande porte. Elle pensait qu'ils avaient suffisamment attendu comme cela, et elle était impatiente de voir le train. Martha poussa le chariot contre le mur, près d'autres engins du même type, et entreprit de le débarrasser des deux valises.

    -Attendez, laissez moi vous aider ! s'exclama Arthur. Martha le contempla en haussant un sourcil, dubitative : il avait sa valise à roulettes dans une main, sa sacoche sous l'autre bras, et il semblait déjà dépassé. Mais il y avait une telle envie de bien faire dessinée sur son visage honnête qu'elle n'eut pas le cœur de décliner son offre. Il ne l'aurait sans-doute pas laissée faire de toute façon, et il s'avançait déjà vers le chariot, se contorsionnant maladroitement pour essayer de saisir un bagage de sa main libre sans pour autant laisser s'échapper les siens. Encore une fois ce fut Lucie qui vint à son secours, bien décidée à ne pas perdre plus de temps là-dessus.

    -Monsieur Kent peut porter ma valise, qui est plus petite, et moi je peux porter sa sacoche, elle n'a pas l'air lourde du tout !

    -Ma sacoche ? C'est-à-dire... Instinctivement, Arthur resserra son emprise sur son précieux bagage, en proie à un dilemme soudain. Puis il poussa un petit soupir avant de sourire à la fillette : Bah, j'imagine qu'elle ne risque rien avec une fille aussi dégourdie que toi. Faisons ça ! Mais fais-y très attention, je tiens beaucoup à ce qu'elle contient !

    Acquiesçant, Lucie s'empara précautionneusement de l'objet, dont elle put glisser la petite courroie autour de son épaule, comme une besace. De son côté, Arthur Kent saisit la valise de la fillette de sa main libre et, avec Martha, ils purent enfin tous trois franchir la grande porte automatique, qui s'ouvrit sans un bruit devant eux. La fillette dut se retenir pour ne pas courir tandis qu'ils traversaient un long couloir étroit, qui déboucha sur une porte semblable à la première. Et au-delà, ils débouchèrent enfin sur le quai du secteur un de la Grande Gare, le quai du seul train qui bravait l'extérieur et qui allait les conduire à Haven. Les lieux étaient encore mieux entretenus que le reste de la gare, et les murs et le plafond blanc étaient baignés dans une vive lumière brillante qui aurait fait plisser les yeux à Lucie si elle n'avait pas été aussi occupe à dévorer du regard la fantastique apparition qui captivait toute son attention : le train. Elle resta là, bouche bée, à le contempler en compagnie de sa mère et d'Arthur ; même les deux adultes étaient impressionnés, et il en fallait pourtant beaucoup pour impressionner une femme comme Martha Jones.

    -C'est stupéfiant ! Quel engin ! fut le commentaire d'Arthur Kent.

    Et de fait, le train était le véhicule le plus massif, le plus spectaculaire de toute l'Hégémonie depuis que les vaisseaux colonisateurs avaient été démantelés en usines plusieurs siècles auparavant. Et pour les futurs passagers, l'engin était plus impressionnant encore ; il n'avait plus rien à voir avec le métro qui circulait sous la surface du complexe. Il était comme un géant massif d'acier et d'alliages plus résistants encore, robuste silhouette grise et noire qui se découpait dans la blancheur du quai. L'esthétique n'était de loin pas sa fonction première : il était constitué de longs wagons aux lignes grossières et à l'air pataud, et la voiture de tête au front bombé lui donnait l'air d'un puissant et redoutable mastodonte de métal. Et aux yeux de Lucie, c'était la chose la plus incroyable qu'elle avait jamais vue. Rien qu'à imaginer que dans quelques minutes seulement elle allait entrer à l'intérieur de ce monstre, elle avait l'impression de rêver. Elle suivait du regard, captivée, les trois bandes de peinture écaillée qui parcouraient le flanc de l'engin : rouge, bleu et or, les couleurs de l'Hégémonie. Sur les toits des wagons, plusieurs gros nodules étaient disposés à intervalles réguliers, et une batterie d'engins compliqués semblables à de grosses et solides antennes était visible plus ou moins au milieu du convoi. Au niveau des rails, une épaisse vapeur s'échappait des systèmes des roues et venait se disperser en épais nuages de brume blanche sur le quai. Lucie voulut s'approcher du bord pour mieux voir mais Martha la retint solidement par la main.

    -Ah, vous êtes les derniers ! lança une voix joyeuse au timbre clair.

    S'extirpant du wagon le plus proche, un homme à l'air affable sauta sur le quai et vint à la rencontre du trio en agitant la main, un large sourire révélant ses dents sous sa moustache rousse. Il portait une casquette bleue et un uniforme de la même couleur fendu de deux bandes rouges et or sur les côtés, et des lunettes teintées en bleu complétaient la tenue.

    -Je suis Ed Travers, votre responsable de bord ! Les autres sont déjà montés, on n'attend plus que vous.

    Il avait l'air sympathique, et il dégageait tellement d'énergie qu'on s'attendait presque à ce que son corps se mette à vibrer d'enthousiasme. Martha s'en méfia aussitôt, le classant d'office dans la catégorie des bout-en-train forcés, dépourvus de réelle personnalité. Mais au moins, cela ferait sûrement de lui quelqu'un d'accommodant.

    -Allez, venez ! Vous verrez, vous vous plairez à bord de cette merveille ! On a même des jeux très bien, tu ne verras pas le temps passer ! annonça-t-il triomphalement à l'adresse de Lucie, persuadé de l'impressionner. Mais cette dernière ne lui accorda pas plus d'attention que cela et le dépassa en courant pour monter d'une traite les quelques marches qui menaient à l'intérieur.

    -Et bien, voilà une véritable voyageuse enthousiaste où je ne m'y connais pas ! Brièvement décontenancé, Ed Travers afficha un nouveau sourire et invita Martha et Arthur à suivre la fillette. Les deux adultes s'exécutèrent, hissant leurs bagages, tandis que Ed Travers fermait la marche, lançant d'une voix qui se voulait pleine d'emphase :

    -Bienvenue à bord du train pour Haven !

     

     

     

  • Lucie 4

    Lentement, mais sûrement, je continue d'avancer! Ca n'a peut-être pas l'air de grand chose, mais ça faisait longtemps que je n'avais pas tenu un rythme aussi régulier dans l'écriture d'une histoire (en général, ces dernières années j'avais tendance à m'emballer et à écrire quelques pages en deux jours et ensuite ça me lassait et j'abandonnais le truc)! Bon sang, si ça se trouve, je vais même réussir à la finir! En tout cas, je m'amuse bien à voir comment elle se développe, quand je réalise que je ne suis même pas encore entré dans le vif du sujet de mon idée de base... Bref, le morceau du jour, donc!

     

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    Haven, la terre promise. Le seul autre complexe de l'Hégémonie sur Éclat, situé à plusieurs centaines de kilomètres de celui où Lucie et sa mère avaient toujours vécu, qu'on ne pouvait atteindre qu'avec l'unique transport qui parcourait la surface : le train qui partait de la Grande Gare. La voie ferrée avait été construite en priorité lors de l'arrivée des colons afin de relier les deux points d'atterrissage des vaisseaux coloniaux. Avant que les hommes n'aient plus d'autre choix que de se réfugier sous terre, avant que le froid et le bleu ne deviennent aussi redoutables qu'ils l'étaient aujourd'hui. Un nombre conséquents d'ingénieurs, de soldats et d'ouvriers étaient morts de la construction, et le registre de leurs pertes était encore régulièrement consulté, comme un ultime hommage rendu à ces hommes et ces femmes qui avaient bravé les éléments pour la sauvegarde de l'Hégémonie. Et Haven représentait depuis lors l'espoir d'une vie meilleure. Construit au bord d'un immense océan presque entièrement recouvert de glace, Haven avait été choisi comme l'un des deux points de ralliement des colons, et il avait été conçu comme la ville qui s'élèverait au-dessus de la surface, quand l'humanité pensait encore pouvoir y vivre. Le rêve avait tourné court, mais des dômes de verre spécial défiaient aujourd'hui encore les conditions difficiles, et on disait qu'à Haven, on pouvait parfois marcher tout en regardant le ciel. C'était à Haven que l'on trouvait également les stations de recherche les plus expérimentales, qui présentaient le complexe comme l'avenir de l'Hégémonie. Un avenir dont elle avait réellement besoin : si les conditions de vie n'étaient pas horribles dans les souterrains bétonnés, la population ne cessait d'augmenter, l'espace diminuait et, très progressivement, les moyens de la sustenter aussi. Il fallait s'adapter, se développer, évoluer, telle était la nouvelle politique de l'Hégémonie, conservatrice par coutume mais obligée de se montrer progressiste pour survivre. Alors les vieux projets de Haven avaient été relancés, et le plus petit des deux complexes était devenu un véritable phare dans la nuit. Pour ceux qui y mettaient l'effort et les moyens, il y avait du travail à Haven, du travail différent, et on ventait ses conditions de vie. Alors Martha Robbins, qui avait travaillé très dur toute sa vie, travailla encore plus dur pour obtenir le sauf-conduit qui leur permettrait, à elle et à sa fille, de changer de vie. Il y avait, quelque part sous les épais plafonds du complexe où elles vivaient jusqu'à aujourd'hui, quelque chose que Martha ne pouvait plus éviter de fuir... Quand elle avait annoncé sa décision à Lucie, la fillette avait ravie: pour elle, le voyage pour Haven était la promesse d'une fantastique aventure, et elle n'avait plus parlé que de ça, impatiente de quitter ce petit quartier qu'elle avait toujours trouvé trop étroit.

    -Tous les passagers à destination de Haven peuvent maintenant se rendre au secteur un.

    L'annonce fut répétée deux fois, provoquant de délicieux frissons chez Lucie. Ca y est, elle allait enfin partir, prendre le train qui allait l'amener à Haven ! Elle manqua de broyer les doigts de sa mère tellement elle les serrait fort, et elle voulut la tirer avec elle, impatiente d'atteindre le secteur un, celui réservé à l'unique grand train d’Éclat. Le sourire aux lèvres, gagnée par l'enthousiasme de sa fille, Martha se laissa entraîner, tirant tant bien que mal d'une main le chariot branlant où se trouvaient leurs deux valises. Après quelques minutes d'une marche pénible à travers la foule, cette dernière commença à se clairsemer à l'approche du secteur un. Peu de personnes avaient de raison de s'y rendre, il n'y avait que peu de transit de citoyens pour Haven. L'Hégémonie voulait éviter un exode de masse dépourvu de contrôle, et n'autorisait les transferts qu'au compte-gouttes. Martha et Lucie avaient eu de la chance d'être acceptées, et elles s'en rendaient compte. Martha Robbins n'avait aucunement l'intention de la gâcher. Elle attendait ce nouveau départ depuis bien trop longtemps. De plus, le train était principalement destiné au transport de marchandises entre les deux complexes, et ne possédait qu'un nombre minimal de wagons pour y installer des passagers. La plupart de ceux qui faisaient régulièrement le voyage étaient des chercheurs, des ingénieurs, des ouvriers qui assuraient la main d’œuvre. Pour les autres, ceux qui réussissaient à embarquer pour aller vivre à Haven, le voyage était un aller-simple. Martha n'avait aucune intention de revenir, de toute façon. C'était mieux comme ça. Et elle était soulagée d'avoir vu sa candidature acceptée assez vite pour prendre le train aujourd'hui. Il n'allait à Haven qu'une unique fois par mois. Le reste du temps, il était soigneusement entretenu et révisé pour le prochain voyage à la surface. Il était d'une construction solide et durable, comme tout au sein de l'Hégémonie, mais il était aussi vétuste, et nul ne tenait à ce qu'il se mette soudain à mal fonctionner au milieu du trajet.

    -Maman, par ici !

    Lucie avait du mal à contenir l'excitation dans sa voix tandis qu'elle montrait du doigt le guichet qui se trouvait à côté de la grande porte dans le mur marqué « Secteur un ». La dernière étape qui les séparait de l'embarquement. Pressant le pas pour se caler sur le rythme de sa fille, Martha cala la poignée du chariot sous son bras, libérant sa main pour chercher à l'intérieur de sa veste les papiers nécessaires. Devant elles, deux hommes étaient en train de régler leur propre paperasserie au guichet. Ils étaient tous deux vêtus de noir, et portaient le col blanc caractéristique des membres du clergé. L'un était âgé -la soixantaine, ou plus- mais bien bâti, une crinière de cheveux blancs comme neige aux tempes d'un gris distingués lui donnant un air royal. Son compagnon, plus jeune de quarante au moins, était mince, presque décharné, et avait ses cheveux sombres coupés très court, presque rasés. Haven avait visiblement aussi besoin de ses hommes de foi. Lucie et sa mère se glissèrent derrière eux tandis qu'ils terminaient leur échange avec le guichetier, et le plus âgé salua les Robbins d'un large sourire, ses yeux bleus pétillant derrière ses lunettes en demi-lune. L'autre homme se contenta de hocher la tête à leur attention, poli mais comme gêné.

    -Je suis le père John Horst, et voici le père Diego Delgado. Il semblerait que nous allons faire le voyage ensemble !

    Sa voix était forte et chaleureuse et, si elle n'avait jamais vraiment porté l'église et ses représentants dans son cœur, Martha ne peut s'empêcher de le trouver instantanément sympathique. Elle serra la grosse et puissante main qu'il lui tendit :

    -Martha Robbins.

    -C'est un plaisir de faire votre connaissance, Martha Robbins. Ainsi que la tienne ! fit-il à l'intention de la fillette qui, à la fois impressionnée par la stature du prêtre et amusée par sa bonhomie, glissa à son tour sa minuscule main dans la robuste -mais pourtant étonnamment douce- poigne du vieil homme.

    -Lucie.

    -Lucie. Je suis sûr que nous allons bien entendre !

    La fillette lui rendit son sourire, et jeta un regard curieux au jeune prêtre, qui n'avait pas dit un mot. Il n'avait pas l'air désagréable, plutôt timide. Prise d'une impulsion subite, Lucie alla se planter devant lui et lui tendit la main. Après un instant d'hésitation, comme surpris, il la serra, avec moins de vigueur que son collègue, mais non sans douceur lui aussi.

    -Et bien nous nous reverrons à bord ! dit joyeusement John Horst. Je vous laisse entre les mains de notre bien aimée administration !

    Suivit de Diego Delgado, le prêtre saisit son sac de voyage et se dirigea vers la grande porte, qui se referma sans bruit derrière eux. Le guichetier invita alors Martha à venir présenter ses papiers. Il les parcourut avec attention puis apposa dessus le sceau de l'Hégémonie. Tout étant en ordre, il les invita à leur tour à passer la grande porte alors que les hauts-parleurs annonçaient pour la dernière fois le prochain départ pour Haven. Derrière les Robbins, un homme se précipitait vers le guichet en courant, traînant maladroitement derrière lui une petite valise à roulettes.

    -Attendez ! Attendez-moi !