Hop, deux pages pour commencer la semaine!^^
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Lucie arpentait un nouveau wagon, et se disait qu'il manquait sérieusement de poulets. Elle avait déjà progressé de deux voitures depuis sa rencontre avec le père Delgado, sans savoir que le chemin du retour lui était désormais interdit. Elle avait rencontré d'autres de ces grosses portes mais aucune ne lui avait posé de difficultés comme l'autre, comme si les responsables avaient jugé bon de ne verrouiller que la première afin de séparer les passagers du rester du convoi. Et c'était visiblement plus pour la formalité que pour une réelle question de sécurité. L’Hégémonie n'avait jamais vraiment après tout jamais beaucoup eu à se soucier de menace interne, et le trajet pour Haven n'était certainement pas reconnu comme un trajet à risque. Outre les passagers, ils transportait surtout du matériel et des ressources à destination de Haven, d'où il repartait chargé de de données et d'autres ressources. Quant aux gens, très peu d'entre eux faisaient la navette entre les deux complexes, hormis le personnel du train bien sûr. Et les poulets ne revenaient pas non plus.
Bien décidée à trouver ce pourquoi elle était venue jusqu'ici, Lucie regardait attentivement entre les caisses de matériel et les conteneurs qui avaient remplacés les fauteuils des voitures destinées à transporter des passagers. Elle avait repéré de nombreux sacs et caisses, souvent plus grand qu'elle, portant la marque du Domaine et de l'Hégémonie, remplis sans doute de denrées récoltées dans les grands vergers souterrains. Mais nul animaux en vue, et un silence total, si ce n'était le bruit régulier et sourd du train en marche ; la fillette s'y était déjà habituée et ne le remarquait même plus, occultant machinalement son bruit de fond afin de rechercher des sons plus intéressants. Et comme elle était observatrice et qu'elle faisait attention aux détails, comme elle l'avait appris de sa mère, ce fut sans-doute pourquoi elle remarqua aussitôt quand quelque chose changea dans la manière dont se comportait le train. Il ne faisait plus tout à fait le même bruit, et ce dernier s'imposa à nouveaux aux oreilles de Lucie, qui se figea pour mieux écouter, debout au milieu du couloir entre deux rangées de lourdes caisses sanglées contre les cloisons. Les vibrations étaient différentes elles aussi, Lucie pouvait le sentir sous ses pieds, comme si quelque chose essayait de brider le train, l'empêchant de filer à pleine vitesse et qu'il ne s'en rendait pas compte. Elle pouvait même voir les caisses tressauter derrière leur lien, et elle poussa un petit cri quand l'une d'elle s'échappa, bascula en avant et s'écrasa sur le sol dans un vacarme impressionnant. Elle souleva un petit nuage de poussière et se mit à glisser doucement vers l'avant, timidement propulsée par les vibrations qui agitaient le sol. Lucie eut un moment de recul...et échappa par la même occasion à l'autre conteneurs qui venait de tomber là où elle se trouvait l'instant d'avant. D'autres ne tardèrent pas à suivre, leurs sangles trop lâches ne réussissant pas à les retenir tandis que le train tout entier donnait l'impression de se cabrer. Effrayée, Lucie bondit en avant, courant dans la direction contraire à celle dont elle était venue, réagissant à l'instinct tandis que des caisses métalliques à l'air lourd tombaient tout autour d'elle, s'écroulant comme un château de cartes maladroites et pesantes. La fillette bondit de côté, évitant de justesse un autre obstacle, mais se prit les pieds dans une sangle qui traînait par terre et s'écroula face contre terre, ses petites mains dirigées en avant faisant de leur mieux pour amortir le choc.
Au même moment, le train fut secoué d'un tel tremblement que les cloisons s'inclinèrent dangereusement d'un côté puis de l'autre, comme si l'engin s'était mis vacillé. Le choc avait été redoutable, de la même manière que si le véhicule avait percuté quelque chose de plein fouet après avoir sans succès désespérément essayé de freiner, et les caisses furent projetées d'un côté à l'autre du wagon dans un assourdissant capharnaüm. Terrorisée, à plat ventre sur le sol, Lucie avait mit les main sur sa tête et avait juste pu ramper entre un mur et une caisse encore vaguement calée, ce qui l'empêcha d'être elle aussi projetée comme une poupée de chiffon. A la suite du choc un terrible grincement se fit entendre, comme une douloureuse plainte criée par l'acier lui-même, et Lucie se plaqua les mains sur les oreilles jusqu'à ce qu'elle s'éteigne enfin. Puis ce fut le silence, total, absolu. Le train ne bougeait plus.
Lucie attendit de longues secondes -ou de longues minutes, elle était incapable de le dire- avant d'oser rouvrir les yeux et de s'aider de ses mains pour se redresser et s'asseoir contre une caisse renversée. Elle toussa, portant une main à sa bouche et vit que ses paumes étaient rouges et douloureuses, abîmées par sa chute. Elle avait aussi mal à la tête, et elle avait l'impression que cette dernière continuer de vibrer de manière ; elle avait les oreilles qui résonnaient très désagréablement. En repoussant une mèche de cheveux collée sur son front par la sueur et la poussière, elle vit qu'elle saignait un peu, et tâta l'entaille au-dessus de son œil droit. Elle réussit à ne pas paniquer pour si peu : dans son vieux quartier où elle jouait depuis toujours, elle était tombée plus d'une fois suite aux acrobaties les plus improbables, et ce n'était pas une égratignure qui allait lui faire peur. Mais elle resta assis un moment encore, car elle pouvait sentir ses jambes trembler sous elle, et elle restait secouée, se souvenant des caisses qui avaient failli l'écraser et de la plainte issue des entrailles métalliques du train, comme le cri d'agonie d'un puissant léviathan. Et quand ses pensées s'éclaircirent et que le choc commença à se dissiper, elle réalisa pleinement qu'elle était seule, loin de sa mère, dans un environnement soudain hostile et elle sentit les larmes monter à ses yeux. Elle ramena ses genoux, douloureux eux aussi, contre sa poitrine et les serra de ses bras frissonnants. Lucie resta là, prostrée, faisant de son mieux pour recouvrer son calme et ne pas pleure. Elle refusait de se laisser aller à pleurer, ce n'était pas la chose forte à faire, et elle était sûre que sa mère n'aurait même pas eu la moindre larme. Mais Lucie Robbins restait une petite fille, et elle trouvait cette condition de plus en plus difficile, surtout dans un moment pareil.
Elle ne sut pas combien de temps elle resta là, entre deux caisses, assise par terre, mais elle releva la tête aussitôt qu'elle entendit un bruit sourd venu d'une des extrémités du wagon, celle vers laquelle elle avait dirigé sa course avant de tomber. La porte était à demi bloquée par un conteneur, mais elle s'entrouvrit néanmoins, en grinçant. Il y eut une brève pause et Lucie eut l'impression d'entre des voix étouffées en train de se concerter. Puis la porte recommença à s'ouvrir, lentement, poussant la caisse sur le sol jusqu'à ce que l'ouverture soit assez grande pour laisser passer au moins une personne. Un puissant trait de lumière fut le premier à traverser, balayant le wagon, passant sur les yeux de Lucie sans la voir ; la fillette fut éblouie, ses yeux étant toujours habitués au décor sombre du wagon éteint. Elle entendit d'autre voix sans les comprendre, ses oreilles continuant de bourdonner. Elle voulut appeler mais, sans trop savoir pourquoi, aucun son ne réussit à franchir ses lèvres.
Pour finir, une silhouette se découpa dans la lumière, celle d'un homme mince qui se glissait dans l'ouverture de la porte en partie dégagée. C'était une ombre sombre qui se découpait dans la vive lueur de la lampe, et elle portait un objet long et étrange, et Lucie finit par s'apercevoir qu'il s'agissait d'un fusil. L'homme était armé. Il avança prudemment entre les caisses, se coulant entre les obstacles avec grâce et adresse, et Lucie ne sut pas si elle devait attirer ou non son attention. Mais elle finit par tousser, ne pouvant s'en empêcher, et la petite lampe montée sur le fusil de l'homme se tourna aussitôt vers la source du bruit, vers elle. Et si elle clignait encore des yeux pour s'habituer à la lumière, elle reconnut aussitôt l'homme grâce au timbre de velours de sa voix chantante :
-Ça alors, mais c'est la petite demoiselle s'exclama le caporal André Ladislas Montauban Velázquez.