Une page un peu plus conséquente aujourd'hui, on peut dire que les choses sérieuses commencent. Bref, je crois que je suis enfin entré dans le vif du sujet!^^
_____________________________________________________________________________________
-Et merde !
Stan Detroit relâcha la pression qu'il exerçait sur la commande du sas, ce dernier n'ayant même pas bougé d'un millimètre. Agacé, il flanqua un coup rageur contre la cloison ; le choc fut absorbé par l'épaisseur de ses gant, qui rendaient ses mains maladroites, mais il se sentait un peu mieux. Et lorsqu'on se retrouvait tout seul, à la surface, exposé au froid et au vent mordant, à côté d'un véhicule qu'on était censé connaître et qui pourtant ne fonctionnait plus, il n'était pas si difficile que ça de se sentir « un peu mieux ». Stan n'était pas doté d'un caractère négatif, et il s'efforçait de rester actif plutôt que de subir la situation, mais cette dernière commençait sérieusement à l'agacer. Quelqu'un avait tempéré avec l'intégrité du train qu'il avait appris à connaître ces dernières années, et il était pour l'instant totalement impuissant. S'il tombait sur le responsable, ce dernier allait passer un sale quart d'heure ! Mais pour le moment, Stan devait se concentrer sur le moyen de revenir à bord, et vite. Il était inquiet pour cette petite fille -il maudit une fois de plus Ed Travers pour avoir laissé les passagers se comporter aussi n'importe comment- et il espérait rapidement trouver un sas en état. Ces derniers, pratiquement jamais utilisés si ce n'était lors de trop rares exercices, étaient souvent grippés à cause de leur exposition aux éléments lors des voyages du train, et tous n'étaient pas systématiquement rénovés. Il y avait d'autres systèmes plus importants à maintenir en état quoi qu'il arrive, et on ne pouvait pas dire qu'il y avait souvent eu des problèmes sur l'unique ligne de la surface. Quelques pépins techniques de temps à autre, bien sûr, et ce n'était pas la première fois que le train se retrouvait bloqué. Par contre, c'était la première fois qu'il avait été stoppé de cette manière, très probablement en interne et de la main de quelqu'un de déterminé. C'était le plus troublant, et Stan Detroit avait l'impression de se sentir violer tant sa connexion avec le train était devenue forte depuis qu'il apprenait à le connaître. Il n'osait imaginer ce que pouvait bien ressentir Daniel Grümman, qui était devenu une véritable extension vivante de toutes ces tonnes d'acier.
Mais toutes les questions qu'il se posait ne trouveraient pas de réponses maintenant et il devait continuer son périple le long du train. Il remonta le col de son anorak, plus machinalement que par réelle utilité. Les vêtements mis à la disposition des opérateurs par l'Hégémonie étaient parmi les plus chauds et les plus efficaces, mais Stan aurait aussi bien pu se retrouver projeté dehors en caleçon, il n'aurait pas eu l'impression d'une différence. Le vent qui rugissait était à peine assourdi par la cagoule et la capuche rabattue contre ses oreilles, et le souffle puissant le transperçait de part en part, comme si des millions d'aiguilles de glace s'infiltraient en lui jusqu'au plus profond de son être. Monsieur Grümman l'avait prévenu, les rapports sur les conditions extérieurs d’Éclat aussi, mais rien n'aurait pu le préparer à cette sensation. Et il n'y avait pas que le froid, le vent et la neige qui s'écrasait contre les lunettes de protection, non : il y avait aussi cette lueur éclatante qui traversait le gris uniforme de la tempête pour rebondir sur la blancheur éclatante du paysage, une blancheur qui s'étendait à perte de vue jusqu'à perte de vue. Rien d'étonnant à ce que l'Hégémonie ait décidé de se terrer sous la surface dès son arrivée sur la planète.
Collé contre le train, Stan avançait lentement, pas à pas, le long de chaque wagon qu'il scrutait intensément à la recherche de sas. Tous n'en étaient pas équipés, et il fallait encore avoir la chance de trouver un système d'ouverture qui n'était pas bloqué. Il s'adonnait à cette tâche avec diligence, sérieux et concentration, comme dans tout ce qu'il entreprenait. Et ce fut sa diligence qui lui permit d'enfin repérer un nouveau sas à l'air abordable. Poussant une petite exclamation de joie étouffée derrière son passe-montagne, il s'en approcha plus encore et tâtonna la cloison, à la recherche de la poignée spéciale. Il la sentit enfin sous ses doigts gantés et la tourna à deux mains. Tout d'abord rien ne bougea, mais il banda ses muscles, persévérant, et il sentit enfin un peu de jeu. Il se retint de brandir un poing victorieux vers le ciel et à la place se concentra de plus belle, songeant que d'ici une ou deux minutes tout au plus, il serait à nouveau à l'abri, à l'intérieur du train. Et ce fut sans doute sa concentration qui l'empêcha de voir la silhouette qui fila derrière lui, semblable à celle que Martha Robbins avait vu à travers la fenêtre un peu plus tôt. Il n'entendit pas non plus le crissement de quelque chose qui frotta brièvement le côté du wagon, ni le grondement dans son dos.
-Allez... Ah, voilà qui est mieux !s'écria-t-il joyeusement quand il sentit enfin le déclic faire vibrer la poignée qu'il tournait. Le sas allait s'ouvrir, il n'avait plus qu'à...
Quelque chose le percuta violemment dans le dos, et Stan se retrouva écrasé contre le wagon, le souffle coupé. Il voulut crier quelque chose, mais ses poumons avaient été vidés par le choc et il ne put produire que quelques gémissements étouffés par sa cagoule. Une vive douleur lui lacéra le flanc et il y porta sa main, qu'il remonta faiblement à porter de vue : le gant était couvert de sang. Son sang. A peine eut-il le temps de le réaliser que le poids qui l'écrasait disparut, lui permettant à nouveau de bouger normalement... avant de soudainement le tirer en arrière avec une violence inouïe. La manche droit de l'anorak de Stan se déchira et il en profita pour se libérer, avant de tomber à genoux, sonné. Secouant la tête pour recouvrer ses esprits, il ne perdit pas de temps à regarder en arrière et se mit à avancer à toute vitesse vers le train, à quatre pattes. Avec un peu de chance, il allait pouvoir se jeter sous le wagon, hors d'atteinte... Grognant, la douleur se mêlant au froid qui profitait des déchirures de sa combinaison, il réussit néanmoins a ramper un peu plus loin, sous la voiture. Il resta étalé là, par terre, et commençait tout juste à reprendre son souffle quand une vive douleur le saisit au mollet : il était comprimé dans un étau pointu, et l'assistant conducteur comprit, éberlué, qu'il était en train d'être mordu par quelque chose ! Il se sentit glisser, tiré en arrière, et ses mains s'accrochèrent désespérément à un rail. Mais ses gants étaient trop épais pour lui permettre une prise solide et il pouvait voir ses doigts glisser un à un, jusqu'à ce qu'il lâche prise et essaie de trouver autre chose, n'importe quoi, à laquelle se raccrocher. Mais il n'y avait rien d'autre, et il se sentait faible, de plus en plus faible. Il pensa à ce train, qu'il avait appris à connaître, à tous ceux qui y étaient bloqués et qui comptaient sur lui, à la petite fille perdue et à monsieur Grümman. L'étau se referma plus fort sur sa jambe, lui arrachant un cri de douleur, et il fut tiré en arrière, sur le ventre, jusqu'à se retrouver à nouveau dans la lumière d’Éclat. Stan Detroit n'avait plus aucun contrôle sur la situation, il ne sentait que la plaie béante dans son flanc et les dents dans sa jambe, tandis qu'il se faisait entraîner en hurlant, plus loin dans la blancheur, toujours plus loin... Et puis il n'y eut plus de hurlements, que le silence, et le vent qui continuait de souffler.