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Plume de Renard - Page 45

  • Lucie 30

    Non, je n'ai pas abandonné, point du tout! Des choses se passent, le temps file à une vitesse folle, et hop, deux jours passent! Mais me revoici au clavier, avec une nouvelle page! Bon, il ne s'y passe pas grand chose, mais le lien continue de se faire avec ce qui peut être considéré comme la seconde partie!

     

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    -Tout va bien ?

     

    Sam Jones s'assit à côté de Lucie, qui l'accueillit avec un sourire sincère. La fillette aimait bien la soldate, qui avait semble-t-il pris sur elle de garder un œil protecteur sur l'enfant depuis que l'escouade l'avait retrouvée. Elle avait beau être un petit bout de femme menu et noueux, elle ne dégageait pas moins de force que ses camarades, au contraire, et Lucie était très impressionnée de voir à quel point elle ne détonnait pas parmi eux. Au sein de l'Hégémonie, l'égalité des sexes était une réalité depuis longtemps reconnue, et le sexisme n'avait lieu d'être qu'en tant que vestige d'une société qui remontait à bien avant que les premiers colons ne montent dans leurs vaisseaux dirigés vers les étoiles. Et si les femmes étaient encore parfois considérées comme plus délicates, peut-être était-ce dû à l'environnement difficile d’Éclat et aux conditions de vie parfois difficiles dans un espace aussi réduit, loin sous la surface. L'intérêt général consistait à les préserver. Mais elles n'étaient certainement pas privées du moindre choix de carrière, car une vie difficile nécessitait aussi l'emploi des personnes les plus capables possibles et ce sans distinction de sexe, d'origine sociale ou d'ethnie. Les différents raciaux n'avaient de toute façon plus vraiment lieu d'être après plusieurs siècles de mixité, et ceux qui se sentaient pénalisés par leur milieu -comme Stuart Moore- n'avaient en général à s'en prendre qu'à eux mêmes, dans une société où le mérite primait sur le reste. Quant aux femmes, elles étaient finalement tout aussi respectées dans les positions qu'elles choisissaient d'occuper, pour peu qu'elles accomplissent bien leur tâche. Elles pouvaient aussi bien œuvrer dans les plus hautes sphères du gouvernement au sein du Domaine qu'effectuer leur part de travail difficile et dangereuses dans les équipes d'ouvriers en orange qui rénovaient les piliers dans tous les quartiers du complexe. Une carrière militaire n'avait pour elles rien d'incongru en soi, mais si l'on voyait déjà peu de militaires parader dans les rues en temps normal, il était vrai qu'on n'y voyait encore moins de femmes. Sans doute était-ce là l'un des derniers restes d'une Hégémonie traditionnellement patriarcale, aux valeurs anciennes bien ancrées qui se mêlaient à la nécessité d'un progrès indispensable pour survivre plutôt que de s'y confronter. Malgré tout ce que pouvaient en penser des hommes comme Diego Delgado. Mais le jeune prêtre était pour l'instant le cadet des soucis de quiconque se trouvait à bord du train, tous ignorants du rôle qu'il avait joué dans cette affaire. Il n'inquiétait certainement pas Samantha Jones, qui partageait son attention entre son devoir de soldate, cette petite fille au regard volontaire, et le beau caporal Velázquez qui décochait un sourire éclatant à chaque fois qu'il remportait une mise aux cartes, ce qui arrivait plus souvent qu'à son tour, et ce au grand désespoir de ses camarades de jeu.

     

    -Je vais bien, répondit Lucie à Samantha. Et, en tant qu'observatrice née qui n'était pas dupe de son jeu, elle enchaîna à son tour sur une question :

     

    -Et vous ? Est-ce que tout va bien avec monsieur Velázquez ?

     

    Comme lorsque le sujet avait été mentionné auparavant, Jones semblait surprise de réaliser à quel point cela semblait évident, quand elle était persuadée d'avoir tout fait pour le cacher. Non loin d'elles, Paul Ravert poussa un petit ricanement -mais qui n'avait rien de méchant- et Sungmin cacha un sourire derrière ses mains délicates.

     

    -Ça suffit, oui?grogna Sam, leur décochant un regard noir.

     

    -Ce n'est pas méchant, caporal. Mais depuis le temps que ça dur, on finit par les repérer, ce genre de petits détails.

     

    -Et encore, ils ne sont pas si petits que ça. Il n'y a que André pour ne pas s'en rendre compte, je parie, renchérit Ravert. Et probablement le major, mais je ne crois pas qu'il ait un cœur. Pas pour ces choses là, en tout cas.

     

    -Ça, je n'en suis pas si sûr...fit Sungmin, qui observait Canton Adams et Martha Robbins en pleine discussion.

     

    -Qu'est-ce que tu veux dire ?

     

    -Rien. Je vais retourner voir madame Miguel.

     

    -Hey, attends, explique !

     

    Paul Ravert se précipita derrière son ami, laissant Sam à nouveau seule avec Lucie, qui n'en démordait pas :

     

    -Alors ?

     

    -Alors quoi ?

     

    -Tout va bien ?

     

    -Tu ne voudrais pas manger une autre barre de rations, plutôt ?

     

    -Pour que j'évite de vous poser d'autres questions ?

     

    -Non, j'imagine que ça ne sera pas aussi facile... Tout va bien. Du moins je fais en sorte que ça le soit.

     

    -Mais vous l'aimez bien, non ?

     

    -Ce n'est pas vraiment important là tout de suite, tu ne crois pas ?

     

    La fillette prit le temps de réfléchir, fronçant son petit nez le plus sérieusement du monde, avant de regarder Samantha avec un large sourire :

     

    -Vous voulez sa cape ? Je la porte toujours. Je peux vous la donner si vous voulez.

     

    Samantha Jones ne put s'empêcher de sourire, mais tout en poussant un léger soupir : l'attente promettait d'être longue.

     

  • Lucie 29

    Une petite page aujourd'hui, l'inspiration n'est pas au rendez-vous... Ce sont des choses qui arrivent, et je ne suis pas près de m'arrêter en chemin.^^

     

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    Assise enfoncée sur son fauteuil, ses pied se balançant au-dessus du sol, Lucie prenait son mal en patience. A vrai dire, ce n'était pas si difficile que cela : elle observait les adultes qui s'affairaient dans le wagon, suivant telle ou telle conversation jusqu'à ce qu'elle perde un peu de son intérêt. Elle n'avait même pas eu à ouvrir son sac pour en sortir un des ses précieux livres, de ceux qu'elle relisait jusqu'à en abîmer les couvertures et corner les pages. Depuis qu'elle avait commencé à lire, c'était comme si un nouveau monde s'offrait à elle. Sa mère avait été ravie de lu communiquer une passion certaine pour les histoires : Martha Robbins avait beau être d'un pragmatisme inébranlable et garder en permanence les pieds sur terre, elle avait toujours fait en sorte de s'évader dans quelques pages quand elle en avait l'occasion. Dans le petit appartement qu'elles partageaient il y a quelques heures encore, Lucie aimait voir sa mère s'installer dans son fauteuil, les soirs où elle ne travaillait pas au bistrot du quartier. Elle chaussait alors ses lunettes, qu'elle n'aimait pas porter en-dehors de la maison, et elle se mettait à lire. Au début, elle lisait à voix haute pour en faire profiter sa fille, jusqu'à ce que cette dernière fasse des progrès et qu'elle puisse se plonger dans ses propres lectures. Toutes deux avaient sans cesse de nouvelles histoires à découvrir et d'anciennes dans lesquelles se replonger. Elles n'étaient peut-être pas très riches du tout, mais la lecture était un loisir qui ne coûtait pas cher au sein de l'Hégémonie. C'était sans-doute la distraction la plus répandue et la plus facile d'accès, au côté des écrans qui diffusaient leurs programmes variés. Sous terre, séparés de la surface par des tonnes de béton, de roche et de terre, il fallait bien trouver de quoi s'occuper une fois son travail terminé. La vie était dure dans l'Hégémonie, mais rarement ingrate.

     

    Avec intérêt, Lucie contemplait maintenant Arthur Kent. L'homme s'était installé un peu à l'écart, sans doute pour profiter du plus de calme possible. Penché au-dessus de l'épais carnet qu'il avait sorti de sa précieuse sacoche, l'écrivain faisait son office, une plume dans la main. Il n'avait pas dit grand chose depuis qu'il était revenu en compagnie de Martha, Kenneth et des soldats de l'escouade. Il avait troqué son air distrait pour un air un peu maussade. Il ne levait les yeux de ses pages que pour regarder brièvement Martha ou le major Adams, avant de se replonger dans son œuvre. Lucie était curieuse de savoir ce qu'il pouvait bien être en train d'écrire, mais elle n'osait pas le déranger. Il semblait différent, ainsi concentré, dans son petit monde. Il avait l'air plus concentré, plus adroit, plus...intense. Il n'était pas comme l'homme perpétuellement étonné qui semait ses affaires un peu partout quand il courait pour attraper son train. Quelque part, il faisait maintenant à Lucie un peu la même impression que les soldats. Il était pourtant très différent d'eux sur tous les points ou presque, mais ils partageaient ce même dévouement à leur cause, qui se sentait dans chacun des actes qu'ils accomplissaient dans leur domaine. Il suffisait de voir avec quelle diligence et compassion le soldat Jung allait régulièrement s'assurer de l'état de madame Miguel, ou le soin que prenait le soldat Ravert à vérifier une à une les fréquences de sa grosse radio ou à passer en revue les divers systèmes du wagon. Les deux hommes semblaient puiser leurs forces l'un de l'autre, et ils ne manquaient jamais l'occasion d'échanger une courte plaisanterie ou un mot d'encouragement suivi d'une tape sur l'épaule. Ils formait un véritable binôme, de la même manière que les caporaux Jones et Velázquez. Ce dernier était occupé à distribuer des cartes, installé nonchalamment -comme à son habitude- en compagnie de Kenneth Marsters, du père Horst et d'Augustus Miguel, que Sungmin Jung avait convaincu d'essayer de se changer un peu les idées. Le grand blond s'était mêlé avec aisance aux passagers, comme si son uniforme n'était qu'une seconde peau dont il pouvait se défaire avec aisance. Il s'était tout de suite bien entendu avec John Horst, tous deux partageant une sorte de don pour mettre les autres à l'aise. Outre Arthur plongé dans son travail, il n'y avait que le père Delgado pour rester à l'écart, mais personne ne semblait s'en formaliser. Il ne se montrait pas désagréable, seulement peu accessible. Il se contentait d'ignorer les autres, qui le lui rendaient bien. Lucie se demandait bien ce qui pouvait lui passer par la tête, d'autant qu'il lui avait paru étonnamment sympathique quand ils s'était croisés plus loin dans le train un peu avant le choc, comme s'il y avait chez lui quelque chose de caché derrière une surface des plus distantes, quelque chose qui pouvait avoir un peu de mal à sortir mais qui le rendait plus doux, quelque part. D'autant qu'elle ne savait toujours pas qu'il s'agissait de l'homme qui avait verrouillé la porte derrière elle.

     

  • Lucie 28

    Hop, deux p'tites pages aujourd'hui, même si j'ai eu de la peine à m'y mettre. J'ai l'impression d'avoir véritablement le moment charnière où l'histoire bascule dans une seconde partie, et j'ai un peu de peine à faire le lien... Bah, on verra bien ce que ça va donner!

     

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    Stuart Moore était très occupé de son côté : assis sur une caisse là où le major Adams l'avait laissé, il était en train de se rouler une cigarette. Avec une application qu'il ne réservait qu'à peu de choses dans sa vie, il prenait soin de ne pas faire tomber le moindre brin de tabac. Au sein de l'Hégémonie, fumer était un luxe qui n'était pas toujours regardé d'un bon œil. L'espace cultivable était limité sous terre, et les plantations de tabac n'étaient de loin pas une priorité. Du tabac de synthèse était produit, bien sûr, mais le produit véritable ne courrait pas les rues et trouvait principalement preneurs au sein du Domaine. Et les Moore n'y avaient jamais eu leur quartiers Pour un vice transmis de père en fils, fumer s'avérait être bien plus compliqué que de s'adonner à l'alcool, et Moore avait longtemps dû se contenter de tabac de seconde zone grappillé ici et là dans les ruelles obscures du vieux quartier industriel d'où il venait. Un quartier bien plus ancien et étroit que celui dont venaient Martha et Lucie Robbins. Si le gouvernement prenait soin de ses citoyens pour peu qu'ils y mettent du sien, il ne pouvait pas veiller sur tous ceux qui n'avaient jamais cru bon de faire de leur mieux pour le système. Les laissés pour compte existaient, et Stuart Moore estimait avec indignité en faire partie, comme son père et son grand-père avant lui. C'était pour éviter de devoir prendre un travail éreintant à l'usine que Stuart s'était engagé dans l'armée, mais son service tirait à sa fin et ni lui, ni ses supérieurs ne l'imaginaient faire carrière une arme dans les mains et un sac trop lourd sur le dos. Et les perspectives d'avenir qui s'offraient à lui ne l'enchantaient pas vraiment. Il valait mieux que cela, et ce n'était pas de sa faute si personne à part lui ne s'en rendait pas compte. Et il ne pouvait pas compter sur le major Adams pour placer un mot en sa faveur. L'officier était clairement sur le dos de Stuart depuis que celui-ci avait été affecté à son escouade, et il ne s'était jamais privé pour le faire savoir. Il suffisait de voir comme la seconde promotion au grade de caporal avait été attribuée à cette fillette de Jones plutôt qu'à lui, qui avait pourtant plus d'ancienneté. Stuart aurait été prêt à parier qu'elle avait fricoté avec Adams pour ce faire, si la donzelle n'avait pas été en permanence en train de dévorer Velázquez des yeux. Et en parlant de Velázquez, ce dernier n'était pas mieux qu'une bonne femme, et ce dandy prétentieux ne méritait pas ses galons. Il n'y en avait pas un pour rattraper l'autre, de toute façon : Jung et Ravert passaient tellement de temps ensemble que cela en devenait fichtrement suspect, et il n'y avait pas pire que la prétendue intégrité dont faisait preuve ce coincé d'Adams. Les types droits étaient les pires, parce qu'ils se cachaient leur vraie nature. Stuart, lui, n'avait jamais eu le moindre doute sur qui il était. Il n'avait pas de temps à perdre avec ça.

     

    -Une foutue bande crétins, grogna-t-il, la langue au coin des lèvres tandis qu'il entreprenait de rouler la feuille de sa cigarette.

     

    Il avait réussi à ne pas gâcher de tabac, et il était plutôt satisfait. D'autant qu'il ne s'agissait pas de cet ersatz synthétique, mais du véritable produit. En tenir une poignée dans la main revenait presque à être en possession d'une petite fortune. Et Stuart Moore aimait cette sensation au moins autant qu'il aimait la voir partir en fumée au bout de ses lèvres. Parce qu'il savait qu'il y en aurait beaucoup d'autres désormais, maintenant que quelqu'un voyait sa juste valeur. Une valeur élevée, comme de bien entendu. Et il n'avait même pas eu à lever le petit doigt : tout ce qu'il avait eu à faire, c'était s'arranger pour que son contact ait libre passage. Rien de plus. Maintenant, il n'avait plus qu'à attendre, au même titre que les autres passagers. Ce n'était pas un gros sacrifice, quand il songeait à la récompense. Et puis cela lui plaisait, de voir ces crétins perturbés à ce point, ça allait leur apprendre, tiens, à s'affoler pour si peu. Bien sûr, Adams et les autres avaient des soupçons, mais c'était dans leur nature, et ils n'étaient pas portés sur Stuart qui, de toute façon, n'avait techniquement rien fait. Ses mains étaient propres, et elles sentaient bon le vrai tabac. Que ses collègues cherchent leur fantôme, cela les occuperait. Moore allait se contenter de rester assis bien tranquillement dans soin coin.

     

    Satisfait de son œuvre, il leva sa cigarette pour l'examiner sous toutes les coutures avant de sortir son briquet. Il dût s'y prendre à plusieurs fois pour l'enclencher, et se dit qu'il lui faudrait investir dans un nouvel appareil une fois rentré. Après tout, il en aurait enfin les moyens, et il n'avait pas l'intention de lésiner. Enfin, une flamme embrasa la cigarette et le soldat la mit à sa bouche, tirant avec un plaisir non feint sur sa première bouffée depuis plusieurs heures avant même le départ. Adams n'aimait pas que Stuart s'adonne à son petit plaisir lorsqu'ils étaient en service ; il ne l'avait pas interdit, mais sa désapprobation n'avait pas besoin de mots. Et puis Adams n'aimait rien qui ressemble de près ou de loin à quelque chose d'amusant, de toute façon. De plus, Sungmin ne manquait jamais une occasion de rappeler à Stuart à quel point son pêché mignon était préjudiciable pour sa santé et celle des autres, et Stuart en avait plus que ras le bol de tous ces prêchi-prêcha. Vivement qu'il soit débarrassé de tous ces idiots intolérants. Après tout, il n'avait qu'à prendre son mal en patience... Un bruit sourd le fit soudainement sursauter, et Stuart lâcha sa cigarette sous l'effet de la surprise. Elle tomba sur le sol où elle s'éteignit et s'ouvrit sous le choc, répandant son précieux tabac sur le sol.

     

    -Merde, c'est quoi ces conneries ?

     

    Stuart jura encore à voix basse, tandis qu'il se baissait pour rassembler les restes de la cigarette. Il rangea le tout dans une poche de poitrine, qu'il tapotait machinalement en regardant autour de lui d'un air soupçonneux. Il ramassa le fusil qu'il avait posé contre la cloison, et tendit l'oreille. Il y eut un autre bruit, plus léger, comme un raclement, mais il ne venait pas de ce wagon. Bougonnant, le soldat se dirigea vers la porte que Paul Ravert avait ouverte tout à l'heure :

     

    -Les gars ? Il y a quelqu'un ? Velázquez, c'est encore une de vos conneries ? C'est pas drôle. Ça l'est jamais, bon dieu ! J'ai foutu en l'air une sèche à cause de ça !

     

    Pas de réponse. Stuart poussa la porte et ne vit rien dans le couloir qui continuait plus loin, éclairé par la lumière plus faible de néons en piteux état. Tous n'avaient pas bien supporté le choc. D'ailleurs, c'était encore un boulot mal foutu, cette histoire. L'avantage, c'était qu'on ne pourrait lier Stuart à tout ce foutoir.

     

    -Les gars ?

     

    Toujours aucune réponse. Le bruit avait été si diffus, et Stuart si surpris, qu'il n'était pas sûr d'où il venait. Peut-être même qu'il l'avait imaginé. A rester assis dans un wagon vide, rien d'étonnant à ce que l'on finisse par imaginer des trucs. Mais il avait été soldat assez longtemps pour en retirer quelques réflexes vaguement professionnels. D'un pas traînant, il fit demi-tour et traversa la voiture de marchandises, dont les caisses et les paquetages avaient tous été repoussés sur les côtés. Il poussa sans plus réfléchir que cela une porte pour pénétrer dans la voiture d'après. Il fit quelques pas et s'apprêtait à faire demi-tour, avant qu'un nouveau bruit ne le fasse s'arrêter net. Avec un soupir résigné, il continua d'avancer jusqu'à la porte suivante. C'était probablement quelques caisses mal rangées qui s'étaient écroulées, ou quelque chose dans ce genre là. Mais il ne voulait pas avoir Adams sur le dos pour négligence, et plus vite il vérifiait, plus vite il pourrait retourner fumer... Il se mit soudain à frisonner, comme si la température avait chuté dans ce nouveau wagon, et il comprit rapidement pourquoi : une ouverture se découpait dans la cloison, laissant entrer l'éclatante lumière de l'extérieur et le froid qui l'accompagnait. Une sorte de sas, probablement une ouverture de secours. Stuart en avait repéré plusieurs depuis qu'il était monté dans le train, et son contact lui en avait parlé. Fort heureusement, elles n'avaient pas été nécessaires pour accomplir leur plan, ou du moins Stuart l'avait cru. Il doutait que le sas se soit ouvert tout seul, en tout cas... Il enfila sa cape isolante autour de lui et remonta le col de sa combinaison militaire avant de s'approcher. Peut-être que c'était la porte du sas qui avait causé ces bruits, claquant sous la force du vent. Mais cela ne semblait pas être le cas, elle était crochée contre l'extérieur pour éviter ce genre de désagrément.

     

    Un autre bruit, une sorte de raclement, se fit entendre. Comme si quelqu'un -ou quelque chose- traînait sur le sol. Et pour ne rien arranger, les lumières étaient mortes dans ce wagon, et il n'y avait que la lumière provenant du sas pour permettre à Stuart de voir quoi que ce soit à l'intérieur. Comme le fait qu'une porte de plus était grande ouverte, celle qui menait à la prochaine voiture. Dehors, le vent souffla de plus belle, et Stuart dut tendre l'oreille pour tenter de percevoir un autre son. Plus lentement, il continua d'avancer, laissant le sas derrière lui, jusqu'à la jonction... et crut voir quelque chose de gros s'y découper brièvement avant de disparaître aussitôt.

     

    -Qui va là ? C'est vous ? Ou est-ce qu'il y a quelqu'un d'autre dans le coup ? On ne me dit jamais rien, à moi...

     

    Mais malgré l'assurance qu'il essayait de projeter dans sa voix, Stuart se sentait de moins en moins rassuré. Semblable à celui des rongeurs les plus persistants, son instinct avait toujours sur lui souffler quand quelque chose ne tournait pas rond et qu'il était tant de quitter le navire. Ou le train. Nerveusement, il effleura le communicateur à sa ceinture, hésitant à appeler le reste de l'escouade. Mais il ne voulait pas le faire avant d'en avoir le cœur net, à moins que cela ne soit absolument nécessaire. Il glissa la tête dans le passage entre les voitures... et se retrouva nez à nez avec quelque chose qui jaillit de la pénombre. Un juron au bord des lèvres, Stuart se précipita en arrière et tira la porte à lui ; elle ne referma pas correctement mais permit au moins au soldat de gagner du temps, ébranlée par le choc sourd de la chose qui venait de s'écraser contre elle. Moore n'avait jamais rien vu de pareil, et il sut que cette image resterait gravée en lui jusqu'à la fin de ses jours. Il se mit à reculer, sou le choc, tenant son fusil d'une main tandis que de l'autre, il essayait de décrocher son communicateur. Jusqu'à ce qu'il entende quelque chose d'autre, comme un grondement qui sifflait dans son dos. Lentement, de la sueur lui coulant sur les yeux, il se retourna. Il y avait une autre de ces choses derrière lui, elle avait dû entré par le sas. Comme l'autre, plus loin.

     

    Stuart Moore se mit à hurler.