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Plume de Renard - Page 44

  • Lucie 33

    Et deux p'tites pages, en ce vendredi!^^

     

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    -Des signes d'activité, deux wagons plus loin que celui dont avez dû court-circuiter la porte pour venir jusqu'ici.

    -Vous avez vu quelqu'un ?

    Grümman se racla la gorge, comme s'il n'était pas tout à fait sûr de lui :

    -Pas vraiment. L'image est mauvaise, je pense que cette caméra a été abîmée. Leur entretien n'a jamais été de la plus grande priorité. Mais il y a du mouvement, j'en mettrais ma main au feu, si seulement on avait un bon feu autour duquel se réchauffer. Cette saloperie de système de chauffage est en vraie perte de vitesse, et je n'aurai bientôt plus de café...

    -Capitaine Grümman ? le coupa Adams.

    -Oui ?

    -Venez en au fait.

    -Ah, oui, pardon. Un sas d'urgence est ouvert, c'est ça que j'ai vu. Que je suis en train de regarder en ce moment. Et je doute fortement que ce soit juste à cause du vent, même agité comme il est aujourd'hui.

    -Vous pensez que c'est votre homme ? Detroit, c'est bien ça ?

    -Affirmatif, major. Je ne vois pas qui d'autre aurait pu l'ouvrir. Ce qui n'est pas normal, c'est que le sas soit resté ouvert. Stan est un gamin enthousiaste, mais consciencieux. Il n'aurait jamais oublié de refermer derrière lui, c'est certain.

    -Le sas a peut-être été endommagé lors du choc ? Il ne fermerait plus correctement ?

    -C'est possible. J'en doute, ces systèmes sont parmi les plus solides du train, mais je n'aurais jamais cru que nous pourrions être arrêtés ainsi en pleine course, alors qui sait ? Ou alors, il n'a pas eu le temps de refermer derrière lui, mais je ne vois pas pourquoi. Qu'on soit pressé de rentrer, avec un tel climat dehors, je le comprends tout à fait mais, une fois à l'abri à l'intérieur, pourquoi se presser ?

    -A moins qu'il soit tombé sur quelque chose qui ne lui ait pas laissé beaucoup de temps pour réagir. Ou quelqu'un.

    -Vous pensez toujours que quelqu'un est responsable de tout ce bordel ?

    -Et vous, capitaine Grümman ?

    Il y eut un silence un peu plus long, et le major pouvait presque entendre Grümman grimacer derrière sa radio :

    -Dieu sait que je n'aime pas ça, mais vous devez avoir raison. Je ne vois vraiment pas ce qui aurait pu se passer d'autre. J'ai vérifié et revérifié les données disponibles et les systèmes de commandes, je ne pense pas que ça vienne de nous. Et Stan n'avait rien trouvé non plus. En cas de panne soudaine, nous avons assez de contingences pour en être avertis, ne serait-ce que pour nous donner une cause probable. Et il semblerait que rien à l'extérieur ne soit en faute non plus, vu qu'il n'y a rien sur ce foutu caillou gelé... Non, quelqu'un a dû agir depuis l'intérieur, probablement au niveau des machines. Et quelqu'un qui savait assez ce qu'il faisait pour éviter de nous faire dérailler et de nous précipiter dans le décor. Et avant que vous ne le demandiez, j'ai passé en revue les images dont je disposais, mais les enregistrements ne sont pas tous fonctionnels, et la plupart ne contiennent que quelques minutes d'archives, voir une heure ou deux tout au plus. Ça fait de nombreux mois que Stan et moi bassinons Ed Travers pour qu'il fasse quelque chose à ce sujet et remette tous les systèmes de sécurité en ordre, mais ce couillon est doté d'une capacité inouïe à faire traîner les choses.

    -Vous n'en savez pas plus, alors ?

    -Toujours pas. Je sais que Stan comptait se rendre du côté des machines pour en avoir le cœur net, il en saura certainement plus que moi. A vrai dire, je me disais que vous en sauriez plus que moi aussi...

    -Ah bon, capitaine Grümman ? Comment cela ?

    -Et bien c'est vous, le soldat. Vous et vos gars. Je n'aime pas me poser de questions, alors je n'ai pas chercher à savoir pourquoi on m'a demandé de transporter une nouvelle escouade de plus, ni pourquoi vous n'avez pas tenu à vous mêler aux autres passagers dans le voyage, mais...

    -...mais vous vous demandez si notre présence ici à quelque chose à voir avec un mystérieux saboteur sorti de nulle part. Je ne vous en veux pas de vous poser cette question-ci, d'autant que je me serais posé la même à votre place, mais je n'en sais pas plus que vous.

    -Pas de transport secret de prisonnier dangereux, alors ?

    -A moins que cela ne soit assez secret pour que même moi je ne sois pas au courant, je ne crois pas, capitaine Grümann.

    -Bon, ça ne coûtait rien de demander, on ne sait jamais...

    -Est-ce que vous êtes toujours branché sur ce fameux wagon, capitaine ?

    -J'ai basculé sur le canal direct, je ne le quitte pas des yeux.

    -Le sas est toujours ouvert ?

    -Affirmatif.

    -Bon, et bien j'imagine qu'il est de notre devoir d'aller y faire un tour, histoire de voir de quoi il s'agit. Merci, capitaine.

    -Je ne fais que mon devoir, comme je l'ai toujours fait. Et, dites, major...

    -Nous nous occuperons de rechercher votre jeune ami par la même occasion, bien entendu.

    -Merci major.

    -C'est normal. Mais dites moi -et je risque de vous fâcher, mais je me dois de poser la question- ce Detroit est-il digne de confiance ?

    -Stan ? Je lui confierais ma vie, et même les commandes intégrales du train, c'est dire ! C'est un bon gamin, major, aucune chance qu'il soit mêlé à tout ça. Si vous aviez vu sa tête après le choc... L'idée qu'on s'en soit pris au train le trouble au moins autant que moi. Nous faisons partie de lui.

    -Je vous crois, capitaine. Mais je me dois de considérer toutes les pistes. Autre chose ?

    -Non major. Si ce n'est ce que me souffle mon instinct, et il n'a que rarement eu tort concernant ce qui se passe à bord de mon train. Faites attention à vous. Et... major ?

    -Oui ?

    -Prenez soin de Stan. Et quand vous l'aurez trouvé, venez m'ouvrir, s'il vous plaît. Finalement, je serai ravi de voir du monde.

    -Bien entendu. En attendant, gardez un œil sur les caméras, et votre radio à portée. Terminé.

    Canton Adams redonna sa radio à Paul Ravert et, les mains sur les hanches, contempla l'ensemble du wagon et de ses passagers :

    -Le capitaine Grümman nous a fait parvenir de nouvelles données qu'il nous appartient d'aller vérifier. Je vais envoyer une petite équipe sur place, et j'espère que cela nous permettra de mieux comprendre la situation. Velázquez ?

    -Major ?

    Le grand caporal laissa tomber ses cartes et se leva, au garde-à-vous :

    -Vous allez partir en mission pour moi. Prenez Ravert, et ramassez Moore au passage. Paul, contactez ce dernier, d'ailleurs, qu'il soit sur ses gardes.

    -J'ai essayé, monsieur. Seulement... Il ne répond pas. Peut-être que son communicateur personnel est défectueux.

    -Si il n'y avait que son communicateur de défectueux... Adams leva les yeux au ciel, avant de continuer :

    -Essayez encore. Je n'aime pas ça. J'espère que cet abruti n'en profite pas pour se la couler douce...

    -Stuart ? Stuart, tu m'entends ? C'est Paul. Prépare toi, on vient te rejoindre.

    Il secoua la tête :

    -Toujours rien, monsieur.

    -Ce n'est pas normal, même pour lui... Allez-y, et maintenez le contact. Et quand vous aurez trouvé Moore, sonnez lui les cloches ! Il va m'entendre, celui-la.

     

     

  • Lucie 32

    Un peu plus d'une page pour aujourd'hui! Si je ne maintiens plus forcément le rythme d'un post par jour, ce n'est pas par manque de motivation ou lassitude, mais simplement parce que j'ai plein de choses à faire (ce qui est plutôt chouette d'ailleurs^^)! Alors ne vous inquiétez pas quand rien ne vient, ce ne sera pas parce que j'ai la moindre intention d'abandonner en cour de route, promis!^^

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    -Comment va-t-elle ?

    Assis sur l'un des sièges de la rangée la plus proche de la sortie, Canton Adams inclina la tête dans la direction d'où se trouvait Lucie. Installée en face-de lui, de manière à garder un œil sur sa fille, Martha Robbins prit le temps de longuement contempler cette dernière avant de répondre.

    -Aussi bien que possible, étant donné les circonstances.

    -C'est une gamine solide. Elle se s'est pas laissé démonter quand nous l'avons trouvée, et elle venait pourtant de se prendre un sacré coup sur la tête.

    -Elle n'a jamais été une pleurnicheuse. Quand elle rentrait de l'école avec les genoux écorchés, je devais batailler ferme pour qu'elle se tienne tranquille juste assez de temps pour que je nettoie les plaies et y applique un pansement. Et elle repartait aussitôt à l'aventure, dans les coins les plus improbables. Je me rappelle... Le pilier principal, dans notre quartier, a été contrôlé et rénové il y a six mois de ça. Un jour, à la nuit tombée, je l'ai surprise en train d'escalader l'échafaudage laissé par les ouvriers, à la seule lueur du lampadaire du coin de la rue. Je sortais de mon service au bistrot, et j'ai repéré cette petite silhouette qui grimpait le long du béton. J'aurais hurlé, si je n'avais pas eu peur de la surprendre et de la faire décrocher. J'ai dû attendre qu'elle prenne pied sur la première plate-forme, plusieurs mètres au-dessus du sol. J'ai cru que mon cœur allait s'arrêter. Dès qu'elle m'a vu, elle a su qu'elle aurait les plus gros ennuis de sa vie si elle osait continuer. Elle n'avait plus qu'à redescendre, et moi à la regarder faire, morte de peur. Je n'avais pas le choix, remarquez : le temps que j'aille chercher quelqu'un avec le matériel nécessaire -peut-être un des ouvriers attablés dans le café après son service- elle aurait déjà été à mi-chemin du sol.

    -J'imagine que la discussion qui a suivi aura été animée.

    -Je ne sais pas si on peut vraiment appeler ça une discussion. J'étais tellement furieuse que je n'ai pas réussi à me contrôler assez pour dire le moindre mot avant que nous ne soyons rentrées à la maison. Mais je peux vous certifier qu'une fois à l'intérieur, elle m'aura entendu ! En général, je n'ai pas vraiment besoin de hausser le ton avec elle : elle voit très bien quand elle fait une bêtise qui me met hors de moi, et il paraît que j'étais reconnue dans tout le quartier pour ce qu'on appelait mes colères froides. Hurler ne sert à rien, tout est dans le regard... Il y aura rarement eu un client qui aura plus d'une fois tenté de gruger sur son pourboire ou de m'effleurer les fesses au passage.

    -Je l'imagine bien, oui, fit un major Adams, qui n'avait pas pour habitude d'effleurer les fesses de qui que ce soit, au passage ou pas, mais qui ne pouvait s'empêcher de trouver l'idée soudainement troublante. Martha Robbins l'avait impressionné dès qu'il avait posé les yeux sur elle, et ce sur bien des points, certains même dont il avait oublié l'existence depuis bien longtemps.

    -Quoi qu'il en soit, j'ai pas mal crié ce soir là, parce qu'elle ne m'avait encore jamais fait une peur pareille. Et je pense que je m'y étais bien forcée afin de faire bon exemple, parce qu'au fond, je ne pouvais m'empêcher d'être fière, en même temps. Elle n'a jamais eu froid aux yeux, et c'est aussi source de fierté que de trouille bleue.

    -Comme sa mère, se surprit à dire Adams, qui n'était pas du genre à parler sans réfléchir. Il croisa le regard de Martha, presque aussi bleu que le sien, et il s'aperçut qu'il ne pourrait pas regarder ailleurs même s'il l'avait voulu. Fort heureusement, ce fut elle qui rompit le contact le premier, reportant son attention sur sa fille :

    -Un peu trop, même. C'est bien ce qui me fait le plus peur.

    Le major jugea sage de ne rien répondre tout de suite, et reprit la tâche qu'il avait commencée en s'installant ici quelques minutes plus tôt. Il avait sorti l'arme de service qu'il portait à sa ceinture, un gros pistolet d'officier à la crosse boisée, et il avait entreprit de le nettoyer avec soin. Il le faisait régulièrement, aussi bien parce que l'exigeait le règlement que parce que cela lui permettait d'occuper -et même d'affûter- son esprit. Tandis qu'il démontait le canon et les autres pièces pour délicatement s'occuper de chacune, il pouvait profiter de ces gestes machinaux pour atteindre une sorte de paix intérieure qu'il n'éprouvait que rarement en temps normal. Malgré la grande maîtrise de ses expressions, généralement taciturnes, Canton Adams n'était pas le puits de calme qu'il s'efforçait de montrer au reste du monde, et il avait toujours bouillonné d'une fougue intérieure qu'il avait du mal à contenir. Rien ne lui pesait plus que l'inaction, ce qui expliquait sans-doute pourquoi il avait aussitôt accepté de se rendre à Haven avec son escouade sans discuter plus avant quand ses supérieurs lui avaient proposé de rejoindre la garnison du fameux complexe. Mais rien ne l'avait préparé à se retrouver bloqué au milieu de nulle part avec un paquet de civils sur les bras, ni à rencontré un tel bout de femme. A vrai dire, il ne savait pas encore ce qui était le plus éprouvant dans tout ça.

    -Vous avez déjà eu à vous en servir ?

    Il leva la tête de son ouvrage, pour réaliser que c'était de son arme que parlait maintenant Martha Robbins. Elle le fixait avec une intensité curieuse, et il était bien en peine de devenir à quoi elle pouvait bien penser.

    -Une fois ou l'autre, seulement quand j'y étais obligé.

    -Et c'est efficace ?

    -Ce n'est pas une arme d'apparat, et ce n'est jamais du joli, le résultat. Elle fait ce qu'on attend d'elle. Pourquoi ?

    -Je me suis toujours demandé ce que cela aurait pu changer...

    -D'utiliser une arme ?

    -De posséder un vrai moyen de se défendre. Un moyen vraiment définitif.

    Elle regardait à nouveau Lucie en disant cela, et Canton Adams ne put s'empêcher de poser la question qui le démangeait depuis tout à l'heure :

    -Et le... le père de l'enfant. Il ne pouvait pas la défendre ? Sans mettre en cause votre capacité à le faire vous même, bien entendu.

    -Il n'y a pas de père. Je l'ai décidé ainsi dès que j'en ai eu la possibilité. Et il aurait été le dernier à pouvoir la protéger de quoi que ce soit. Il...

    Martha se tut, le regard incroyablement dur, et parut finalement sur le point de continuer quand ils furent interrompus par Paul Ravert, sa radio à la main :

    -Excusez moi major, mais Grümman aimerait vous parler. Ça semble important.

    Adams s'arracha aux yeux de Martha Robbins et, avec un bref sourire d'excuse à son sujet, prit l'appareil qu'on lui tendait :

    -Capitaine Grümman, ici le major Adams. Qu'est-ce que vous avez pour moi ?

  • Lucie 31

    Et voilà, une nouvelle page, hop!^^

     

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    Daniel Grümman étira ses membres endoloris et, sentant ses os craquer un à un, se dit qu'il commençait vraiment à se faire vieux. Pour être tout à fait honnête, le processus s'était enclenché il y a un bon moment déjà, mais il s'était jusqu'ici toujours arrangé pour ne pas s'y confronter. Rien de tel que de se retrouver seul et coincé dans un train sans vie, au milieu d'un désert gelé, pour se retrouver face à soi-même. Et Grümman n'était pas sûr d'aimer le résultat. Il avait de plus en plus froid, au point qu'il avait dû aller chercher sa propre tenue d'extérieur dans le casier pour en enfiler une couche, et ses muscles secs et fatigués lui faisaient mal. Sa concentration n'était plus la même qu'il y a quelques années encore, et sa vue baissait. Et dans les recoins de son esprit, il ne pouvait s'empêcher de se demander s'il n'était pas en partie responsable de ce qui était arrivé. Il avait beau avoir vérifié et revérifié tous les systèmes possibles et n'avoir trouvé aucun défaut dont il aurait pu être à l'origine, il craignait avoir manqué un élément capital. Il n'aurait suffi que d'un bref moment d'inattention, d'une seule petite erreur pour que tout se détraque. Grümman l'avait toujours su, et il s'était toujours montré des plus diligent à ce sujet. Voilà pourquoi il avait pu garder son poste si longtemps, parce que jamais le voyage n'avait souffert sous son égide. Bien sûr, il avait connu une panne une fois ou l'autre, mais jamais de son fait, et jamais rien de bien grave. Mais aujourd'hui, la situation semblait différente, il pouvait le sentir, comme si le lien qu'il avait développé avec ce qu'il appelait depuis longtemps son train l'avertissait que quelque chose de sinistre était à l’œuvre. Et Daniel craignait d'en être en partie responsable. Voilà pourquoi il avait accepté avec soulagement les directives du major Adams via leur conversation radio, et pourquoi il avait accepté de faire valoir à nouveau son ancien grade dans l'armée de l'Hégémonie. En redevenant le capitaine Grümman, il avait le sentiment de reprendre le contrôle de la situation et, surtout, de faire partie de quelque chose de plus grand : il n'était plus seul, et tout ne dépendait plus uniquement de lui.

     

    De son temps dans les forces militaires, Daniel ne gardait que des bons souvenirs. Il avait aimé la rigueur du service, rigueur qu'il s'était employé à conserver tout au long du reste de son existence et à appliquer dans chacun des aspects de son travail. Il aimait les règles, elles simplifiaient la situation et lui donnaient des buts clairs. Grümman n'était pas un homme compliqué, mais il ne l'était pas par manque d'esprit : il croyait réellement dans le pouvoir des choses simples. Voilà pourquoi il n'aimait pas se poser des questions à moins que cela ne soit absolument nécessaire, et pourquoi il était aussi efficace dans son travail. Il ne s'était jamais demandé ce qui arrivait aux passagers qu'il déposait régulièrement à Haven, ou pourquoi l'Hégémonie y envoyait plus de soldats depuis quelques temps. C'était des détails qui ne concernaient pas la tâche qu'il se devait d'accomplir, à savoir mener son train à bon port. Ce à quoi il n'avait jamais failli, jusqu'à aujourd'hui. Oui, il se sentait plus vieux et fatigué que jamais, comme si la vie se décidait enfin à venir lui réclamer le tribut d'une vie de service. Mais il devait le sentir depuis quelques temps déjà, même s'il ne se l'était pas avoué. Cela expliquait pourquoi il avait pris autant à cœur la formation de Stan Detroit, en qui il avait reconnu les capacités et la passion nécessaire pour reprendre le flambeau. Le gamin était sensé et savait garder les pieds sur terre malgré l'empressement propre à la jeunesse, et il ferait un très bon conducteur une fois sa formation terminée. Ce n'était pas le seul apprenti que Grümman formait, mais c'était celui qui avait le plus de promesses, et à qui le chef opérateur pouvait imaginer passer le flambeau. Et il ne pouvait s'empêcher de se dire que le moment n'avait que trop tarder. Daniel Grümman n'avait jamais imaginé sa vie au-delà de son travail, mais il commençait soudainement à se dire qu'il n'aurait pas volé la retraite qui l'attendait. Économe, il avait mis assez d'argent de côté au cour de sa longue carrière pour peut-être permettre à sa famille et lui de se retirer dans la banlieue du Domaine. Après tout, il avait dédié sa vie à servir l'Hégémonie, et fait preuve d'excellence à son poste unique, à savoir conducteur du seul train parcourant la surface d’Éclat. Et puis sa femme lui disait depuis assez longtemps qu'il était temps pour lui de lever le pied...

     

    Un soupir aux lèvres, les sourcils froncés par la réflexion, il but une nouvelle gorgée du café noir très fort qu'il aimait tant, et grimaça en se rendant compte qu'il refroidissait rapidement, même dans le gros thermos de plusieurs litres qu'il gardait toujours avec lui dans la voiture de tête, dans un compartiment spécial sous le tableau de bord. D'habitude, il envoyait Stan en réchauffer, mais le gamin n'avait toujours pas réapparu, et Grümman commençait à se faire plus de soucis qu'il n'avait voulu l'avouer au major Adams. Dieu seul savait ce que Stan avait pu se mettre en tête, et Daniel espérait qu'il n'avait rien entrepris de déraisonnable. Posant brusquement sa tasse, le chef opérateur se replongea dans la contemplation de l'écran de sécurité, ses mains pianotant sur le panneau de commandes pour passer en revue les caméras qui fonctionnaient encore. Il passait inlassablement de l'une à l'autre, cherchant un signe du passage de son apprenti ou, mieux encore, Stan en personne. Mais le gamin restait introuvable, et il n'y avait pas âme qui vive dans le train en-dehors de celles qui s'étaient rassemblées dans le wagon des passagers. Et là aussi, Daniel sentait l'inquiétude monter en lui, pour Stan mais aussi pour la cause de cet arrêt forcé : si quelqu'un était réellement responsable de tout cela, la simple idée de l'imaginer ramper dans les entrailles de son train rendait Grümman malade. S'il tenait un jour un tel saboteur entre ses mains... Mais ce fut quelque chose d'autre qui attira l'attention du conducteur tandis que son écran lui montrait une à une les images du train. Il saisit la radio qu'il avait accrochée à sa ceinture et l'alluma sans perdre de temps :

     

    -Major ? Ici le capitaine Grümman. Je crois bien que je viens de voir quelque chose de plutôt bizarre...