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Plume de Renard - Page 47

  • Lucie 24

    Pas de post hier, mais parfois on n'a tout simplement pas le temps! Mais je reprends aujourd'hui, avec une nouvelle page! Tant que je suis capable de m'y remettre, je pense que ce n'est pas trop grave s'il m'arrive de passer une journée sans écrire. En fait, je me dis que le fait d'arriver à m'y remettre même après une pause, c'est plutôt bon signe.^^

     

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    Quelques gloussements agitèrent les soldats, et même le grognon Stuart Moore ne put s'empêcher de sourire. Velázquez faisait de son mieux pour afficher l'air le plus indigné dont il était capable, tout en réussissant à ne rien perdre de sa superbe. Samantha Jones était celle qui avait ri le plus franchement, et elle échangea un regard complice avec Lucie. La fillette se sentait à l'aise en compagnie de l'escouade, et elle était même plutôt ravie d'être tombée sur eux après le choc. Elle se sentait en sécurité avec eux, et le major Adams avait confirmé la promesse que le caporal Velázquez avait fait à la gamine quand il l'avait trouvée, à savoir qu'ils la ramèneraient à sa mère quoi qu'il arrive. Elle n'avait jamais rencontré de soldats avant eux, mais ils ne lui faisaient pas l'impression de redoutables guerriers à l'air sérieux et au maintien raide. ^4Mais elle sentait le professionnalisme dans chacun de leurs gestes, et ils étaient capables de passer de la décontraction la plus totale à un état d'alerte de rigueur en un instant, comme actionnés par un interrupteur. Si l'Hégémonie n'avait aucune présence étrange à craindre ni aucune guerre à mener, elle n'en prenait pas moins le maintien et l'entraînement de ses troupes au sérieux. Ces dernières étaient l'héritage d'une longue tradition débutée bien avant l'arrivée des colons sur Éclat, et elles étaient la représentation de la force et de la stabilité du gouvernement. Et si les soldats patrouillaient rarement dans les rues des complexes et n'intervenaient en public que lors d'événements particuliers comme l'effondrement de la zone sud, ils n'étaient pas moins la cible d'un respect certain. Lucie, elle, n'en avait que très peu croisés, une fois ou l'autre lorsque sa mère et elle s'étaient éloignées de leur vieux quartier -notamment le jour où elles étaient allées retirer leurs sauf-conduits pour Haven- ou au détour d'une retransmission d'une quelconque cérémonie officielle.

    Tandis qu'elle les observaient accomplir leur tâche, à savoir progresser vers l'avant du train, Lucie se demandait pourquoi tous ces soldats armés étaient en route pour Haven. Elle n'avait jamais vu autant de personnes ainsi équipées, et ils auraient aussi bien pu représenter une petite armée à ses yeux. De ce qu'elle savait, les militaires étaient censés protéger le peuple, et elle était curieuse de savoir de quoi Haven avait besoin d'être protégé. Toutes les implications qui en découlaient échappaient à la fillette, et ses questions n'étaient que l’œuvre de sa curiosité, aussi n'osait-elle pas les poser directement à l'un ou l'autre soldat. Et puis elle était bien contente de les savoir à bord ; maintenant que le choc de l'accident était passé, elle se sentait bien rassurée en leur compagnie. Il lui suffisait de percevoir la force tranquille qui émanait du major Adams pour se dire que rien ne pourrait lui arriver tant que lui et ses hommes seraient dans les parages.

    -Tu as faim ?

    Samantha Jones s'assit à côté de Lucie, faisant glisser la lanière de son fusils par-dessus son épaule pour poser l'arme à plat sur le sol, devant elle. Elle sortit quelque chose d'une des poches de sa combinaison et en déchira l'emballage pour dévoiler une barre énergétique à base de céréales. Elle la tendit à Lucie, qui l'accepta de bon cœur ; elle n'avait rien mangé depuis le matin avant l'embarquement à la Grande Gare, et cela faisait un petit moment que son estomac gargouillait, criant famine.

    -Merci.

    Elle mordit à pleines dents dans l'aliment qui n'avait aucun goût particulier, mais qui lui parut délicieux malgré tout. Elle se mit à le mâcher avec diligence, en appréciant la robuste consistance. Elle avala avec délice sa première morse, et attaque de plus belle, sous l’œil amusé du caporal Jones.

    -Et bien, on dirait que ça te plaît. Ça doit être parce que tu n'en a as pas encore l'habitude... Crois moi, ces rations perdent vite de leur charme. La femme tordit son visage en une grimace volontairement comique ; elle n'était sans doute pas considérée comme réellement belle, mais il se dégageait de ses traits quelque chose d'assez doux et délicat pour 1a rendre attirante, d'une certaine façon. Elle invitant à la confidence, et Lucie avait l'impression d'être en compagnie d'une vieille amie, un peu comme une tante qu'elle n'avait jamais eue.

    -Est-ce que le caporal Velázquez est toujours... aussi comme ça ? s'enquit la jeune fille, qui voyait bien que Samantha ne pouvait s'empêcher de régulièrement observer l'élégant caporal. Pour l'instant, il devisait calmement et à voix basse avec le major Adams.

    -Hein ? Samantha Jones parut surprise, et Lucie crut la voir rougir, avant qu'elle ne se reprenne. Oh, oui. On s'y habitue, crois moi...

    Lucie eut l'impression que la femme voulait ajouter quelque chose mais qu'elle n'osait pas aller jusqu'au bout de sa pensée, comme si elle se demandait si c'était là quelque chose de raisonnable. Elle à Lucie la manière dont beaucoup d'hommes s'étaient comportés avec sa mère, Arthur Kent compris.

    -Vous l'aimez bien ?

    Samantha Jones, pourtant une militaire d'élite entraînée aussi bien que n'importe lequel de ses camarades, fut à nouveau déstabilisée par cette petite fille sortie de nulle part. Sa bouche s'ouvrit une fois, puis deux, sans qu'aucun son n'en sorte. Elle n'avait aucune idée de ce qu'elle pourrait bien répondre à ça, et le réalisait n'arrangeait pas beaucoup la situation. Et avant qu'elle ne puisse reprendre ses esprits, un éclat de voix triomphant retentit dans le wagon, et elle tourna la tête vers sa source, soulagée.

    -C'est parti!

    Paul Ravert contemplait triomphalement la porte, et un léger bourdonnement pouvait se faire entendre là où il avait pu faire repartir le courant. Sungmin lui donna une joyeuse tape sur l'épaule, et Adams hocha la tête :

    -Bon travail, Paul.

    -Ça ne va pas durer, juste le temps de déverrouiller manuellement le système de fermeture. Mais une fois fait, plus besoin de courant pour passer.

    -Alors allez-y, ouvrez la !p

    -Bien major !

    Ravert s'exécuta, un déclic se fit entendre et le courant mourut peu après. Mais la dérivation avait fait son office, et le soldat put faire coulisser la porte sur le côté, ouvrant le passage et révélant les visages étonnés de Martha Robbins et Kenneth Marsters.

  • Lucie 23

    Je n'avais guère d'inspiration et j'étais tout sauf motivé, aujourd'hui, et finalement j'ai pondu non pas une, mais deux pages! Allez comprendre...^^ C'est peut-être parce que j'ai pu retrouver des personnages qui m'amusent et me plaisent beaucoup, ainsi que des nouveaux, et que ça introduit une autre dynamnique, j'sais pas... En tout cas, voici le passage du jour!

     

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    Emmitouflée dans la cape militaire trop grande pour elle que le caporal Velázquez lui avait donnée, Lucie observait avec intérêt les soldats en activité. Ils étaient six, les mêmes que sa mère et elle avaient croisé sur le quai, et ils se comportaient avec la rigueur et le sérieux des adultes qui savaient qu'ils avaient des choses importantes à faire. Même le caporal Velázquez, avec son éternel petit sourire en coin, ne semblait pas déplacé parmi ses camarades. Ils avaient fait le voyage dans un des wagons destiné au transport de marchandises, parmi les fournitures militaires destinées au contingent de l'Hégémonie basé à Haven. Ils avaient troqué leurs tenus colorées officielles dans lesquelles Lucie les avait vu avant le départ du train pour des combinaison aux motifs de camouflage blanc et bleu. Elles étaient épaisses et isolées pour les protéger du froid, et dotées de capuches. Tous avaient une paire de lunettes de protection autour du coup, et tous étaient armés : un fusil en bandoulière, un pistolet et un long couteau à la ceinture. Ils avaient remonté plusieurs wagons, arme au poing et torches allumées, jusqu'à tomber sur Lucie. Étonnés par la présence de la petite fille, ils avaient néanmoins réagi sans se laisser déstabiliser et avec efficacité. Outre la cape qu'on lui avait donnée, le médecin du groupe avait examiné les bleus qu'elle s'était fait pendant le choc et palper ses os pour s'assurer qu'elle n'avait rien de casser. Puis il avait délicatement désinfecté la blessure de son front avant d'y apposer un pansement bien épais. Les soldats en avaient profiter pour arrêter un instant leur progression vers l'avant du train, afin de faire le point sur la suite des événements. En les écoutant parler entre eux, Lucie comprit qu'ils ne savaient pas ce qui avait causé l'arrêt du train, et que c'était là quelque chose qui les inquiétait, de même que le sort des autres passagers.

    -Peut-être que le système de conduite automatique a fini par lâcher, supposa le caporal Velázquez de sa voix légèrement traînante mais agréable. Après tout, c'est un vieux machin. Ce train a été le premier transport mis en service à la surface. C'est même le seul !

    -C'est possible, mais ça m'étonnerait. L'Hégémonie ne néglige pas les révisions de l'engin, rétorqua le soldat qui se nommait Paul Ravert. C'était un homme grand et mince à la peau noire et au crâne chauve, portant un bouc impeccablement taillé. D'après ce que Lucie avait compris, c'était le membre du groupe qui s'occupait du matériel et de tout ce qui était technique. Il était à genoux sur le sol, son matériel étendu à côté de lui, en train d'examiner la porte bloquée, celle que le père Delgado avait tantôt verrouillée derrière la fillette.

    -Elle n'est pas infaillible. Il suffit de penser à la catastrophe de la zone sud. Ce genre de chose se devait de finir par arriver, ça nous pend au nez ! L'homme qui venait de parler était petit et sec, avec des yeux malicieux qui ne cessaient de bouger et lui donnaient l'air d'être perpétuellement aux aguets. Tout son corps semblait vibrer d'une énergie difficilement contenue et il ne tenait pas en place, se passant régulièrement une main dans sa tignasse noire ou tordant sa bouche dans une grimace incontrôlée. Il s'appelait Stuart Moore, et il mettait Lucie un peu mal à l'aise.

    -Justement, ils font bien plus attention à ce genre de chose depuis. Et puis ils ne peuvent se permettre de perdre le seul lien entre les deux complexes. Sung, passe moi la plus petite tige.

    Jung Sungmin, le médic qui avait examiné Lucie, se baissa pour ramasser l'outil en question et le tendit à Ravert, qui le remercia d'un hochement de tête. Sungmin était presque aussi grand que Ravert ; il avait la complexion de peau pâle et les yeux légèrement bridés qui étaient la preuve d'une origine asiatique qui remontait à avant l'Hégémonie, et des cheveux très noirs coupés courts. Une barbe de trois jours lui mangeait le visage et il se dégageait de lui quelque chose de rassurant, qui mettait en confiance. Lucie se disait que c'était là quelque chose de normal pour quelqu'un qui devait s'occuper de soigner les autres. Il plaisantait régulièrement à voix basse avec Ravert, et les deux hommes semblaient formés un véritable duo, un peu à la manière du caporal Velázquez et du caporal Jones, la seule femme de la bande.

    -Ça ne veut rien dire ! Moore balaya les arguments de Ravert d'un geste vif de la main, et Velázquez haussa un sourcil :

    -Peut-être bien que oui, peut-être bien que non. Mais au final, je pense comme Paul, Stuart. Je n'avais avancé la possibilité d'un incident technique que par pur souci d'exhaustivité. Mon instinct me souffle qu'il y a autre chose...

    -Comme quoi, par exemple ?

    -Je ne sais pas. C'est le problème de l'instinct, ce n'est pas très précis.

    -Vous pensez toujours que quelqu'un pourrait avoir causé tout ça, Paul?

    La question avait été posée avec la voix forte et profonde de l'homme aux yeux si bleus qui commandait l'escouade. Il impressionnait toujours autant Lucie, et il ne parlait pas pour ne rien dire, s'étant jusqu'ici contenté de donner ses ordres et de ne faire un commentaire que lorsqu'il le jugeait absolument nécessaire. Le major Canton Adams était un homme de peu de mots, et d'un caractère sombre ; non pas mauvais, mais comme résigné, un peu usé par le temps.

    -Franchement major, je pense que c'est l'explication la plus probable. Quelqu'un a dû agir de l'intérieur. Je n'exclus pas toute possibilité de problème technique ou d'erreur humaine, mais je ne parierais pas là-dessus.

    -C'est des conneries, tout ça ! Grogna Stuart Moore.

    -Épargnez-nous ce genre de commentaires, merci ! Si quelqu'un est vraiment responsable, ça veut dire qu'il va nous falloir au plus vite rejoindre les passagers et le personnel pour tirer ça au clair. Je n'aime pas l'idée de quelqu'un rôdant dans ce train avec de telles motivations en tête.

    -Et dire qu'on me ventait ce voyage comme sans histoires... «Aller à Haven, c'est tranquille ! », qu'on me disait. « T'es un planqué, Velázquez ! », et j'en passe. C'est fou ça, où que je mette les pieds, il se passe quelque chose d'intéressant !

    A côté de lui, Samantha Jones leva les yeux au ciel, et le major Adams ne releva pas; il était manifestement habitué au comportement de ses hommes. Il jeta un bref coup d’œil à Paul Ravert pour s'assurer de l'avancement de sa tâche, puis se tourna vers Lucie, qui s'était assise sur une petite caisse en métal contenant elle ne savait pas trop quoi. Elle serra plus fort la cape autour d'elle en contemplant le regard bleu du major ; il n'était pas menaçant ni effrayant, mais il en émanait une telle intensité qu'elle ne pouvait s'empêcher d'être dans la ligne de mire d'un redoutable oiseau de proie. L'homme se gratta sa courte barbe puis s'accroupit pour faire face à la fillette. Samantha Jones sourit à Lucie, comme pour la soutenir, et le major se racla la gorge avant de parler :

    -Dis moi... Lucie, c'est bien ça ?

    Elle hocha la tête.

    -Lucie. Je sais que tu nous as dit que tu étais simplement en train d'explorer le train quand il s'est arrêté, et je te crois. Tu m'as tout l'air d'être une fille curieuse, et les filles curieuses sont souvent les plus intelligentes. Alors peut-être que tu vas pouvoir nous aider. Est-ce que tu as vu, entendu... bref, est-ce que tu as remarqué quoi que ce soit de bizarre pendant que tu explorais tous ces wagons ? Quelque chose qui ne te paraissait pas à sa place, ou qui t'a vraiment étonnée ?

    La fillette prit le temps de réfléchir quelques instants. Elle était fière de se sentir prise au sérieux par cet homme si impressionnant, et elle ne voulait certainement pas passer pour une petite fille effrayée. Elle se repassa sa balade dans la tête, du moment où elle s'était éclipsée du wagon des autres passagers à celui où le choc avait ébranlé tout le train et où les caisses avaient failli l'écraser. Elle avait vu plein de choses bizarres, mais elle comprenait que c'était parce qu'il s'agissait de plein de choses qu'elle n'avait jamais vu avant, et que ce n'était pas vraiment ce que le major Adams voulait savoir. Il voulait savoir si elle avait une idée de ce qui avait fait s'arrêter le train.

    -Non. Non, je ne crois pas, finit-elle par dire, un peu penaude de ne pas pouvoir lui donner la réponse qu'elle voulait. Je n'ai rien vu qui aurait pu arrêter le train. Et quand ça s'est passé, j'ai eu trop peur pour faire attention... Elle se sentit soudain piteuse à cet aveu, mais elle eut la surprise de voir un sourire naître sur les lèvres du major en retour. Il fut bref mais sincère :

    -Je te crois. Et ne t'en fais pas, c'est normal d'avoir peur quand c'est pour une bonne raison. Même moi j'ai peur parfois. Même le caporal Velázquez.

    -Hey ! s'indigna l'intéressé.

    -Il suffit de le voir devant un miroir quand il se découvre un cheveu gris.

    -Calomnie ! Le major répand de fausses rumeurs !

    Canton Adams adressa un petit clin d’œil à Lucie et se releva, frottant machinalement les jambes de son pantalon. Puis il retourna superviser le travail de Paul Ravert, non sans donner une petite tape sur l'épaule de Velázquez au passage :

    -Le temps passe pour tout le monde, caporal. Si j'étais vous je ferais gaffe !

     

  • Lucie 22

    Hop, une page de plus, et ce de bon matin!^^

     

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    Avec précaution, Kenneth Marsters ôta la petite plaque de métal qui recouvrait le panneau de commande de la porte. Il ne risquait pas grand chose, mais il était d'un naturel méticuleux et aimait faire les choses les unes après les autres. Cela lui avait toujours réussi, et il espérait que ce jour-ci n'y ferait pas exception. Il s'était servi du petit tournevis de son canif multifonction, qu'il avait toujours sur lui, pour dévisser la plaque qu'il posa soigneusement sur le sol. Il se tenait à genoux sur le sol, bien droit, pour avoir le système d'ouverture en face des yeux, et il frottait du pouce le manche de son canif, pensif. Quand il était monté dans le train pour Haven, à la Grande Gare, il s'était bien attendu à vivre une grande aventure. Seulement, il n'avait pas imaginé qu'elle se passerait aussi tôt, ni dans de telles circonstances. Kenneth était habitué à des délais sans cesse modifiés, à des calculs compliqués et à des expériences capricieuses en environnement contrôlé, on ne pouvait pas dire qu'il avait jamais vraiment risqué grand chose. Jusqu'à présent, il s'était toujours contenté de faire au mieux dans chacun des aspects de sa vie, qui avait toujours été tranquille et sans histoire. Ce qui lui avait longtemps convenu : il évitait de se poser trop de questions, le reste de l'univers faisait de même à son sujet et le système fonctionnait. Mais rien ne durait éternellement, et Ken Marsters avait fini par se demander ce qu'il attendait réellement de la vie. Il avait passé la majeure partie de cette dernière à assimiler des connaissances plus variées les unes que les autres, en véritable touche-à-tout, et il était persuadé qu'il en avait encore beaucoup à découvrir et apprendre. Et, plus important encore, qu'il pouvait mettre tout cela en pratique, afin de se rendre utile. Kenneth n'aimait pas le savoir perdu.

    -Alors ?

    -Je ne sais pas encore, Martha. Laissez moi le temps de jeter un coup d’œil.

    L'ingénieur se passa la langue sur le coin des lèvres, signe chez lui d'une intense réflexion, et entreprit de comprendre comment fonctionnait l'appareillage qu'il avait mis à nu. Il contemplait les câbles et autres circuits, les suivant des yeux jusqu'à leurs connexions ou jusqu'à ce qu'ils disparaissent dans la cloison. Le système n'avait pas l'air particulièrement compliqué en soi, mais il fallait réussir à trouver du sens dans ce qui ressemblait finalement à un gros fouillis soigneusement entretenu au fil des décennies. C'était du matériel robuste, avant tout fait pour durer, ce qui était une bonne chose. Ce qui compliquait les choses, c'était l'absence de tout système mécanique apparent, la porte ne pouvant visiblement s'ouvrir qu'avec l'action du courant. Ce dernier devait donc être réactivé ou redirigé dans le verrou, pour que la carte d'Ed Travers puisse faire son office.

    -Vous allez pouvoir en tirer quelque chose ?

    -Difficile à dire. Ça fait longtemps que je n'ai pas bidouillé d'électronique. Mais je vais faire de mon mieux.

    -Merci. Je m'excuse que vous m'ayez ainsi sur le dos, mais...

    -...vous êtes inquiète, je comprends. C'est normal. J'essaie juste de ne pas trop me précipiter afin de ne pas causer de dommages irrémédiables. Ce n'est pas vraiment mon domaine.

    -Qu'est-ce que c'est, votre domaine, alors? lui demanda-t-elle sur le ton de la conversation, parce qu'elle luttait pour ne pas laisser le stress l'envahir, et qu'elle ne voulait pas affoler Marsters en perdant son calme. Elle avait besoin qu'il reste à son affaire, et si une conversation toute simple pouvait contribuer à le rendre à l'aise, elle allait faire son possible pour y contribuer.

    -Comme je l'ai expliqué aux autres passagers tout à l'heure, je suis ingénieur. Mais c'est un titre un peu diffus. Je m'occupe principalement de problèmes de structures, aussi bien artificielles que naturelles. Je travaille généralement en partenariat avec des équipes de construction. J'ai des compétences de géologie également, ce qui a pas mal intéressé les responsables du projet sur lequel je vais travailler à Haven. Je me débrouille pas mal en mécanique, aussi, et j'ai des notions honnêtes en biologie et en chimie. Je n'ai jamais vraiment pu me cantonner à un seul domaine ; il y a tellement de matières fascinantes à étudier, des éléments qui nous permettent de faire de grandes choses ! Je crois qu'à ma manière, j'ai envie de faire partie de tout ça, de ne pas passer à côté, aussi je pense que je me suis dispersé pour être sûr de me rendre utile en toute circonstance.

    -Et vous l'êtes.

    -Je fais de mon mieux en tout cas. Et vous Martha ?

    -Moi quoi ?

    -Qu'est-ce que vous faisiez, avant de partir ? C'est quoi, votre domaine à vous ? Kenneth suivait des doigts un câble plus épais que les autres, essayant d'identifier sa fonction.

    -Rien d'aussi pointu. Je suis une vraie fille de l'administration. Je faisais partie d'une branche des ressources humaines de l'Hégémonie. Je ne peux pas m'empêcher de mettre de l'ordre dans un système un peu chaotique quand j'en vois un, et on a vite remarqué mes compétences d'organisation. Ce qui m'a permis d'assurer une place stable, pour ma fille. Mais je ne suis pas issue d'un milieu qui m'aurait permis de faire de grandes études, alors je ne pouvais pas prétendre à un échelon plus haut placé. Je travaillais dans bistrot, aussi, plusieurs soirs par semaine. Je cerne bien les gens, ce qui est utile dans mon domaine, et je me suis dit que ça le serait aussi dans celui-ci. Et puis tout ce que je pouvais amasser pour Lucie et notre voyage à Haven était bon à prendre...

    Même s'il avait les yeux fixés sur ce qu'il faisait, Kenneth avait senti le désarroi soudain de Martha, se fiant à sa voix.

    -Lucie m'a tout l'air d'être une petite fille débrouillarde. Ne vous inquiétez pas, je suis sûr qu'elle aura très bien su réagir à tout ça.

    -Je suis une mère, je m'inquiète, je n'ai pas le choix. Vous avez des enfants ?

    -Non. Une ribambelle de neveux, par contre. Mais je crois que j'aimerais avoir les miens, un jour.

    -Pas de madame Marsters ?

    -Pas depuis longtemps. On ne peut pas dire que j'ai jamais été un homme à femmes, et ma dernière expérience m'a rendu plus... méfiant. Et puis j'ai eu tendance à me réfugier dans mon travail. Mais je ne désespère pas ! Qui sait ce qui m'attend, après tout ?

    -Oh, je ne m'inquiète pas pour vous. Vous êtes quelqu'un de bien.

    -Je fais de mon mieux, en tout cas. Ah !

    -Vous avez trouvé quelque chose ?

    -Peut-être. Il va falloir que je confirme si c'est bien ce que je pense... Et vous alors, Martha ? Je ne crois pas vous avoir vraiment entendu mentionner le père de Lucie.

    Martha ne répondit pas tout de suite, et Kenneth eu la sensation qu'il avait mis sur le tapis quelque chose qu'elle préférait enterré dessous.

    -C'est parce qu'il n'y a pas grand chose à en dire. J'aimerais qu'il n'y ait rien du tout, à vrai dire. Mais il existe, et c'est déjà bien assez. Il n'a jamais fait partie du tableau, pas concernant Lucie en tout cas.

    -Je ne voulais pas...

    -Vous ne pouviez pas savoir. C'est un sujet que j'aime à éviter.

    -J'espère... Aïe !

    -Qu'est-ce qu'il y a ?

    Martha se précipita au côté de Ken, qui se suçait le doigt, l'air étonné.

    -Il y a du courant qui est brièvement revenu dans ce circuit, je me suis pris un coup de jus.

    -C'est le courant qui revient ?

    -Je ne crois pas, ou alors pas dans toutes les zones qui en ont été privées. Ça m'a vraiment l'air local, je crois...

    Il s'interrompit, comme s'il réalisait quelque chose de particulièrement inattendu.

    -Vous croyez quoi ?

    -Je crois que quelqu'un est en train d'essayer d'ouvrir la porte de l'autre côté.