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Plume de Renard - Page 62

  • Bilan

    Rien à voir avec une quelconque historiette, ce coup-ci. Mais sans-doute le texte le plus personel que j'ai jamais écrit.

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    Je n’ai pas particulièrement de raison d’être fier. C’est un constat que je fais aujourd’hui. A bien y regarder, on ne peut pas dire que j’ai accompli grand-chose. En arrivant une fois de plus à une telle conclusion, je pensais alors que cela me précipiterait dans des les eaux tumultueuses de l’amertume, de celle qui vous rentre dans la gorge chargée de gros sel et qui vous ressort par le nez avec un bruit humide.

     

    Mais en fait, pas vraiment.

     

    Ce n’est pas là un soudain sursaut d’optimisme. Pas vraiment. Je pencherai plutôt pour une sorte d’acceptation mâtinée de regrets lucides mais sincères. Et le truc, pour vivre avec ses regrets, c’est de comprendre qu’on n’a guère d’autre choix que de vivre avec. Bien sûr, on peut en combler certain, en effacer d’autres, mais le fait est qu’il restera toujours une trace de chacun d’entre eux inscrit en nous. Ne serait-ce que le simple fait de les avoir éprouvés à un moment ou à un autre. Pour ma part, j’en traine un certain nombre derrière moi, un peu comme si j’avais marché des kilomètres les lacets défaits, ces derniers s’accrochant à divers poids morts incongrus trainant au bord de la route. Je n’avais jamais vraiment accepté de regarder derrière moi pour le constater, jusqu’à récemment. Car depuis quelques temps, je suis en proie à cette créature brutale et sans pitié qu’est l’introspection. L’introspection, c’est un peu comme un professeur de mathématiques ou un agréé de philosophie qui vient soudainement vous agiter sous le nez des vérités pénibles mais inattaquables. Aussi désagréable que soit le théorème de Thalès, on aurait bonne mine à vouloir en réfuter l’existence (là où des individus pétris de bonnes intention profiteraient du voyage dans le temps pour éliminer quelques dictateurs, pour ma part, j’aurais plutôt tendance à cibler les mathématiciens et les fétichistes des pieds).

     

    L’introspection, disais-je, m’amène à un bilan peu glorieux de mon existence. Par peu glorieux, je n’entends pas sombrer dans un auto-apitoiement larmoyant où tous les malheurs du monde me seraient tombés sur le coin de la pomme ; simplement que ma dite existence ne rime pas avec gloire (pas plus qu’elle ne rime avec espadon, mais là n’est pas la question). Ben oui, je me verrais mal dire de ma vie qu’elle a jusqu’ici été palpitante et capable d’inspirer des générations entières. Et même si j’ai assez peur d’être de ceux qu’on oublie, je ne nourris pas non plus une faim insatiable de reconnaissance. Bref, pour l’instant, il n’y a pas de casser trois pattes à un canard (je ne vois pas pourquoi on voudrait d’ailleurs casser ne serait-ce qu’une seule pattes d’un de ces sympathiques palmipèdes). Ma vie, je l’ai pour l’instant traversée avec une indolence proche de l’indifférence. Plutôt que de chercher à me hisser à un rang ou un autre, je suis resté dans le public, me laissant porté par les évènements avec la certitude diffuse que, quoi que le destin mette sur mon chemin, tout finirait finalement par s’arranger. D’une façon ou d’une autre. Mais le destin ne joue pas aux dés comme tout le monde (un auteur que j’admire a prétendu dans un de ses romans que le destin préférait les dominos), et j’en suis petit à petit venu à réaliser que la vie n’était pas un jeu dont on sortait gagnant. Il y avait bien un point de départ et un point d’arrivée, mais c’était à peu près tout. Entre les deux, le plateau de jeu n’avait rien de prévisible, et ne présentait certainement aucune assurance.

     

    Malgré une genèse pour le moins particulière –comprenant dans le lot une mère aimante mais schizophrène, un père inconnu, un placement en famille d’accueil et une tendance à avoir la psyché cabossée- je  ne pense pas pouvoir dire de ma vie passée qu’elle a été mauvaise. Aimé, entouré, protégé (peut-être trop ?), j’ai toujours joui d’un environnement confortable et d’une chance appréciable. Inutile de dire que j’y ai pris goût, développant très vite la mauvaise habitude de compter sur une absence de complications et des choses qui s’arrangent par elles-mêmes. On me décrivait attachant, sensible, solitaire, à part… Intelligent. Une intelligence que je veux bien reconnaître, mais que je n’ai jamais pris la peine d’utiliser au maximum de son potentiel. Coulé dans un moule doré confortable, je n’étais pas de ceux dont la vie avait été frappée sur l’acier, et je suis encore aujourd’hui de ces intelligences flemmardes voyant dans la réalisation de leur potentiel trop d’efforts à faire.

     

    Ce qui, on s’en doute, ne me dote pas d’un parcours scolaire exceptionnel. L’école aura très vite réussi à me lasser, non pas tant par ennui que par la bête loi du moindre effort qui a présidé à la plus grande partie de mon parcours. Une fin de scolarité obligatoire arrachée de justesse après un redoublement de dernière année, et une entrée au gymnase par dépit. Trois ans de gymnase que j’ai vécu comme je l’avais toujours fait pour tout : en faisant un pas métaphysique de côté et en observant d’un œil vaguement intéressé la manière dont les choses arrivaient d’elles-mêmes. Etudier m’ennuyait, parce que j’avais décidé que ce serait le cas. Pourtant, j’avais très certainement en moi tout ce qu’il fallait pour réussir ; mais réussir représentait un défi de tous les instants, et multipliait les attentes que l’on pouvait avoir de moi. Et j’avais depuis longtemps décidé que le meilleur moyen de ne pas subir la pression des attentes, c’était tout simplement de ne pas en avoir. Aussi, ce fut sans un grand étonnement que je dérivai jusqu’à la fin du cursus de trois ans dont je ressortis sans la précieuse maturité en poche. Mes faiblesses dans divers domaines (mathématiques et sciences, pour ne citer qu’elles) ne furent pas comblées par mes facilités –pourtant élevées- dans d’autres, et ma paresse naturelle m’avait poussé à ignorer le travail de maturité avec un formidable pied de nez. Un nez qui aura fini cassé sur l’autel des études, privé d’avoir pu reniflé la moindre salle d’examens.

     

    Il  me restait donc de mon gymnase de bons souvenirs communautaires et rien d’autre, si ce n’était la certitude absolue que mon futur continuerait malgré tout à s’arranger tout seul. Une illusion très vite brisée sur les rochers de la réalité, ou les mois d’inactivité se transformèrent en années alors que je m’enfonçais de plus en plus dans mon cocon usé mais si confortable. Techniquement, j’étais bien devenu adulte un jour, mais dans ma tête, j’avais toujours seize ans. Parfois même quinze, et jamais plus de dix-sept. Il ne fallait tout de même pas me demander de faire face à des responsabilités ! C’était aux sinistres grandes  personnes de s’en occuper pour moi, comme elles l’avaient toujours fait. Fort de cette certitude, j’ai donc continué à avancer d’un pas tranquille sans jamais sortir de l’enfance et de l’adolescence qui me paraissaient encore si confortables. J’étais perpétuellement en décalage, avec un train de retard affectif émotionnel sur le reste de mon entourage d’âge direct. Les dix-huit ans passèrent, puis ce furent les fameux vingt et leur suite. A vingt-deux ans, je voyais encore le monde avec les certitudes frustrées d’un éternel adolescent. On ne s’étonne donc pas du bilan guère fourni de ma vie sentimentale. A passé vingt ans, voilà que je me retrouvais encore à flirter plus facilement avec la première ado venue qu’avec toute jeune femme de mon âge. L’idée de développer une relation avec quelqu’un de dix-huit ans ou plus me paraissait tout bonnement incongrue. La maturité m’effrayait, et je ne me sentais certainement pas assez digne de retenir l’attention d’une adulte. C’est là un chapitre de ma vie dont je ne suis pas fier, et qui revient périodiquement me hanter. Quand je commençais grossièrement à prendre conscience qu’il serait temps de grandir, j’étais terrorisé à l’idée de me retrouver un jour à trente-cinq ans avec le même penchant pour les adolescentes et la collection des cartes pokémons. Et puis, au moment où je m’y attendais le moins, j’ai connu une première et réelle (bien que courte) histoire d’amour, avec une femme de mon âge, et j’ai réalisé que le fait de grandir n’était pas constitué uniquement de mauvaises surprises. Qu’il serait peut-être temps de laisser derrière moi cette illusion d’éternelle adolescence.

     

    Ce qui n’est pas une chose facile. Comme dit plus haut, je n’ai jamais été très partisan des gros efforts. La débâcle des quelques mois en apprentissage d’employé de commercer il y a trois ans et quelques l’avait montré de manière spectaculaire. Et la faiblesse psychique dont je suis porteur n’aide en rien. Là encore, c’est un fait que je rechigne à pleinement assimiler. Et pourtant, c’est bien là, modelant une partie de votre vie comme un spectre intangible et sans nom. Apparue aux commencements timides de l’adolescence, cette faiblesse ne vous a depuis jamais quittée. C’est un monde d’angoisses et de craintes, où la peur de la mort, la peur de disparaître n’a jamais cessé d’hanter vos nuits. C’est la manifestation physique traduite par de nombreux rituels et troubles obsessionnels compulsifs, vous poussant régulièrement à être incapable de trouver le sommeil ou le calme avant d’avoir répété tel ou tel geste sans arrêt ou prononcé telle ou telle phrase un certain nombre de fois. C’est cette fatigue mentale, ce manque d’énergie, cet épuisement constant et cette incapacité à se sentir reposé après une bonne nuit de sommeil. C’est ces pensées absurdes et ces craintes dénuées de sens. C’est la crainte permanente de voir le barrage de la raison céder un jour et vous emporter dans la folie. C’est la valse des médicaments divers et variés. Ce sont les récentes attaques de panique. C’est cette tendance à craquer sous la moindre routine et la pression, où le burnout me guette après une semaine de travail alors que des gens bien plus braves que moi savent y faire face même après des années de dur labeur. C’est cette honte, enfin, d’être aussi faible alors qu’il y a tellement de personnes plus malheureuses que je ne le suis, plus défavorisées que moi, avec des histoires bien plus terribles que la mienne. C’est le sentiment de ne pas avoir de but. Et de n’avoir pas encore pu ne serait-ce que trouver une piste de ce qui a bien pu déclencher tout ça.

     

    Que ce soit mon histoire particulière, ma peur de l’inconnu, ma crainte de grandir, ma sensibilité particulière, ma réelle faiblesse psychique ou encore votre paresse légendaire, ce sont autant d’éléments qui ont contribué à faire de moi celui que je suis aujourd’hui. Je pensais me laisser porter par la vie avec la certitude idiote d’un éternel nuage rose et cotonneux, mais je suis le premier artisan de mes échecs, de mes regrets et de mes rêves. Et aujourd’hui, où suis-je ? A vingt quatre ans, je vis encore chez mes parents, je suis entré à l’assurance-invalidité, je n’ai vécu qu’une seule réelle histoire d’amour, je n’ai rien accompli d’extraordinaire et je passe la plus grande partie de mon temps à me réfugier dans les histoires, qu’elles soient dans les pages d’un livre, dans les cases d’une bande-dessinées, dans les péripéties d’un film ou d’une série télévisée, ou encore au bout d’une manette de jeux vidéos. Sans oublier les quelques kilos en trop qui se sont accumulés ces dernières années d’immobilisme indolent. Bref, comme je le disais au début de ce texte, vraiment rien de glorieux. On ne peut pas vraiment dire que j’aie quoi que ce soit d’un beau parti…

     

    Et pourtant, ce constat ne m’apitoie pas autant qu’il l’aurait pu il y a quelques temps encore. Parce que je crois que je suis doucement en train d’accepter le fait d’en être arrivé là, et qu’il m’est impossible de sauter dans une dolorean pour changer mon passé. Et que, franchement, j’ai aussi de belles choses dans tout ça. Une famille qui m’a toujours soutenu. De rares mais bons amis qui, si je ne les vois pas autant que je voudrais, comptent réellement pour moi et me supportent depuis de nombreuses amies. De quoi manger, un toit sur la tête et, d’un point de vue purement physique, une bonne santé. Et plein de choses encore qui ne demandent encore qu’à être découvertes. Peut-être même ne suis-je pas aussi terne que j’ai tendance à le penser. Et que malgré mon ambition comparable à celle, disons, d’un tabouret, et bien je finirai un jour par accomplir quelque chose dont je pourrait être fier, même rien qu’un petit peu. Et puis il y a cette fameuse introspection, qui a débuté il y a quelques temps et qui me permettra peut-être, petit à petit, d’accepter pleinement ce fait de grandir. Sans oublier le fait que j’arrive  enfin à m’ouvrir un peu plus au fil des séances de thérapie et que peut-être, un jour, nous arriverons à mettre le doigt sur les bons déclencheurs. 

     

    Oui, je n’ai rien accompli de quoi réellement être fier, dans ma vie. C’est un fait. Mais il y a un autre fait que je n’avais encore jamais réellement considéré : ma vie n’est pas encore finie. Qui sait ce que réserve l’avenir ? Qui peut dire où je serais dans dix ou vingt ans ? Certainement pas moi. Ce qui  m’a toujours effrayé mais qui commence également à me donner un peu d’espoir.  

     

    Tout ce qui fait qu’un jour, peut-être, j’arriverai à trouver qui je suis vraiment, et à être simplement… moi-même.

     

     

    Mais avant, j’ai encore deux saisons de « Criminal Minds » à regarder.

  • Le diable s’habille peut-être chez Prada, mais c’est bien parce qu’il en a les moyens

     

    (Et une nouvelle historiette, comme ça, en passant!)

     

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    "Et même s’il ne les a pas, il peut sans autre faucher la dernière chemisette dernier cri à l’étalage et parader avec n’importe quoi sur le dos sans qu’on y trouve à redire. C’est le diable, après tout. Vous, vous ne les avez pas, ces moyens là. Et pourtant, vous n’êtes certainement pas un  parfait petit enfant de cœur. Mais malgré toute votre volonté, la bonne comme la mauvaise, chaque escapade dans la moindre boutique de vêtements –qu’il s’agisse du dernier revendeur de marque à la mode ou la vieille friperie du marchés aux puces du jeudi- se transforme en une véritable aventure en enfer. D’aucun diront que l’enfer est pavé de bonnes intentions, ou alors qu’il se trouve chez les autres ; vous, vous préférez penser qu’il se trouve entre les étagères à maillots de bain et les rangées de chemises, juste derrière une pile de boîtes à chaussures. Il n’y a rien à y faire : vous n’aimez pas, mais alors pas du tout, vous acheter des vêtements. Autant vous êtes le premier à aimer flâner le long des devantures des magasins, toujours partant pour un peu de lèche-vitrine (vous vous demandez toujours d’où vient cette expression, et finissez généralement par  vous estimer heureux de ne pas connaitre la réponse : elle n’a sans doute rien de très hygiénique), autant vous arrêter plus de six secondes à proximité de vêtements exposés vous donne envie de hurler à la lune et de vous enfuir dans les bois en arrachant tous vos vêtements, telle une bête sauvage qui ne se complique nullement la vie à assortir du noir et du rouge. Seule la perspective d’effrayer des cœurs fragiles et de vous retrouver nu comme un ver dans une cellule du poste de police le plus proche vous retient.

     

    Aussi loin que vos souvenirs remontent, cela a toujours été le cas. Tout petit déjà, vous trainiez les pieds avec un art tel qu’un paysan aurait pu passer derrière vous pour semer ses graines lorsque votre mère vous emmenait vous acheter une nouvelle paire de chaussures ou une belle chemise pour le mariage de tata Glenda. Vous vous laissez emporter telle une âme-en-peine parmi les rayons de chausses diverses et variées qui, à vos yeux peu experts, auraient aussi bien pu être de gros boulets qui n’attendaient que la première occasion de venir se refermer sur vos frêles chevilles. Et grosso modo vingt ans plus tard… rien n’a changé. C’est toujours pour vous un véritable chemin de croix que de vous rendre attraper ici un t-shirt, ici un pantalon (que vous prenez systématiquement trop longs, sans pourtant vous en rendre compte lors de l’essayage ; à croire qu’ils se rallongent par magie dès que vous les renfilez une semaine plus tard, chez vous, en même tant que vous retrouvez le ticket d’échange périmé)… Le seul rayon trouvant grâce à vos yeux étant celui des chapeaux, pour lesquels vous vous êtes capables de vous ruiner comme une femme en sacs à main (bon, d’accord, pas toutes les femmes. Notamment votre compagne à vous, qui ne se balade qu’avec un immense sac de toile grossière dans lequel elle trimballe –sans que vous n’ayez jamais compris comment- au moins l’équivalents de trois sacs de montagne et, parfois, petit chat lorsque celui s’est réfugié dedans pour y dormir et que vous découvrez tous deux, étonnés, entre le porte-monnaie et l’agenda au moment de payer l’addition). Une tête bien chapeautée est une tête bien faite, vous le dites toujours. Particulièrement lorsque toute personne en face passe plus de temps à examiner le couvre-chef que la figure pâle, les yeux hagards et la barbe de trois jours (mais qui en font au moins neuf ou dix) se cachant dessous.

     

    Voilà pourquoi vous marchez aujourd’hui d’un pas de condamné dans l’une des petites boutiques de vêtements d’une grande surface du centre-ville. Enfin, quand vous dites « petite boutique », vous entendez par là ce genre de magasin qui, vu de l’extérieur, semble assez petit pour en faire le tour en trois minutes chrono et qui se révèlent en faite extraordinairement spacieux, défiant les lois de la physique et s’étendant qui plus est sur deux étages et au moins autant de sous-sols (ce qui n’est pas le cas unique des magasins d’habits : les petites libraires et magasins d’antiquités sont également très forts dans ce domaine). Car après de nombreux longs mois jamais troublés par cette tâche ô combien pénible, vous avez fini par admettre à contrecœur et sous la torture (du moins vous préférez le prétendre) que oui, vous auriez besoin de nouvelles frusques à vous mettre sur le dos et ailleurs. Si cela ne tenait qu’à vous, vous vous baladeriez en permanence avec  le minimum vital de vêtements jusqu’à ce qu’ils finissent par tomber en poussière autour de vous. Mais comme très peu de choses en ce bas monde dépendent de vous (ce qui rend, au choix, le monde un peu plus triste ou carrément meilleur), vous avez cédé sous les remontrances et les conseils de vos proches, fatigués de vous voir avec les trois même t-shirt sur le dos, de veux qui commencent à se faire trop petit pour le ventre rebondi de celui en quoi le travail consiste principalement à rester assis devant son ordinateur et à se lever pour prendre le train jusqu’au bureau de son éditeur. Alors vous voilà une fois de plus, une fois de trop, en train d’arpenter un de ces maudits magasins pour le salut de vos oreilles qui en avaient jusque là d’entendre ces critiques incessantes.

     

    Enfin, le salut de vos oreilles, c’est vite. Vous avez en effet oublié que vous ne partagez absolument pas les goûts musicaux de ceux qui choisissent les programmes crachés à plein tube par les magasins de fringues. Entre le dernier rap à la mode et le nouveau morceau de techno audacieuse que vous ne sauriez pas différencier du précédent succès et dans lequel vous reconnaissez déjà les notes du futur hit, votre sensibilité acoustique n’est pas vraiment titillée. Vous ne demandez pas à ce que l’on passe du Bach lorsque vous essayez un pantalon, mais un peu de variété dans les sons proposés ne feraient pas de mal. Vous plaignez sincèrement les vendeurs qui doivent subir ça à longueur de journée. Même de la musique qu’on aime, on en deviendrait vite profondément dégoûté si c’était pour l’écouter plus de six heures non stop (tiens, vous croyez enfin déceler pourquoi vous avez soudain décidé de passer de Henri Dès à Jean-Jacques Goldman lorsque vous aviez dix ans). Et à parler de vendeurs de vêtements, ce ne sont pas pour vous les monstres gorgés d’agressivité et de dédain que décrivent nombre de personnes guère plus amoureuses du shopping vestimentaire que vous. Peut-être est-ce que parce que vous n’allez que très peu dans ce genre de boutiques, ou parce que vous avez toujours eu de la chance, toujours est-il que vous n’êtes jusqu’ici tombé que sur des créatures professionnelles et plutôt sympathiques. Non, c’est vraiment le procédé même de choisir et d’acheter des vêtements qui vous déprime.

     

    Déjà parce que vous n’avez aucun goût. Pour vous, le summum de l’art vestimentaire consiste généralement à attraper chaque matin dans votre armoire, les yeux encore fermés par le sommeil, les premiers vêtements vous tombant dans la main sans vous soucier une seule seconde de la moindre cohérence vestimentaire. Vous balader en t-shirt violet, shorts vert kaki, chaussettes montantes et sandales n’est pas pour vous un problème. Vous croyez comprendre que c’en est surtout un pour la rétine d’autrui. Sauf de votre compagne qui s’en fiche, en grande partie parce qu’elle est victime du même problème que vous, à savoir qu’elle n’accorde aucune importance au diktat de la mode en particulier et à ces histoires compliquées de vêtements en général. Et qu’elle fait partie de cette détestable catégorie dont les membres paraissent automatiquement bien habillés quoi qu’ils mettent sur le dos. Elle ne s’inquiète pas beaucoup d’aller faire les boutiques non plus, car elle est aussi de celles dont deux vêtements sur trois ne sont pas à eux mais à une amie-une mère-une belle-sœur- une collègue, et qui réussit à se faire offrir le troisième par… une amie-une mère-une belle-sœur-une collègue à Noël, à son anniversaire ou à n’importe quelle occasion. Vous, si vous devez déballer un papier cadeau pour trouver dessous une belle chemise ou un pull confortable, vous vous sentez déçu comme un gamin qu’on aurait violemment privé de Noël (en même temps, vous réagissez un peu pareil pour tout présent n’étant pas un livre, ce qui donne bien des soucis à votre entourage, incapable de garder la trace de tous ceux que vous possédez déjà dans vos nombreuses étagères et autres bibliothèques), à moins qu’il s’agisse de t-shirt rigolos. De plus, vous êtes distraits, nullement intéressé par la chose et doté de l’instinct vestimentaire d’un ornithorynque qui, comme on le sait, ne s’embarrassent nullement de savoir si leur short s’accorde avec leur haut. Vous êtes même capable de trouver une chemise ou un pull plutôt sympa et de vous en saisir pour aller l’essayer avant de soudainement réaliser que vous êtes encore au rayon femme. C’est dire… 

     

    Enfin, l’essayage représentant pour vous une autre plaie de ces séances de shopping. Féru d’une certaine loi du moindre effort, l’idée de passer plus de cinq minutes dans une de ces cabines étriquées à enlever et enfiler dix machins différents vous barbe profondément. Toute cette énergie gaspillée qui aurait été bien mieux employée à ne pas être dépensée confortablement chez soi, où personne ne viendra vous dire que ce vieux sweater jaune si confortable ne va pas avec ce short rose (un tragique accident de machine à laver). Voilà pourquoi, au grand désespoir de toute personne vous accompagnant dans une telle aventure, vous avez tendance à vous accrocher au premier vêtement qui vous va relativement comme si votre vie en dépendait. Non, vous ne voulez pas aller ailleurs voir s’il y a  plus joli ou meilleur marché, oui, celui-ci ira très bien alors qu’on vous laisse aller faire la queue  (interminable) à la caisse avec pour fuir ensuite comme si vous aviez les feux de l’enfer aux trousses. Et une fois à la caisse, vous ne pouvez vous empêcher de penser que tout cet argent aurait quand même été bien mieux employé ailleurs. Voilà pourquoi cela fait plus de trois ans que vous n’avez ne serait-ce qu’envisager de changer de godasses, bien décidé à garder les mêmes aux pieds jusqu’à elles s’effritent en lambeaux et vous permettent de devenir dans quelle rue vous vous trouvez rien qu’à la texture du pavé.

     

    Mais aujourd’hui, vous n’avez pas le choix, il vous faut une belle chemise (votre ventre rebondi d’écrivain affamé en étant la raison, comme on le sait), un beau gilet peut-être même, soyons-fous, un nouveau pantalon accordé (parce que, vous l’avouez de mauvaise grâce, c’est important, de se sentir bien dans son pantalon ; la vie paraît toujours beaucoup plus belle dans un pantalon confortable), parce que c’est le mariage de tata Glenda dans trois jours et que si vous y allez sans faire un effort, vous en entendrez encore parler au mariage de vos éventuels petits-enfants (et oui, il s’agit bien de la même tata Glenda , qui a su rester une femme très entreprenante malgré son âge). Alors vous poussez un profond soupir et, entre deux notes d’un titre projeté à fond par les haut-parleurs dont vous croyez comprendre qu’il est question de filles faciles, de voitures, de soleil et, curieusement, de trampolines, vous rassemblez tout votre courage et pénétrez une fois de plus en enfer.

    Au moins, ils ont l’air d’avoir de chouettes chapeaux."

     

  • Carnaval, ou le cimetière des barbes à papa - 2ème partie

    Voici la suite de cette palpitante non-aventure!

     

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    C’est tout à fait elle, ça. Votre compagne est grosso modo dotée de l’attention d’une fillette de cinq ans. Sauf lorsqu’elle est occupée à vous accabler de reproches pour une raison ou pour une autre, où la détourner de son but reviendrait à vouloir faire dérailler un train de marchandises lancé à toute vitesse uniquement aidé d’une allumette. Bon, pour être honnête, ce n’est pas uniquement des reproches. En fait, dès qu’elle a une idée en tête, vous pouvez être certain que les lois de la physique elle-même finiraient par abandonner avant elle. En fait, c’est entre deux idées fixes que l’attention de votre chère et tendre a tendance à papillonner, attirée par chaque nouvelle possibilité comme un papillon par la flamme. Et vous ne cherchez pas à insulter son intelligence, nullement mise en cause. En fait, sa capacité à s’émerveiller de la moindre petite chose est un de ses traits de caractères qui vous plait le plus chez elle. Tout cela pour dire qu’en plein carnaval, cela ne vous étonne guère de la voir disparaître de votre vue, attirée par l’une ou l’autre situation cocasse.

    L’un comme l’autre, vous adorez ce genre de manifestation. Avant qu’elle ne vienne mettre le bazar dans votre vie, vous aviez depuis longtemps déserté de tels évènements, enfermé dans votre petite routine calme et sans surprise. Et vous voilà, ayant redécouvert le plaisir simple d’un bain de foule fêtant l’arrivée des beaux jours. Si l’amour de votre vie aime à se jeter corps et âme dans la liesse et participer à la fête vous, vous aimez vous imprégner de l’ambiance. Vous balader tranquillement coude à coude avec des inconnus, un sandwich trop chaud, trop gras et trop cher dans une main et en savourer chaque miette. Là, au milieu de cette mer d’âmes bigarrées, assourdi par les tonitruantes musiques d’ambiance se mêlant en une joyeuse cacophonie, aveuglé par les lumières clignotantes des manèges et des stands de forains et amusés par les enfants courants entre les jambes des adultes, des ballons et des bâton lumineux dans la main. Un tel spectacle, c’est pour vous  se replonger dans des souvenirs, du temps où l’insouciance prenait le pas sur les angoisses existentielles de votre vie d’adulte.  Malgré tout ce que l’on peut dire de l’espèce humaine, particulièrement rassemblée en foules compactes, vous ne ressentez qu’une ambiance joyeuse, dépourvue d’oppression malsaine. Il fait beau, il fait chaud, la soirée est claire et le lendemain s’annonce radieux. Entre une baraque à frites et un punching ball mécanique pour tester sa force, plongé au cœur de cette foule effervescente, vous vous sentez mystérieusement moins seul, comme faisant partie d’un seul organisme qui aurait un penchant pour les merguez.

    « On s’entend pas parler, ici. » grommelle ce cher Steve, qui ne sent visiblement pas autant en phase que vous avec cet environnement. De toute façon, être en phase n’est pas son point fort. Votre ami est perpétuellement décalé. « Bon où est-ce qu’elle est, qu’on puisse se prendre à boire. Ca donne soif ces machins là. »

    Tenant un churros entre le pouce et l’index, un sourcil haussé derrière ses grosses lunettes flashy comme s’il s’agissait d’une anguille venue de l’espace passée par mégarde à la friteuse, il semble attendre que vous décidiez de la suite des opérations. Vous voilà bien embêté. Vous êtes de ceux qui suivent la meute d’un pas flâneur plutôt que de galoper en tête. Vous ne faites pas la course, vous vous promenez. Et après des années passées à n’aller nulle part, vous vous en contentez avec un plaisir sans cesse renouvelé. Sans répondre, vous continuez de traverser la foule, ou de vous laisser par elle, vous ne savez pas trop. Lorsque vous sentez soudain une tape sur votre épaule, et un sourire naître sur vos lèvres. Cela ne peut être que…

    Un ours. Bleu. Et grand. Mais surtout bleu.

    Ce n’est pas tant la taille que la couleur qui vous frappe. Derrière un bras pelucheux de la taille d’un édredon, vous devinez les boucles folles de votre compagne et imaginez son sourire radieux. De ce fait, quand son visage émerge enfin de derrière l’immense peluche qu’elle tient dans ses bras, elle semble particulièrement satisfaite d’elle-même. Vous, vous êtes vaguement sous le choc, un churros à moitié mâchonné dans la bouche, mâchoire béante, ce qui ne doit pas vous donner l’air des plus élégants. A côté de vous, vous êtes persuadé d’entendre Steve sourire tellement il le fait fort et se retient de rire.

    « Il est pas cool ? Il suffisait de tirer sur une ficelle. D’habitude, on tombe sur un p’tit chien ou un autre truc du genre, mais j’ai été chanceuse ! La plus grosse du stand, et je suis tombé sur elle ! Classe non ? »

    « Ca aura marché au moins pour quelque chose. » lance Steve avant de se prendre un coup de coude de votre part.

    « C’est fou, j’ai toujours voulu en avoir un comme ça ! Quand j’étais gamine, je dépensais tout mon argent de poche à la pêche au canard et à tirer sur des ficelles pour tenter le gros lot. Un nouveau but de mon existence grandement accompli ! »

    Grandement, en effet, ne pouvez-vous vous empêcher de remarquer tout en demandant où est-ce que ce nouveau succès existentiel va prendre de l’espace dans votre appartement encombré de mille trucs et machins (celle que vous aimez collectionne des objets incongrus à foison, vous êtes incapable de jeter quoi que ce soit. Une fois, vous n’avez pas revu votre chat pendant trois jour, le soupçonnant de s’être perdu dans vos affaires. Ce qui vous avait tout de même tous deux poussés à faire un peu d’ordre concernant les cartons de déménagement et leur contenu.). A votre remarque, elle prend un air faussement songeur –vous le savez parce qu’elle mordille sciemment sa lèvre inférieur pour se donner l’impression de celle qui va accoucher d’une nouvelle théorie philosophie en treize volumes- et finit par hausser les épaules, le nounours géant accompagnant le mouvement.

    « C’est une très bonne question. » dit elle. Au même moment, dans la grande tente dressée sur la place, l’orchestre entame un nouvel air festif. Oh non. Vous le savez à la manière dont elle tourne la tête. Quelque chose d’autre a attiré son attention. Quelque chose de terrifiant. Vous cherchez le regard de Steve, espérant y trouver du réconfort, mais il est absorbé dans la contemplation d’une jeune femme non loin, occupé à dévorer un énorme sandwich merguez (l’odeur de ces satanées saucisses ne vous quittera pas avant au moins une bonne semaine, vous en êtes persuadés). A la tête de votre ami, vous devinez qu’il a sans doute trouvé la nouvelle élue de son cœur, le temps des cinq minutes qu’il passera à la dévisager plein d’espoir avant qu’elle ne continue son chemin sans lui accorder la moindre attention. Vous reportez votre attention sur l’élue de votre cœur à vous, et cet ours encombrant devient votre nouveau sauveur. Impossible de déclencher l’apocalypse avec un truc pareil dans les bras. Jamais un classique « Mais si on danse ? » ne vous a paru aussi approprié.

    « Je sais ce que tu penses : mais si on danse ? »

    Damnation !

    « Steve, je te présente ta nouvelle copine ! Essaie de la caresser dans le sens du poil. »

    «De quoi ? »

    Et voilà que votre ami se retrouve avec une dulcinée des plus improbables dans les bras tandis que les vôtres sont tirés à l’intérieur de la tente par la poigne de fer de votre moitié. Vous n’allez pas y réchapper, à la danse, et vous trouvez un bref instant de réconfort dans la mine interdite de Steve. Mais déjà, on force vos pieds à bouger selon un rythme bien précis que vous allez massacrer comme Attila ravageant la campagne. Sauf que contrairement à Attila, vous n’aurez pas fait exprès.  Mais vous n’avez d’autre choix que de céder et de vous laisser entraîner, de participer un peu et mettre votre tenue de spectateur tranquille au vestiaire. Le temps d’une danse. Ou deux. Ou trois.

    Et le lendemain, alors que vous dormirez étendu en travers du lit, épuisé, sous vos fenêtres, on balayera les confettis, pliera les tentes et videra les poubelles. Plus que jamais, les rues auront des allures de cimetière des barbes à papa. Jusqu’à l’année prochaine, où elles reviendront mourir dans un maelström de bruit, de couleur et de lumières.

    Et ce pour votre plus grand plaisir.

     

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    Mon royame pour une merguez dans un p'tit pain! ;_;