Rien à voir avec une quelconque historiette, ce coup-ci. Mais sans-doute le texte le plus personel que j'ai jamais écrit.
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Je n’ai pas particulièrement de raison d’être fier. C’est un constat que je fais aujourd’hui. A bien y regarder, on ne peut pas dire que j’ai accompli grand-chose. En arrivant une fois de plus à une telle conclusion, je pensais alors que cela me précipiterait dans des les eaux tumultueuses de l’amertume, de celle qui vous rentre dans la gorge chargée de gros sel et qui vous ressort par le nez avec un bruit humide.
Mais en fait, pas vraiment.
Ce n’est pas là un soudain sursaut d’optimisme. Pas vraiment. Je pencherai plutôt pour une sorte d’acceptation mâtinée de regrets lucides mais sincères. Et le truc, pour vivre avec ses regrets, c’est de comprendre qu’on n’a guère d’autre choix que de vivre avec. Bien sûr, on peut en combler certain, en effacer d’autres, mais le fait est qu’il restera toujours une trace de chacun d’entre eux inscrit en nous. Ne serait-ce que le simple fait de les avoir éprouvés à un moment ou à un autre. Pour ma part, j’en traine un certain nombre derrière moi, un peu comme si j’avais marché des kilomètres les lacets défaits, ces derniers s’accrochant à divers poids morts incongrus trainant au bord de la route. Je n’avais jamais vraiment accepté de regarder derrière moi pour le constater, jusqu’à récemment. Car depuis quelques temps, je suis en proie à cette créature brutale et sans pitié qu’est l’introspection. L’introspection, c’est un peu comme un professeur de mathématiques ou un agréé de philosophie qui vient soudainement vous agiter sous le nez des vérités pénibles mais inattaquables. Aussi désagréable que soit le théorème de Thalès, on aurait bonne mine à vouloir en réfuter l’existence (là où des individus pétris de bonnes intention profiteraient du voyage dans le temps pour éliminer quelques dictateurs, pour ma part, j’aurais plutôt tendance à cibler les mathématiciens et les fétichistes des pieds).
L’introspection, disais-je, m’amène à un bilan peu glorieux de mon existence. Par peu glorieux, je n’entends pas sombrer dans un auto-apitoiement larmoyant où tous les malheurs du monde me seraient tombés sur le coin de la pomme ; simplement que ma dite existence ne rime pas avec gloire (pas plus qu’elle ne rime avec espadon, mais là n’est pas la question). Ben oui, je me verrais mal dire de ma vie qu’elle a jusqu’ici été palpitante et capable d’inspirer des générations entières. Et même si j’ai assez peur d’être de ceux qu’on oublie, je ne nourris pas non plus une faim insatiable de reconnaissance. Bref, pour l’instant, il n’y a pas de casser trois pattes à un canard (je ne vois pas pourquoi on voudrait d’ailleurs casser ne serait-ce qu’une seule pattes d’un de ces sympathiques palmipèdes). Ma vie, je l’ai pour l’instant traversée avec une indolence proche de l’indifférence. Plutôt que de chercher à me hisser à un rang ou un autre, je suis resté dans le public, me laissant porté par les évènements avec la certitude diffuse que, quoi que le destin mette sur mon chemin, tout finirait finalement par s’arranger. D’une façon ou d’une autre. Mais le destin ne joue pas aux dés comme tout le monde (un auteur que j’admire a prétendu dans un de ses romans que le destin préférait les dominos), et j’en suis petit à petit venu à réaliser que la vie n’était pas un jeu dont on sortait gagnant. Il y avait bien un point de départ et un point d’arrivée, mais c’était à peu près tout. Entre les deux, le plateau de jeu n’avait rien de prévisible, et ne présentait certainement aucune assurance.
Malgré une genèse pour le moins particulière –comprenant dans le lot une mère aimante mais schizophrène, un père inconnu, un placement en famille d’accueil et une tendance à avoir la psyché cabossée- je ne pense pas pouvoir dire de ma vie passée qu’elle a été mauvaise. Aimé, entouré, protégé (peut-être trop ?), j’ai toujours joui d’un environnement confortable et d’une chance appréciable. Inutile de dire que j’y ai pris goût, développant très vite la mauvaise habitude de compter sur une absence de complications et des choses qui s’arrangent par elles-mêmes. On me décrivait attachant, sensible, solitaire, à part… Intelligent. Une intelligence que je veux bien reconnaître, mais que je n’ai jamais pris la peine d’utiliser au maximum de son potentiel. Coulé dans un moule doré confortable, je n’étais pas de ceux dont la vie avait été frappée sur l’acier, et je suis encore aujourd’hui de ces intelligences flemmardes voyant dans la réalisation de leur potentiel trop d’efforts à faire.
Ce qui, on s’en doute, ne me dote pas d’un parcours scolaire exceptionnel. L’école aura très vite réussi à me lasser, non pas tant par ennui que par la bête loi du moindre effort qui a présidé à la plus grande partie de mon parcours. Une fin de scolarité obligatoire arrachée de justesse après un redoublement de dernière année, et une entrée au gymnase par dépit. Trois ans de gymnase que j’ai vécu comme je l’avais toujours fait pour tout : en faisant un pas métaphysique de côté et en observant d’un œil vaguement intéressé la manière dont les choses arrivaient d’elles-mêmes. Etudier m’ennuyait, parce que j’avais décidé que ce serait le cas. Pourtant, j’avais très certainement en moi tout ce qu’il fallait pour réussir ; mais réussir représentait un défi de tous les instants, et multipliait les attentes que l’on pouvait avoir de moi. Et j’avais depuis longtemps décidé que le meilleur moyen de ne pas subir la pression des attentes, c’était tout simplement de ne pas en avoir. Aussi, ce fut sans un grand étonnement que je dérivai jusqu’à la fin du cursus de trois ans dont je ressortis sans la précieuse maturité en poche. Mes faiblesses dans divers domaines (mathématiques et sciences, pour ne citer qu’elles) ne furent pas comblées par mes facilités –pourtant élevées- dans d’autres, et ma paresse naturelle m’avait poussé à ignorer le travail de maturité avec un formidable pied de nez. Un nez qui aura fini cassé sur l’autel des études, privé d’avoir pu reniflé la moindre salle d’examens.
Il me restait donc de mon gymnase de bons souvenirs communautaires et rien d’autre, si ce n’était la certitude absolue que mon futur continuerait malgré tout à s’arranger tout seul. Une illusion très vite brisée sur les rochers de la réalité, ou les mois d’inactivité se transformèrent en années alors que je m’enfonçais de plus en plus dans mon cocon usé mais si confortable. Techniquement, j’étais bien devenu adulte un jour, mais dans ma tête, j’avais toujours seize ans. Parfois même quinze, et jamais plus de dix-sept. Il ne fallait tout de même pas me demander de faire face à des responsabilités ! C’était aux sinistres grandes personnes de s’en occuper pour moi, comme elles l’avaient toujours fait. Fort de cette certitude, j’ai donc continué à avancer d’un pas tranquille sans jamais sortir de l’enfance et de l’adolescence qui me paraissaient encore si confortables. J’étais perpétuellement en décalage, avec un train de retard affectif émotionnel sur le reste de mon entourage d’âge direct. Les dix-huit ans passèrent, puis ce furent les fameux vingt et leur suite. A vingt-deux ans, je voyais encore le monde avec les certitudes frustrées d’un éternel adolescent. On ne s’étonne donc pas du bilan guère fourni de ma vie sentimentale. A passé vingt ans, voilà que je me retrouvais encore à flirter plus facilement avec la première ado venue qu’avec toute jeune femme de mon âge. L’idée de développer une relation avec quelqu’un de dix-huit ans ou plus me paraissait tout bonnement incongrue. La maturité m’effrayait, et je ne me sentais certainement pas assez digne de retenir l’attention d’une adulte. C’est là un chapitre de ma vie dont je ne suis pas fier, et qui revient périodiquement me hanter. Quand je commençais grossièrement à prendre conscience qu’il serait temps de grandir, j’étais terrorisé à l’idée de me retrouver un jour à trente-cinq ans avec le même penchant pour les adolescentes et la collection des cartes pokémons. Et puis, au moment où je m’y attendais le moins, j’ai connu une première et réelle (bien que courte) histoire d’amour, avec une femme de mon âge, et j’ai réalisé que le fait de grandir n’était pas constitué uniquement de mauvaises surprises. Qu’il serait peut-être temps de laisser derrière moi cette illusion d’éternelle adolescence.
Ce qui n’est pas une chose facile. Comme dit plus haut, je n’ai jamais été très partisan des gros efforts. La débâcle des quelques mois en apprentissage d’employé de commercer il y a trois ans et quelques l’avait montré de manière spectaculaire. Et la faiblesse psychique dont je suis porteur n’aide en rien. Là encore, c’est un fait que je rechigne à pleinement assimiler. Et pourtant, c’est bien là, modelant une partie de votre vie comme un spectre intangible et sans nom. Apparue aux commencements timides de l’adolescence, cette faiblesse ne vous a depuis jamais quittée. C’est un monde d’angoisses et de craintes, où la peur de la mort, la peur de disparaître n’a jamais cessé d’hanter vos nuits. C’est la manifestation physique traduite par de nombreux rituels et troubles obsessionnels compulsifs, vous poussant régulièrement à être incapable de trouver le sommeil ou le calme avant d’avoir répété tel ou tel geste sans arrêt ou prononcé telle ou telle phrase un certain nombre de fois. C’est cette fatigue mentale, ce manque d’énergie, cet épuisement constant et cette incapacité à se sentir reposé après une bonne nuit de sommeil. C’est ces pensées absurdes et ces craintes dénuées de sens. C’est la crainte permanente de voir le barrage de la raison céder un jour et vous emporter dans la folie. C’est la valse des médicaments divers et variés. Ce sont les récentes attaques de panique. C’est cette tendance à craquer sous la moindre routine et la pression, où le burnout me guette après une semaine de travail alors que des gens bien plus braves que moi savent y faire face même après des années de dur labeur. C’est cette honte, enfin, d’être aussi faible alors qu’il y a tellement de personnes plus malheureuses que je ne le suis, plus défavorisées que moi, avec des histoires bien plus terribles que la mienne. C’est le sentiment de ne pas avoir de but. Et de n’avoir pas encore pu ne serait-ce que trouver une piste de ce qui a bien pu déclencher tout ça.
Que ce soit mon histoire particulière, ma peur de l’inconnu, ma crainte de grandir, ma sensibilité particulière, ma réelle faiblesse psychique ou encore votre paresse légendaire, ce sont autant d’éléments qui ont contribué à faire de moi celui que je suis aujourd’hui. Je pensais me laisser porter par la vie avec la certitude idiote d’un éternel nuage rose et cotonneux, mais je suis le premier artisan de mes échecs, de mes regrets et de mes rêves. Et aujourd’hui, où suis-je ? A vingt quatre ans, je vis encore chez mes parents, je suis entré à l’assurance-invalidité, je n’ai vécu qu’une seule réelle histoire d’amour, je n’ai rien accompli d’extraordinaire et je passe la plus grande partie de mon temps à me réfugier dans les histoires, qu’elles soient dans les pages d’un livre, dans les cases d’une bande-dessinées, dans les péripéties d’un film ou d’une série télévisée, ou encore au bout d’une manette de jeux vidéos. Sans oublier les quelques kilos en trop qui se sont accumulés ces dernières années d’immobilisme indolent. Bref, comme je le disais au début de ce texte, vraiment rien de glorieux. On ne peut pas vraiment dire que j’aie quoi que ce soit d’un beau parti…
Et pourtant, ce constat ne m’apitoie pas autant qu’il l’aurait pu il y a quelques temps encore. Parce que je crois que je suis doucement en train d’accepter le fait d’en être arrivé là, et qu’il m’est impossible de sauter dans une dolorean pour changer mon passé. Et que, franchement, j’ai aussi de belles choses dans tout ça. Une famille qui m’a toujours soutenu. De rares mais bons amis qui, si je ne les vois pas autant que je voudrais, comptent réellement pour moi et me supportent depuis de nombreuses amies. De quoi manger, un toit sur la tête et, d’un point de vue purement physique, une bonne santé. Et plein de choses encore qui ne demandent encore qu’à être découvertes. Peut-être même ne suis-je pas aussi terne que j’ai tendance à le penser. Et que malgré mon ambition comparable à celle, disons, d’un tabouret, et bien je finirai un jour par accomplir quelque chose dont je pourrait être fier, même rien qu’un petit peu. Et puis il y a cette fameuse introspection, qui a débuté il y a quelques temps et qui me permettra peut-être, petit à petit, d’accepter pleinement ce fait de grandir. Sans oublier le fait que j’arrive enfin à m’ouvrir un peu plus au fil des séances de thérapie et que peut-être, un jour, nous arriverons à mettre le doigt sur les bons déclencheurs.
Oui, je n’ai rien accompli de quoi réellement être fier, dans ma vie. C’est un fait. Mais il y a un autre fait que je n’avais encore jamais réellement considéré : ma vie n’est pas encore finie. Qui sait ce que réserve l’avenir ? Qui peut dire où je serais dans dix ou vingt ans ? Certainement pas moi. Ce qui m’a toujours effrayé mais qui commence également à me donner un peu d’espoir.
Tout ce qui fait qu’un jour, peut-être, j’arriverai à trouver qui je suis vraiment, et à être simplement… moi-même.
…
Mais avant, j’ai encore deux saisons de « Criminal Minds » à regarder.