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Plume de Renard - Page 64

  • La nuit du cacao

    Vous en êtes le premier surpris: voici une nouvelle note sur ce blog. Parce qu'un sursaut d'inspiration s'est saisi de vous comme l'alligator du buffle d'eau imprudent, et que vous vous sentiez nostalgique de l'univers de vos historiettes et de leurs personnages. Alors en voici une nouvelle. Peut-être n'avez-vous pas retrouvé la grâce de vos ancies textes, peut-être est-elle encore là. Aux lecteurs d'en juger.

     

    Vous, vous allez enfin aller vous coucher. Enfin, dès que vous aurez fini de savourer votre cacao.

     

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    "Qu’elle est belle quand elle dort. Aussi terriblement cliché que cela puisse paraît de le mentionner –votre éditeur vous taperait métaphoriquement sur les doigts d’un de ses éngimatiques « Hon hon »- vous ne trouvez jamais votre tendre moitié aussi jolie que plongée dans le plus profond des sommeils. Enroulée dans le grand duvet-pour-eux qu’elle s’accapare chaque nuit, qu’il gèle ou qu’il brûle, vous ne voyez que le sommet de son crâne émerger de la couette. Des mèches de cheveux y sont collées par la sueur sur son front, et il vous arrive de suivre longuement le tracé de chacune d’entre elle, tel le psychopathe monomaniaque d’un trhiller hollywoodien. Plus d’une fois la douce créature ouvrit-elle soudain les yeux pour rencontrer les vôtres, fixés sur l’apaisant spectacle de son sommeil. Elle ravalait alors toujours un bref hoquet de surprise, de ceux typiques de cet état d’éveil où, à mi chemin entre le sommeil et la prise de conscience, la réalité semble aussi diffuse qu’étrange. Et puis elle vous lançait un de ses regards noirs pour lesquels vous vous seriez damnés plus d’une fois avant de vous traiter « de psychopathe de série Z, à regarder les honnêtes gens dormir ! ». Comme quoi, les grands esprits se rencontrent, et les couples ne se forment pas par hasard. Mais maintenant, aux heures creuses de cette nuit printanière, elle dort à poings fermés et guère disposée à se réveiller sous la pression de votre regard de braise. Du moins aimez-vous à le penser ; à cette heure-là, il doit plutôt ressembler à celui d’un cabillaud à lunettes atteint d’un léger strabisme. Votre esprit vagabonde quelques secondes sur la question, et vous en arrivez au compromis d’un regard de poisson braisé. Ce qui, accessoirement, vous donne faim. Même  à une heure du matin, la perspective d’un bon morceau de cabillaud vous paraît alléchante. C’est dû à votre nouveau médicament-pour-dormir, paraît-il. Un saint-graal prescrit par votre nouveau psychothérapeute, dont l’épaisse barbe broussailleuse lui donne d’ailleurs l’air d’un templier sur le retour (enfin, un templier avec un goût prononcé pour les chemises hawaïennes multicolores et un regret prononcé pour les années septante ; vous l’imaginez plus volontiers reprendre le pétard de cannabis que l’épée des croisades). Avant ce miraculeux inducteur de sommeil, rien ne semblait avoir de l’effet sur vous. Tel médicament vous donnait l’impression de tomber dans une sorte de coma éveillé qui vous laissait la bouche pâteuse et une étrange fascination pour le point de croix, tandis que telle substance produisait tout l’effet inverse qu’on attendait d’un somnifère, vous redonnant la pêche d’un gosse de six ans (ainsi que l’excitation et les mêmes capacités d’attention). Avec ce dernier traitement, votre cœur se mettait parfois à battre tellement fort dans votre poitrine que vous aviez l’impression qu’il essayait désespérément de percer votre cage thoracique afin d’aller pulser ailleurs s’il y était. Et puis votre nouveau médecin barbu avait enfin fini par trouver LA molécule vous permettant enfin de vous libérer des tourments de l’insomnie et de vous endormir avec délice en quelques secondes à peine là où, longtemps, il vous fallait de nombreuses heures et un ou deux tomes de Balzac (qui rime avec Prozac). Maintenant, un petit quart d’heure après avoir laisser fondre la pastille sur votre langue, vous vous endormez brutalement au milieu d’une phrase. Bon, évidemment, le revers de la médaille n’a pas tarder à suivre : cette molécule fait de vous la proie de fringales aussi sauvages que nombreuses. Vous n’avez pas tarder à en voir les effets sur votre petit bedon d’artiste passant la plupart de son temps de travail avachi sur une chaise de bureau, mais vous n’en avez eu que faire : votre sommeil avant tout ! Ce que votre tendre moitié a approuvé, elle-même épuisée par le simple fait de vous savoir éveillé, les yeux hagards, la plus grande partie de la nuit (alors que la perfide créature de votre vie dort ses huit heures par jour sans le moindre problème et fait partie de cette catégorie de gens hautement détestables qui ne prennent pas un gramme tout en s’empiffrant d’éclairs au chocolat et de kébabs –parfois dans cette ordre- et ce sans faire le moindre sport ou suivre le moindre régime entre temps).

     

    Du coup, vous voilà une fois de plus la faim au ventre alors que vous avez avalé un copieux repas au souper. Pourtant, ce soir vous n’avez pas prit votre pilule miracle. Vous aviez à retravailler un long passage de votre œuvre en cours, à présenter demain à votre éditeur et ce à la deuxième heure (votre éditeur a lui aussi besoin de son sommeil ). Et puis vous vous devez d’avouer que, de temps en temps, vous aimez vous replonger dans cette ambiance si particulières aux nuits sans sommeil, où l’imagination semble stimulée plus qu’à n’importe quel autre moment de la journée et ce de la plus curieuse des façons. Où les grandes réflexions sur le sens de la vie côtoient les angoisses les plus profondes, de celles qui vous nouent l’estomac comme une pieuvre s’enroulant autour du dernier pot de nutella (car si les pieuvres ont bon goût, elles ont le bec sucré, évidemment). Cette nuit est l’une de ces nuits où, l’espace de quelques heures, vous vous sentez l’envie –le besoin, même !- de sentir votre cerveau carburer comme un cycliste dopé à l’hélium, quitte à vous écrouler de fatigue le lendemain. De simplement rester assis sur votre coin de lit, dans la semi-pénombre illuminée par les lueurs de la rue, le silence uniquement troublé par les passages irréguliers de véhicules en pleine course nocturne, par le souffle régulier de votre compagne et celui, rauques et asthmatique comme celui d’un ramoneur obèse de huitante balais, de votre chat (cette bestiole est d’ailleurs capable de produire un bruit incroyable, compte tenu de sa taille restée minuscule malgré son entrée dans l’âge adulte ; il est d’ailleurs si petit qu’il dort encore dans une de vos vieilles et confortables pantoufles trop grandes pour vous, la faisant vibrer au rythme de son sommeil comme une tondeuse à gazon un soir d’orage). Vous pouvez ainsi laisser votre esprit suivre son cours sans tenter de lui imposer le moindre courant, sautant allégrement de la prochaine facture à payer à l’épisode de demain d’une de vos chères séries américaines en passant par le fait de se demander à quoi ressembleraient un monde si les moustaches avaient la capacité de parler. Le simple plaisir de se laisser envahir par l’atmosphère si particulier à la nuit, d’entrer en symbiose, de ne faire plus qu’un avec elle. De regarder votre belle dormeuse… et de vous dire que quitte à vous remplir l’estomac, vous prendriez bien un cacao. Bien chaud.

     

    Cette nouvelle idée en tête, vous en établissez la marche à suivre comme un général son plan de bataille. Vous levez tout d’abord, tout doucement, en évitant le moindre geste brusque. La femme qui partage votre vie n’a pas le sommeil spécialement léger lorsqu’il s’agit de sons, mais la moindre vibration du matelas peut la faire se réveiller dans un sursaut rappelant celui d’un dauphin échoué se retournant dans une poêle à crêpe. Vous voilà vos pieds nus sur le tapis effiloché –vous le changerez un jour, vous promettez-vous en cette nuit propice aux bonnes intentions, sachant pertinemment que vous n’en ferez rien le lendemain- et vous n’avez plus qu’à vous levez totalement… L’opération est délicate, et vous savez que ce dernier mouvement ne doit plus rien à la délicatesse : il s’agit de se lever brutalement, d’un coup sec, et de s’immobiliser aussitôt sur le tapis, les pieds s’y cramponnant à vous en faire mal comme un homme à la mer à sa bouée de sauvetage. Et puis, sans bouger, sans respirer, attendre de voir si la tactique à porté ses fruits. Tout d’abord l’incertitude, puis le soulagement salvateur d’entendre la respiration régulière de l’être aimé continué son cours.  Votre poitrine se soulève à nouveau avant de s’affaisser en un long soupir de triomphale. Manœuvre réussie, discrétion maximal, vous auriez fait un malheur dans les rang du MI-6 ! Enfin, si vous n’étiez pas aussi maladroit. Votre pied butte contre une petite forme pelucheuse au pied de votre lit, et le grognement du chat se fait entendre, rappelant plus celui d’un rottweiler  à qui l’on retirerait son os que l’indignation d’un petit félin. Mais la bête se rendort aussitôt ; comme tout votre entourage –de vos parents à la femme de votre vie en passant par votre éditeur- le monstre semble tout ignorer des problèmes de sommeil et s’en retourne chasser des boîtes de pâtée au pays des rêves (il n’a jamais aperçu ne serait-ce que l’oreille d’une souris, et vous le soupçonnez fortement de ne pas savoir qu’en faire s’il se retrouvait un jour face à une de ces bestiole). Bon, la maisonnée dort encore, et vous n’avez pas fait tomber le vase en toc dans lequel vous avez rangé deux parapluies et une vieille épée métallique en toc rapportée d’une boutique de souvenirs médiévale. Vous vous en tirez mieux que d’autres fois, tout va bien. La cuisine, maintenant. Tâtonnant dans l’obscurité histoire de ne pas allumer la lumière pour rien, vous vous glissez dans l’étroit couloir menant à votre petite cuisine. Vous ouvrez un placard, cherchant à tâtons une tasse ou un bol, mais ne rencontrez que du vide et un quignon de pain qui doit traîner là depuis au moins trois semaines (il est tellement dur que pourriez assommer un cambrioleur avec). Vous réaliser alors une évidence : tasses et bols traînent dans l’évier au sein d’une pile de deux jours de vaisselle non-faite. Trait en commun que vous partagez avec celle qui fait battre votre cœur : vous ne pensez jamais à des détails aussi triviaux que le ménage journalier. Non pas que la tâche en soit vous rebute ; plutôt parce que vous avez toujours quelque chose de plus intéressant à faire, même –et surtout ! – s’il s’agit de regarder l’énième rediffusion d’un épisode de Friends en mangeant des céréales à même le paquet.  Mais, las, l’envie de cacao s’est emparée de vous comme l’émoi d’une adolescente devant le dernier spectacle de son idole, et vous savez que vous ne serez pas tranquille avant d’avoir assouvi votre désir chocolaté. Les services et les plats s’entrechoquent tandis que vous fouillez à la recherche d’un récipient acceptable ; chat comme femme n’en voient pas leur sommeil troublé, et vous mettez enfin la main sur la sainte coupe. Tout va bien dans le meilleur des mondes. Enfin, si une pâte à la sauce tomate échappée d’une assiette ne flottait pas au fond de la fameuse coupette. Vous videz le tout et rincez l’objet de vos rêves, allant même jusqu’à user trois gouttes de savons et y donner deux coups de torchons. Fier de votre frénésie proprette, vous ouvrez maintenant la boite de cacao en poudre, bien en évidence sur un coin du plan de travail, en équilibre précaire entre le grille-pain et une pile de publicités et de catalogues-posées-là-parce-qu’on-ne-sait-pas-où-les-mettre-ailleurs-et-qu’on-va-pas-les-jeter-tout-de-suit-des-fois-qu’on-aurait-le-temps-d’y-jeter-un-œil-sans-doute-jamais-mais-qui-sait-ça-peut-toujours-servir. Cacao qui, dans votre foyer, trône comme le café dans celui d’autrui. Le chocolat chaud, c’est votre drogue, vous y avez rendu accroc votre moitié et même la chat ne résiste pas à en laper un fon de bol.  Ensuite, le lait. Autre élément de base de votre alimentation. Vous pourriez sans doute survivre en vous contentant uniquement de bouteilles de lait entier, de pain de mie et de ces délicieuses chips au bacon. Pas très longtemps avant de finir avec le foie en vrac, certes, mais tout de même. Verser le lait dans la tasse propre, maintenant. Vous ne vous appliquez même pas à le faire soigneusement ; vous avez beau eu essayé des années, vous n’avez jamais été fichu de verser du lait dans quelque chose sans en renverser partout à côté. Un autre coup de torchon –décidément, si vous n’aviez pas un cacao à boire, vous feriez tout le ménage en une seule nuit, parfaitement !  -et on en parle plus. Le four à micro-ondes, la tasse pleine de lait dedans et c’est parti pour deux minutes de vrombissement sourd (et probablement cancérigène comme le disent les journaux, mais tant pis, vous courrez le risque) qui donne à votre appareil un petit air de mécanique soviétique d’avant-guerre. Sursauter au petit « Ding ! » de fin de réchauffage ; on pourrait croire que vous vous y êtes habitués depuis le temps, mais il n’en est rien. Le satané bruit de clochette joyeuse vous surprend encore comme un petit lutin rigolard venant jouer du triangle sous votre nez. Vous brûler les doigts sur la céramique chaude, voilà qui est fait aussi (il y a définitivement des choses basiques que l’humain, pourtant si adaptable, ne sera jamais capable d’intégrer dans sa vie quotidienne, aussi fort qu’il essaie). Trois cuillerées de votre cacao de luxe –certains se ruinent en liqueur de vingt ans d’âge, vous, vous préférez le chocolat-, on touille le tout et hop, c’est prêt ! le délicieux fumet vient alors envahir vous narines et ce qui, d’après le bruit fait en ronronnant, ressemble plus à un chasse-neige en pleine côte qu’à un chat vient se frotter contre vos jambes poilues (et fières de l’être). Vous refaites alors le chemin en sens inverse, le précieux breuvage brûlant vos mains avec délice, et vous vous accoudez sur le rebord de la petite fenêtre de la chambre, les yeux perdus entre les lueurs des lampadaires et des voitures passant en trombe. Vient alors la première gorgée du cacao nocturne, celle qui vous brûle le palais avant de descendre douloureusement le long de votre gorge. Mais vous n’en avez que faire, tandis que la douce chaleur de la boisson se répand de votre estomac à tout votre corps.  Plaisir coupable d’une nuit sans sommeil, douceur à savourer rien que pour vous tandis que le reste du monde dort, ignorant des délices du chocolat liquide bouillant entre vos doigts. Et puis soudain, une voix pâteuse, comme sortie d’un rêve trop tôt :

     

    « Cacao ? »

     

    Vous n’avez pas besoin de tourner la tête pour savoir qu’elle s’est redressée dans votre lit. Elle doit disposer d’un sixième sens axés sur le chocolat en poudre, vous ne voyez pas d’autre explication. Vous l’entendez repousser le duvet, prête à se lever. Le sommeil l’a définitivement quittée, maintenant que les effluves du breuvages sont venues imprégner son petit nez en trompette. Ses pas délicats sur le tapis, puis ses mains froides –mais si douces- passant autour de votre taille pour venir chercher la chaleur du chocolat chaud.

     

    Qu’elle est belle quand elle dort, pensez-vous à nouveau.  Aussi terriblement cliché que cela puisse paraît de le mentionner, vous ne trouvez jamais votre tendre moitié aussi jolie que plongée dans le plus profond des sommeils. Et ce n’est pas seulement pour la beauté toute simple de ses mèches dessinant des boucles sur son front.

     

    C’est parce que quand elle dort, elle n’essaie pas de vous piquer votre cacao."

  • Sept ans, sept vies, quatre films

    Il y a de cela quelques temps, vous aviez écrit un billet où vous étiez exprimé à propos de votre adolescence perdue (sans doute quelque part dans le fatras de votre bureau, que vous  aviez renoncé à ranger sans doute dès vous doute, treize ans. Ceci explique peut-être cela). Comme la norme de vos dernières notes, c’était une expression d’une humeur noire, la mise par écrit du sentiment profondément nostalgique qui ne vous a toujours pas quitté. Ouaip, vous n’aviez pas l’esprit à écrire une ode à la joie. Vous ne l’avez pas encore tout à fait, mais vous avez déjà retrouvé l’envie de ne pas vous lamenter des pages et des pages sur une situation qui n’évolue pas ou un passé auquel on ne peut rien changer (et auquel aucune bombe à hydrogènes ne pourra servir – petite référence télévisuelle dont vous êtes, on le sait, très friand x) ).

     

    Bref. A force d’expliquer le pourquoi du comment, vous avez commencé à oublier de quoi vous vouliez parler dans ce nouveau post. Ah oui, l’adolescence. Si vous avez toujours l’impression d’être passé à coté de la vôtre (ou repose-t-elle coincée dans un tiroir entre une pile de dessins et un cartons de cartes Magic ? Bon sang, il va vraiment falloir que vous fassiez un peu d’ordre sur ce truc. C’est promis ! Demain peut-être. Si. Mais avant, vous avez la saison 4 de Supernatural à finir), et bien vous avez le spectateur  de sept adolescences d’un coup un seul cet après-midi au cinéma, où vous êtes allés voir les deux premières parties (sur quatre, les deux dernières ne devraient pas tarder à paraître sur les écrans) du film-documentaire « Romans d’ados ».

     

    Et waow. Honnêtement, ce fut là votre plus fort, votre plus authentique moment de cinéma depuis bien longtemps. Le concept audacieux aura nécessité un peu plus de sept ans avant d’enfin pouvoir être présenté sur les écrans. Diantre, voilà qui a nécessité plus de temps que toute saga littéraire pleine d’elfes à oreilles pointues et de combats millénaires entre les forces du bien et du mal ! Pourquoi donc ? Et bien parce que ce documentaire suit littéralement sept ans de la vie de sept adolescents au fil de quatre parties de cent minutes chacune. Sept jeunes de douze ans quand a commencé la réalisation du film en 2002, film qui les verra grandir jusqu’à leur majorité. Sept jeunes d’horizon variés de la commune de suisse romande d’Yverdon-les-Bains. Et sept jeunes qui pourraient être n’importe qui.

     

    La force coup-de-poing de ce documentaire, c’est de réussir le tour de force suivant : à aucun moment, le spectateur ne se sent voyeur comme devant la première émission de téléréalité ou pseudo-documentaire venue. On est invités à entrer dans le quotidien et l’intimité de ces sept jeunes d’êtres humains, et on ne ressent aucun malaise à les voir faire leur bout de chemin dans la vie. De manière chronologique, le documentaire nous montre plusieurs scènes de la vie quotidienne de ces jeunes chez eux, à l’école ou dans les rues d’Yverdon. De rares interventions des responsables du documentaire –dont on n’entend que la voix à travers les questions qu’ils posent- renforcent l’immersion dans ce monde fascinant. Fascinant, car ces films n’ont de cesse de nous renvoyer à nos propres souvenirs d’ados, et à notre propre vision du passage progressif à l’âge adulte.

     

    Les deux premiers films –projetés ensemble- sont nommés « La fin de l’innocence » et « La crise », et suivent nos jeunes natifs de la riante (si, si !) Yverdon-les-Bains de douze à quinze ans. Les deux derniers films les suivront jusqu’à leur majorité, et se nomment « Les illusions perdues » et « Adultes, mais pas trop ! ».

     

    C’est avec une forte émotion que dans ces deux premières parties nous voyons ces jeunes sortir devant nos yeux de l’innocence de l’enfance, nous renvoyant aussitôt à la nôtre. Vous avez ri, pleuré et tremblé de maintes émotions avec eux, au fur et à mesure de leur progression dans le fameux « âge ingrat ». Comment ne pas s’émouvoir du silencieux et contemplatif Thys (si, si, c’est un prénom !) au regard si profond ? De ne pas sourire devant l’énergie et le caractère de Virginie, sorte de canards boiteux que nous avons tous été un peu un jour (certains plus que d’autres) ? De ne pas s’amuser des découvertes qui jalonnent le parcours de Mélanie, Aurélie, Rachel et Jordann ? De ne pas être touché ou agacé par l’étrange sensibilité de Xavier ? De la découverte des premières galères, des premiers deuils, des premiers amours ? De cette fille de pasteur qui, à douze ans, exprimait avec une sincérité touchante et nullement mielleuse son envie de se vouer à Jésus et qui, à peine deux ans plus tard, bataillera avec ses parents sur la longueur de sa jupe ? Des parents, il y en a dans ces films, bien entendu : les familles sont composées, recomposées  ou plus classiques. Et tous, enfants, ados, adultes, s’expriment avec une sincérité touchante devant une caméra jamais impudique.  Plus encore dès la seconde partie, où chacun des ados se voit confier une caméra pour se filmer lui-même, acceptant de partager de ce journal vidéo intime quelques extraits qu’ils auront choisi de révéler au public.

     

    De ce film, vous êtes ressortis un sourire aux lèvres. Dans ce film, il y a eu du drame, de la tragédie, du rire et des larmes, des dialogues percutants, et les effets les plus spéciaux qui soient : ceux de tous les jours. Très vite, dès les premières minutes, on s’attache à Thys, Virginie (mes deux coups de cœur), Aurélie, Rachel, Mélanie, Xavier et Jordann. Cela vous  a permis de remettre en perspective votre propre vision de votre adolescence, et de vous y confrontez à nouveau. De voir que peut-être, elle n’était pas si perdue que cela. Et a entendre et voir le –nombreux- public réagir, vous pouvez confirmer d’autant plus à quel point et avec quelle justesse fait mouche. On vous retrouvera devant l’écran pour les deux dernières parties. Et longtemps, vous demanderez quel impact aura sur ces septs ados devenus jeunes adultes une telle aventure, emplie d’une sincérité poignante, percutante et jamais cucul ou larmoyante.

     

    C’est là la meilleure histoire, celle de la vie qu’on découvre et qu’on apprivoise à travers le parcours de sept véritables héros de l’ordinaire, de héros de la vie, pas toujours tendre mais pourtant si ancrée en chacun d’entre eux et, quelque part, en chacun d’entre nous.

     

    A tous vos lecteurs qui en auraient l’occasion, vous n’avez qu’une seule chose à dire pour conclure ce billet coup de cœur : foncez voir ce film. Vraiment. Ca vaut le coup. Peut-être plus que vous êtes capable de l’imaginer. Pour vous en tout cas, cela a été une expérience étrange et décidément extraordinaire. Jamais le monde de l’adolescence, cette difficile transition de l’enfance au monde adulte mais pas trop, n’aura été aussi bien portée à l’écran.

     

    Et si tout cela ne vous pas convaincu, je terminerai en vous présentant le trailer complet (pour l’ensemble des quatre films) :

     

  • La gueule des statues


    podcast
    I Say - Pax

     

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    On ne sait jamais trop quand de vieilles blessures qu’on croyait proprement cicatrisées ressurgissent soudain. C’est peut-être parce que vous êtes particulièrement doué pour vous mentir à vous-même. Les mauvais souvenirs, c’est comme le vin : plus on les ressasse, plus ils ont de parfums. Cela dit, avec le vin, on peut choisir de s’en prendre plein la gueule ; allez essayer de faire de même avec votre esprit.

     

    Il y avait ces jours du temps de votre gymnase, où pendant quelques temps la vie semblait enfin plus facile. Oh, vous n’étiez pas plus prêts d’avoir un avenir que maintenant, mais au moins vous vous sentiez vivre. Vous vous rappelez le soleil pris sur les bancs ou le rebord de la fontaine, dans la cour. Des souvenirs épars s’injectent sous votre crâne comme de la mauvaise came. Ceci dit ,ç’aurait été de la bonne que vous n’auriez su dire la différence. Il y avait les rires pendant les pauses, et le Dinasty tous les mercredi midi. Plus tard, longtemps après avoir quitté ce gymnase, un premier baiser, dans cette même cour. Vos pas vous y avaient conduit ce jour là, tous les deux, d’église en un autre sanctuaire. Elle vous avait dit qu’elle aimait la beauté ancienne de ces édifices, et vous aviez ri quand elle vous avait fait remarqué que les statues de la cathédrale tiraient la gueule.

     

    Une soirée avec des amis, pratiquement tous en couple. Ca parle sexe et sentiments à tout va, sautant de l'un a l'autre sur les histoires de qui saute l'autre, balayant les conception d'un temps anciens, entre pesto et sauce tomate. Non pas que cela vous choque; vous n'avez simplement rien à dire là-dessus, et c'est ce qui vous fait le plus mal. Il y a le morceau de serviette entre vos doigts que vous façonner en Sparky, petit chien boiteux aux oreilles mal taillées, et un refuge dans les escaliers.

     

    Petit, vous couriez sur la route qui menait à l’étang du Lary. Les graviers glissaient sous vos chaussures. Là encore, le soleil sur votre peau, il faisait chaud. Vous avez de la peine à retrouver des souvenirs de votre enfance, mais vous vous rappeliez les cailloux que vous jetiez en l’air en vous rendant à l’étang. Et de celui qui, un jour, vous était retombé sur le coin de la pomme. Vous vous rappelez du choc, puis du sang. Vous aviez pleuré à chaudes larmes cette blessure superficielle. Un baiser maternel, un sparadrap, et c’était le monde qui vous appartenait à nouveau. Vous n’aviez qu’à sonner chez les voisins du dessus, ceux qui ont si longtemps partagés vos jeux dans le minable gazon derrière l’immeuble à côté de la route. Le plus cool des minables gazons où à tour de rôles vous chantiez sur une souche, avant d’aller sauver le monde au fil des histoires que vous inventiez tous les trois. Vous étiez les sauveurs de la Terre, et l’été finissait toujours par revenir.

     

    Il y a les blessures du cœur. Une quantité d’occasions manquées. L’époque jeune des coups de cœurs innocents, et les premiers émois, inattendus, vous laissant désemparé comme une branche de brocoli dans une assiette de frites. Celle que vous avez cru aimer en premier, mais qui aura été ce que vous aviez de plus proche d’une meilleure amie, même si vous ne vous en rendiez pas compte alors. Perdue de vue, pour le meilleur. Vous ne sauriez plus quoi dire. Comme à une autre fille que de peur, vous avez fui. Parce que vous étiez encore un enfant effrayé dans votre tête, que vous n’étiez pas prêt. Vous regrettez toujours d’avoir agi ainsi. Vous n’aurez sans doute jamais l’occasion –ou les trippes- de lui présenter vos excuses.

     

    Les tripes, c’est vraiment infect. Comme la langue de bœuf que votre père et votre sœur d’accueil adorent au grand dam de votre famille, et à laquelle ils avaient parfois droit dans un formidable moment de complicité culinaire. Vous, ça a toujours été le jambon madère. Et la complicité avec vos sœurs, parfois diminuée mais jamais annihilée. Petit, au lit, quand l’une d’elle vous lisait Pedro Tango avec l’accent espagnol. A une époque où vous n’aviez qu’à choisir si vous alliez jouez dehors avec les voisins ou lire le lendemain. Mais contre un bon bouquin, le salut de la terre peut attendre.

     

    Des choix, que vos avez toujours fait de travers. Vos études, un travail de maturité qui aurait pu tout changer. Avant, même, si vous vous étiez accroché au lieu de fuir la réalité qui vous faisait depuis de plus en peur. Quand vous avez réalisé la réalité, plus rien n’a jamais été pareil. Les choix étaient lourds de conséquences, et l’été n’était plus l’été, au camping au bord de la mer, à Marseillan. Encore un choix, y retourner ou pas ? Le choix de la DS en classe pendant les cours de math au gymnase. Que feriez-vous si vous pouviez revenir à cette époque ? Cette autre fille encore dont vous aviez appris qu’elle vous avait envoyé des signaux que vous n’aviez pas voulu voir. Si vous aviez choisi de les voir, où seriez vous maintenant ?

     

    Envie de vous saouler la gueule au Bailey's en écoutant l'accent du sud de Lucero, mais inmpossible. Saleté de médicaments.

     

    Un été au valais, avec votre mère, comme un autre été, toujours dans la même vallée que vous aimiez tant. Même l’année où l’ambulance a dû venir la chercher n’a pas diminué le plaisir des suivantes. Vous aimeriez tant y retourner, revoir les marmottes, faire découvrir ce lieu à des amis, à un amour.

     

    L’amour que vous avez perdu. Le premier vrai amour et vous ne vous en êtes pas remis, vous le savez maintenant. Si court et si intense, la découverte des sens, la découverte du possible d’un deux. Comme un retour en arrière, vous vous sentiez à nouveau bien. Puis se faire jeter à travers un mail. Peut-être auriez –vous pu l’empêcher. Cela revient vous hanter. Vous aviez fait bonne figure rapidement mais ça vous fait mal, toujours. Pourquoi ?

     

    Et ce malheur, déclenchant à l’époque de petits bonheurs que vous aviez toujours eu sans le savoir. Un ami qui vient ventre à terre et vous apporte un croissant. Et qui ne rêve que de partir (l’ami, pas le croissant). Pourquoi ? Que ferez-vous, ensuite, sans lui ?

     

    Il y avait cette sauterelle, sur la route de Saas-Fée, que vous aviez prise dans vos petites mains d’enfants pour la mettre en sécurité sur le bord de la route. Du jeu avec vos voisins, vous étiez devenu un véritable sauveur de la terre. Et dans les pages d’écritures plus tard que vous rêverez de faire vivre.

     

    Mais aujourd’hui, vous êtes seul comme jamais vous ne vous en êtes rendu compte, parce que les blessures du cœur sont toujours là, et que vous n’arrivez plus à avancer.

     

    Dans le hamac au coin du feu, dans la maison de Provence de votre marraine, vous écoutiez la cassette audio de Tiflamme et la Pierre Bleue pour vous endormir. Petit, c’était déjà l’amour des grandes histoires. De Mama Gamba la grand-mère castor et Corbiroux le corbeau à John Locke de Lost. Mais il y avait le hamac, et la cheminée. Aujourd’hui encore, il n’y a parfois que l’histoire d’un petit garçon roux qui cherche sa pierre bleue sur un vieux radiocassette pour vous permettre de trouver le sommeil, seul, malgré vos médicaments.

     

    Et les statues de la cathédrale tirent toujours la gueule.

     

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    podcast

    Des Marées D'Ecume - Saez