Vous en êtes le premier surpris: voici une nouvelle note sur ce blog. Parce qu'un sursaut d'inspiration s'est saisi de vous comme l'alligator du buffle d'eau imprudent, et que vous vous sentiez nostalgique de l'univers de vos historiettes et de leurs personnages. Alors en voici une nouvelle. Peut-être n'avez-vous pas retrouvé la grâce de vos ancies textes, peut-être est-elle encore là. Aux lecteurs d'en juger.
Vous, vous allez enfin aller vous coucher. Enfin, dès que vous aurez fini de savourer votre cacao.
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"Qu’elle est belle quand elle dort. Aussi terriblement cliché que cela puisse paraît de le mentionner –votre éditeur vous taperait métaphoriquement sur les doigts d’un de ses éngimatiques « Hon hon »- vous ne trouvez jamais votre tendre moitié aussi jolie que plongée dans le plus profond des sommeils. Enroulée dans le grand duvet-pour-eux qu’elle s’accapare chaque nuit, qu’il gèle ou qu’il brûle, vous ne voyez que le sommet de son crâne émerger de la couette. Des mèches de cheveux y sont collées par la sueur sur son front, et il vous arrive de suivre longuement le tracé de chacune d’entre elle, tel le psychopathe monomaniaque d’un trhiller hollywoodien. Plus d’une fois la douce créature ouvrit-elle soudain les yeux pour rencontrer les vôtres, fixés sur l’apaisant spectacle de son sommeil. Elle ravalait alors toujours un bref hoquet de surprise, de ceux typiques de cet état d’éveil où, à mi chemin entre le sommeil et la prise de conscience, la réalité semble aussi diffuse qu’étrange. Et puis elle vous lançait un de ses regards noirs pour lesquels vous vous seriez damnés plus d’une fois avant de vous traiter « de psychopathe de série Z, à regarder les honnêtes gens dormir ! ». Comme quoi, les grands esprits se rencontrent, et les couples ne se forment pas par hasard. Mais maintenant, aux heures creuses de cette nuit printanière, elle dort à poings fermés et guère disposée à se réveiller sous la pression de votre regard de braise. Du moins aimez-vous à le penser ; à cette heure-là, il doit plutôt ressembler à celui d’un cabillaud à lunettes atteint d’un léger strabisme. Votre esprit vagabonde quelques secondes sur la question, et vous en arrivez au compromis d’un regard de poisson braisé. Ce qui, accessoirement, vous donne faim. Même à une heure du matin, la perspective d’un bon morceau de cabillaud vous paraît alléchante. C’est dû à votre nouveau médicament-pour-dormir, paraît-il. Un saint-graal prescrit par votre nouveau psychothérapeute, dont l’épaisse barbe broussailleuse lui donne d’ailleurs l’air d’un templier sur le retour (enfin, un templier avec un goût prononcé pour les chemises hawaïennes multicolores et un regret prononcé pour les années septante ; vous l’imaginez plus volontiers reprendre le pétard de cannabis que l’épée des croisades). Avant ce miraculeux inducteur de sommeil, rien ne semblait avoir de l’effet sur vous. Tel médicament vous donnait l’impression de tomber dans une sorte de coma éveillé qui vous laissait la bouche pâteuse et une étrange fascination pour le point de croix, tandis que telle substance produisait tout l’effet inverse qu’on attendait d’un somnifère, vous redonnant la pêche d’un gosse de six ans (ainsi que l’excitation et les mêmes capacités d’attention). Avec ce dernier traitement, votre cœur se mettait parfois à battre tellement fort dans votre poitrine que vous aviez l’impression qu’il essayait désespérément de percer votre cage thoracique afin d’aller pulser ailleurs s’il y était. Et puis votre nouveau médecin barbu avait enfin fini par trouver LA molécule vous permettant enfin de vous libérer des tourments de l’insomnie et de vous endormir avec délice en quelques secondes à peine là où, longtemps, il vous fallait de nombreuses heures et un ou deux tomes de Balzac (qui rime avec Prozac). Maintenant, un petit quart d’heure après avoir laisser fondre la pastille sur votre langue, vous vous endormez brutalement au milieu d’une phrase. Bon, évidemment, le revers de la médaille n’a pas tarder à suivre : cette molécule fait de vous la proie de fringales aussi sauvages que nombreuses. Vous n’avez pas tarder à en voir les effets sur votre petit bedon d’artiste passant la plupart de son temps de travail avachi sur une chaise de bureau, mais vous n’en avez eu que faire : votre sommeil avant tout ! Ce que votre tendre moitié a approuvé, elle-même épuisée par le simple fait de vous savoir éveillé, les yeux hagards, la plus grande partie de la nuit (alors que la perfide créature de votre vie dort ses huit heures par jour sans le moindre problème et fait partie de cette catégorie de gens hautement détestables qui ne prennent pas un gramme tout en s’empiffrant d’éclairs au chocolat et de kébabs –parfois dans cette ordre- et ce sans faire le moindre sport ou suivre le moindre régime entre temps).
Du coup, vous voilà une fois de plus la faim au ventre alors que vous avez avalé un copieux repas au souper. Pourtant, ce soir vous n’avez pas prit votre pilule miracle. Vous aviez à retravailler un long passage de votre œuvre en cours, à présenter demain à votre éditeur et ce à la deuxième heure (votre éditeur a lui aussi besoin de son sommeil ). Et puis vous vous devez d’avouer que, de temps en temps, vous aimez vous replonger dans cette ambiance si particulières aux nuits sans sommeil, où l’imagination semble stimulée plus qu’à n’importe quel autre moment de la journée et ce de la plus curieuse des façons. Où les grandes réflexions sur le sens de la vie côtoient les angoisses les plus profondes, de celles qui vous nouent l’estomac comme une pieuvre s’enroulant autour du dernier pot de nutella (car si les pieuvres ont bon goût, elles ont le bec sucré, évidemment). Cette nuit est l’une de ces nuits où, l’espace de quelques heures, vous vous sentez l’envie –le besoin, même !- de sentir votre cerveau carburer comme un cycliste dopé à l’hélium, quitte à vous écrouler de fatigue le lendemain. De simplement rester assis sur votre coin de lit, dans la semi-pénombre illuminée par les lueurs de la rue, le silence uniquement troublé par les passages irréguliers de véhicules en pleine course nocturne, par le souffle régulier de votre compagne et celui, rauques et asthmatique comme celui d’un ramoneur obèse de huitante balais, de votre chat (cette bestiole est d’ailleurs capable de produire un bruit incroyable, compte tenu de sa taille restée minuscule malgré son entrée dans l’âge adulte ; il est d’ailleurs si petit qu’il dort encore dans une de vos vieilles et confortables pantoufles trop grandes pour vous, la faisant vibrer au rythme de son sommeil comme une tondeuse à gazon un soir d’orage). Vous pouvez ainsi laisser votre esprit suivre son cours sans tenter de lui imposer le moindre courant, sautant allégrement de la prochaine facture à payer à l’épisode de demain d’une de vos chères séries américaines en passant par le fait de se demander à quoi ressembleraient un monde si les moustaches avaient la capacité de parler. Le simple plaisir de se laisser envahir par l’atmosphère si particulier à la nuit, d’entrer en symbiose, de ne faire plus qu’un avec elle. De regarder votre belle dormeuse… et de vous dire que quitte à vous remplir l’estomac, vous prendriez bien un cacao. Bien chaud.
Cette nouvelle idée en tête, vous en établissez la marche à suivre comme un général son plan de bataille. Vous levez tout d’abord, tout doucement, en évitant le moindre geste brusque. La femme qui partage votre vie n’a pas le sommeil spécialement léger lorsqu’il s’agit de sons, mais la moindre vibration du matelas peut la faire se réveiller dans un sursaut rappelant celui d’un dauphin échoué se retournant dans une poêle à crêpe. Vous voilà vos pieds nus sur le tapis effiloché –vous le changerez un jour, vous promettez-vous en cette nuit propice aux bonnes intentions, sachant pertinemment que vous n’en ferez rien le lendemain- et vous n’avez plus qu’à vous levez totalement… L’opération est délicate, et vous savez que ce dernier mouvement ne doit plus rien à la délicatesse : il s’agit de se lever brutalement, d’un coup sec, et de s’immobiliser aussitôt sur le tapis, les pieds s’y cramponnant à vous en faire mal comme un homme à la mer à sa bouée de sauvetage. Et puis, sans bouger, sans respirer, attendre de voir si la tactique à porté ses fruits. Tout d’abord l’incertitude, puis le soulagement salvateur d’entendre la respiration régulière de l’être aimé continué son cours. Votre poitrine se soulève à nouveau avant de s’affaisser en un long soupir de triomphale. Manœuvre réussie, discrétion maximal, vous auriez fait un malheur dans les rang du MI-6 ! Enfin, si vous n’étiez pas aussi maladroit. Votre pied butte contre une petite forme pelucheuse au pied de votre lit, et le grognement du chat se fait entendre, rappelant plus celui d’un rottweiler à qui l’on retirerait son os que l’indignation d’un petit félin. Mais la bête se rendort aussitôt ; comme tout votre entourage –de vos parents à la femme de votre vie en passant par votre éditeur- le monstre semble tout ignorer des problèmes de sommeil et s’en retourne chasser des boîtes de pâtée au pays des rêves (il n’a jamais aperçu ne serait-ce que l’oreille d’une souris, et vous le soupçonnez fortement de ne pas savoir qu’en faire s’il se retrouvait un jour face à une de ces bestiole). Bon, la maisonnée dort encore, et vous n’avez pas fait tomber le vase en toc dans lequel vous avez rangé deux parapluies et une vieille épée métallique en toc rapportée d’une boutique de souvenirs médiévale. Vous vous en tirez mieux que d’autres fois, tout va bien. La cuisine, maintenant. Tâtonnant dans l’obscurité histoire de ne pas allumer la lumière pour rien, vous vous glissez dans l’étroit couloir menant à votre petite cuisine. Vous ouvrez un placard, cherchant à tâtons une tasse ou un bol, mais ne rencontrez que du vide et un quignon de pain qui doit traîner là depuis au moins trois semaines (il est tellement dur que pourriez assommer un cambrioleur avec). Vous réaliser alors une évidence : tasses et bols traînent dans l’évier au sein d’une pile de deux jours de vaisselle non-faite. Trait en commun que vous partagez avec celle qui fait battre votre cœur : vous ne pensez jamais à des détails aussi triviaux que le ménage journalier. Non pas que la tâche en soit vous rebute ; plutôt parce que vous avez toujours quelque chose de plus intéressant à faire, même –et surtout ! – s’il s’agit de regarder l’énième rediffusion d’un épisode de Friends en mangeant des céréales à même le paquet. Mais, las, l’envie de cacao s’est emparée de vous comme l’émoi d’une adolescente devant le dernier spectacle de son idole, et vous savez que vous ne serez pas tranquille avant d’avoir assouvi votre désir chocolaté. Les services et les plats s’entrechoquent tandis que vous fouillez à la recherche d’un récipient acceptable ; chat comme femme n’en voient pas leur sommeil troublé, et vous mettez enfin la main sur la sainte coupe. Tout va bien dans le meilleur des mondes. Enfin, si une pâte à la sauce tomate échappée d’une assiette ne flottait pas au fond de la fameuse coupette. Vous videz le tout et rincez l’objet de vos rêves, allant même jusqu’à user trois gouttes de savons et y donner deux coups de torchons. Fier de votre frénésie proprette, vous ouvrez maintenant la boite de cacao en poudre, bien en évidence sur un coin du plan de travail, en équilibre précaire entre le grille-pain et une pile de publicités et de catalogues-posées-là-parce-qu’on-ne-sait-pas-où-les-mettre-ailleurs-et-qu’on-va-pas-les-jeter-tout-de-suit-des-fois-qu’on-aurait-le-temps-d’y-jeter-un-œil-sans-doute-jamais-mais-qui-sait-ça-peut-toujours-servir. Cacao qui, dans votre foyer, trône comme le café dans celui d’autrui. Le chocolat chaud, c’est votre drogue, vous y avez rendu accroc votre moitié et même la chat ne résiste pas à en laper un fon de bol. Ensuite, le lait. Autre élément de base de votre alimentation. Vous pourriez sans doute survivre en vous contentant uniquement de bouteilles de lait entier, de pain de mie et de ces délicieuses chips au bacon. Pas très longtemps avant de finir avec le foie en vrac, certes, mais tout de même. Verser le lait dans la tasse propre, maintenant. Vous ne vous appliquez même pas à le faire soigneusement ; vous avez beau eu essayé des années, vous n’avez jamais été fichu de verser du lait dans quelque chose sans en renverser partout à côté. Un autre coup de torchon –décidément, si vous n’aviez pas un cacao à boire, vous feriez tout le ménage en une seule nuit, parfaitement ! -et on en parle plus. Le four à micro-ondes, la tasse pleine de lait dedans et c’est parti pour deux minutes de vrombissement sourd (et probablement cancérigène comme le disent les journaux, mais tant pis, vous courrez le risque) qui donne à votre appareil un petit air de mécanique soviétique d’avant-guerre. Sursauter au petit « Ding ! » de fin de réchauffage ; on pourrait croire que vous vous y êtes habitués depuis le temps, mais il n’en est rien. Le satané bruit de clochette joyeuse vous surprend encore comme un petit lutin rigolard venant jouer du triangle sous votre nez. Vous brûler les doigts sur la céramique chaude, voilà qui est fait aussi (il y a définitivement des choses basiques que l’humain, pourtant si adaptable, ne sera jamais capable d’intégrer dans sa vie quotidienne, aussi fort qu’il essaie). Trois cuillerées de votre cacao de luxe –certains se ruinent en liqueur de vingt ans d’âge, vous, vous préférez le chocolat-, on touille le tout et hop, c’est prêt ! le délicieux fumet vient alors envahir vous narines et ce qui, d’après le bruit fait en ronronnant, ressemble plus à un chasse-neige en pleine côte qu’à un chat vient se frotter contre vos jambes poilues (et fières de l’être). Vous refaites alors le chemin en sens inverse, le précieux breuvage brûlant vos mains avec délice, et vous vous accoudez sur le rebord de la petite fenêtre de la chambre, les yeux perdus entre les lueurs des lampadaires et des voitures passant en trombe. Vient alors la première gorgée du cacao nocturne, celle qui vous brûle le palais avant de descendre douloureusement le long de votre gorge. Mais vous n’en avez que faire, tandis que la douce chaleur de la boisson se répand de votre estomac à tout votre corps. Plaisir coupable d’une nuit sans sommeil, douceur à savourer rien que pour vous tandis que le reste du monde dort, ignorant des délices du chocolat liquide bouillant entre vos doigts. Et puis soudain, une voix pâteuse, comme sortie d’un rêve trop tôt :
« Cacao ? »
Vous n’avez pas besoin de tourner la tête pour savoir qu’elle s’est redressée dans votre lit. Elle doit disposer d’un sixième sens axés sur le chocolat en poudre, vous ne voyez pas d’autre explication. Vous l’entendez repousser le duvet, prête à se lever. Le sommeil l’a définitivement quittée, maintenant que les effluves du breuvages sont venues imprégner son petit nez en trompette. Ses pas délicats sur le tapis, puis ses mains froides –mais si douces- passant autour de votre taille pour venir chercher la chaleur du chocolat chaud.
Qu’elle est belle quand elle dort, pensez-vous à nouveau. Aussi terriblement cliché que cela puisse paraît de le mentionner, vous ne trouvez jamais votre tendre moitié aussi jolie que plongée dans le plus profond des sommeils. Et ce n’est pas seulement pour la beauté toute simple de ses mèches dessinant des boucles sur son front.
C’est parce que quand elle dort, elle n’essaie pas de vous piquer votre cacao."