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  • Lucie 31

    Et voilà, une nouvelle page, hop!^^

     

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    Daniel Grümman étira ses membres endoloris et, sentant ses os craquer un à un, se dit qu'il commençait vraiment à se faire vieux. Pour être tout à fait honnête, le processus s'était enclenché il y a un bon moment déjà, mais il s'était jusqu'ici toujours arrangé pour ne pas s'y confronter. Rien de tel que de se retrouver seul et coincé dans un train sans vie, au milieu d'un désert gelé, pour se retrouver face à soi-même. Et Grümman n'était pas sûr d'aimer le résultat. Il avait de plus en plus froid, au point qu'il avait dû aller chercher sa propre tenue d'extérieur dans le casier pour en enfiler une couche, et ses muscles secs et fatigués lui faisaient mal. Sa concentration n'était plus la même qu'il y a quelques années encore, et sa vue baissait. Et dans les recoins de son esprit, il ne pouvait s'empêcher de se demander s'il n'était pas en partie responsable de ce qui était arrivé. Il avait beau avoir vérifié et revérifié tous les systèmes possibles et n'avoir trouvé aucun défaut dont il aurait pu être à l'origine, il craignait avoir manqué un élément capital. Il n'aurait suffi que d'un bref moment d'inattention, d'une seule petite erreur pour que tout se détraque. Grümman l'avait toujours su, et il s'était toujours montré des plus diligent à ce sujet. Voilà pourquoi il avait pu garder son poste si longtemps, parce que jamais le voyage n'avait souffert sous son égide. Bien sûr, il avait connu une panne une fois ou l'autre, mais jamais de son fait, et jamais rien de bien grave. Mais aujourd'hui, la situation semblait différente, il pouvait le sentir, comme si le lien qu'il avait développé avec ce qu'il appelait depuis longtemps son train l'avertissait que quelque chose de sinistre était à l’œuvre. Et Daniel craignait d'en être en partie responsable. Voilà pourquoi il avait accepté avec soulagement les directives du major Adams via leur conversation radio, et pourquoi il avait accepté de faire valoir à nouveau son ancien grade dans l'armée de l'Hégémonie. En redevenant le capitaine Grümman, il avait le sentiment de reprendre le contrôle de la situation et, surtout, de faire partie de quelque chose de plus grand : il n'était plus seul, et tout ne dépendait plus uniquement de lui.

     

    De son temps dans les forces militaires, Daniel ne gardait que des bons souvenirs. Il avait aimé la rigueur du service, rigueur qu'il s'était employé à conserver tout au long du reste de son existence et à appliquer dans chacun des aspects de son travail. Il aimait les règles, elles simplifiaient la situation et lui donnaient des buts clairs. Grümman n'était pas un homme compliqué, mais il ne l'était pas par manque d'esprit : il croyait réellement dans le pouvoir des choses simples. Voilà pourquoi il n'aimait pas se poser des questions à moins que cela ne soit absolument nécessaire, et pourquoi il était aussi efficace dans son travail. Il ne s'était jamais demandé ce qui arrivait aux passagers qu'il déposait régulièrement à Haven, ou pourquoi l'Hégémonie y envoyait plus de soldats depuis quelques temps. C'était des détails qui ne concernaient pas la tâche qu'il se devait d'accomplir, à savoir mener son train à bon port. Ce à quoi il n'avait jamais failli, jusqu'à aujourd'hui. Oui, il se sentait plus vieux et fatigué que jamais, comme si la vie se décidait enfin à venir lui réclamer le tribut d'une vie de service. Mais il devait le sentir depuis quelques temps déjà, même s'il ne se l'était pas avoué. Cela expliquait pourquoi il avait pris autant à cœur la formation de Stan Detroit, en qui il avait reconnu les capacités et la passion nécessaire pour reprendre le flambeau. Le gamin était sensé et savait garder les pieds sur terre malgré l'empressement propre à la jeunesse, et il ferait un très bon conducteur une fois sa formation terminée. Ce n'était pas le seul apprenti que Grümman formait, mais c'était celui qui avait le plus de promesses, et à qui le chef opérateur pouvait imaginer passer le flambeau. Et il ne pouvait s'empêcher de se dire que le moment n'avait que trop tarder. Daniel Grümman n'avait jamais imaginé sa vie au-delà de son travail, mais il commençait soudainement à se dire qu'il n'aurait pas volé la retraite qui l'attendait. Économe, il avait mis assez d'argent de côté au cour de sa longue carrière pour peut-être permettre à sa famille et lui de se retirer dans la banlieue du Domaine. Après tout, il avait dédié sa vie à servir l'Hégémonie, et fait preuve d'excellence à son poste unique, à savoir conducteur du seul train parcourant la surface d’Éclat. Et puis sa femme lui disait depuis assez longtemps qu'il était temps pour lui de lever le pied...

     

    Un soupir aux lèvres, les sourcils froncés par la réflexion, il but une nouvelle gorgée du café noir très fort qu'il aimait tant, et grimaça en se rendant compte qu'il refroidissait rapidement, même dans le gros thermos de plusieurs litres qu'il gardait toujours avec lui dans la voiture de tête, dans un compartiment spécial sous le tableau de bord. D'habitude, il envoyait Stan en réchauffer, mais le gamin n'avait toujours pas réapparu, et Grümman commençait à se faire plus de soucis qu'il n'avait voulu l'avouer au major Adams. Dieu seul savait ce que Stan avait pu se mettre en tête, et Daniel espérait qu'il n'avait rien entrepris de déraisonnable. Posant brusquement sa tasse, le chef opérateur se replongea dans la contemplation de l'écran de sécurité, ses mains pianotant sur le panneau de commandes pour passer en revue les caméras qui fonctionnaient encore. Il passait inlassablement de l'une à l'autre, cherchant un signe du passage de son apprenti ou, mieux encore, Stan en personne. Mais le gamin restait introuvable, et il n'y avait pas âme qui vive dans le train en-dehors de celles qui s'étaient rassemblées dans le wagon des passagers. Et là aussi, Daniel sentait l'inquiétude monter en lui, pour Stan mais aussi pour la cause de cet arrêt forcé : si quelqu'un était réellement responsable de tout cela, la simple idée de l'imaginer ramper dans les entrailles de son train rendait Grümman malade. S'il tenait un jour un tel saboteur entre ses mains... Mais ce fut quelque chose d'autre qui attira l'attention du conducteur tandis que son écran lui montrait une à une les images du train. Il saisit la radio qu'il avait accrochée à sa ceinture et l'alluma sans perdre de temps :

     

    -Major ? Ici le capitaine Grümman. Je crois bien que je viens de voir quelque chose de plutôt bizarre...

     

  • Lucie 30

    Non, je n'ai pas abandonné, point du tout! Des choses se passent, le temps file à une vitesse folle, et hop, deux jours passent! Mais me revoici au clavier, avec une nouvelle page! Bon, il ne s'y passe pas grand chose, mais le lien continue de se faire avec ce qui peut être considéré comme la seconde partie!

     

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    -Tout va bien ?

     

    Sam Jones s'assit à côté de Lucie, qui l'accueillit avec un sourire sincère. La fillette aimait bien la soldate, qui avait semble-t-il pris sur elle de garder un œil protecteur sur l'enfant depuis que l'escouade l'avait retrouvée. Elle avait beau être un petit bout de femme menu et noueux, elle ne dégageait pas moins de force que ses camarades, au contraire, et Lucie était très impressionnée de voir à quel point elle ne détonnait pas parmi eux. Au sein de l'Hégémonie, l'égalité des sexes était une réalité depuis longtemps reconnue, et le sexisme n'avait lieu d'être qu'en tant que vestige d'une société qui remontait à bien avant que les premiers colons ne montent dans leurs vaisseaux dirigés vers les étoiles. Et si les femmes étaient encore parfois considérées comme plus délicates, peut-être était-ce dû à l'environnement difficile d’Éclat et aux conditions de vie parfois difficiles dans un espace aussi réduit, loin sous la surface. L'intérêt général consistait à les préserver. Mais elles n'étaient certainement pas privées du moindre choix de carrière, car une vie difficile nécessitait aussi l'emploi des personnes les plus capables possibles et ce sans distinction de sexe, d'origine sociale ou d'ethnie. Les différents raciaux n'avaient de toute façon plus vraiment lieu d'être après plusieurs siècles de mixité, et ceux qui se sentaient pénalisés par leur milieu -comme Stuart Moore- n'avaient en général à s'en prendre qu'à eux mêmes, dans une société où le mérite primait sur le reste. Quant aux femmes, elles étaient finalement tout aussi respectées dans les positions qu'elles choisissaient d'occuper, pour peu qu'elles accomplissent bien leur tâche. Elles pouvaient aussi bien œuvrer dans les plus hautes sphères du gouvernement au sein du Domaine qu'effectuer leur part de travail difficile et dangereuses dans les équipes d'ouvriers en orange qui rénovaient les piliers dans tous les quartiers du complexe. Une carrière militaire n'avait pour elles rien d'incongru en soi, mais si l'on voyait déjà peu de militaires parader dans les rues en temps normal, il était vrai qu'on n'y voyait encore moins de femmes. Sans doute était-ce là l'un des derniers restes d'une Hégémonie traditionnellement patriarcale, aux valeurs anciennes bien ancrées qui se mêlaient à la nécessité d'un progrès indispensable pour survivre plutôt que de s'y confronter. Malgré tout ce que pouvaient en penser des hommes comme Diego Delgado. Mais le jeune prêtre était pour l'instant le cadet des soucis de quiconque se trouvait à bord du train, tous ignorants du rôle qu'il avait joué dans cette affaire. Il n'inquiétait certainement pas Samantha Jones, qui partageait son attention entre son devoir de soldate, cette petite fille au regard volontaire, et le beau caporal Velázquez qui décochait un sourire éclatant à chaque fois qu'il remportait une mise aux cartes, ce qui arrivait plus souvent qu'à son tour, et ce au grand désespoir de ses camarades de jeu.

     

    -Je vais bien, répondit Lucie à Samantha. Et, en tant qu'observatrice née qui n'était pas dupe de son jeu, elle enchaîna à son tour sur une question :

     

    -Et vous ? Est-ce que tout va bien avec monsieur Velázquez ?

     

    Comme lorsque le sujet avait été mentionné auparavant, Jones semblait surprise de réaliser à quel point cela semblait évident, quand elle était persuadée d'avoir tout fait pour le cacher. Non loin d'elles, Paul Ravert poussa un petit ricanement -mais qui n'avait rien de méchant- et Sungmin cacha un sourire derrière ses mains délicates.

     

    -Ça suffit, oui?grogna Sam, leur décochant un regard noir.

     

    -Ce n'est pas méchant, caporal. Mais depuis le temps que ça dur, on finit par les repérer, ce genre de petits détails.

     

    -Et encore, ils ne sont pas si petits que ça. Il n'y a que André pour ne pas s'en rendre compte, je parie, renchérit Ravert. Et probablement le major, mais je ne crois pas qu'il ait un cœur. Pas pour ces choses là, en tout cas.

     

    -Ça, je n'en suis pas si sûr...fit Sungmin, qui observait Canton Adams et Martha Robbins en pleine discussion.

     

    -Qu'est-ce que tu veux dire ?

     

    -Rien. Je vais retourner voir madame Miguel.

     

    -Hey, attends, explique !

     

    Paul Ravert se précipita derrière son ami, laissant Sam à nouveau seule avec Lucie, qui n'en démordait pas :

     

    -Alors ?

     

    -Alors quoi ?

     

    -Tout va bien ?

     

    -Tu ne voudrais pas manger une autre barre de rations, plutôt ?

     

    -Pour que j'évite de vous poser d'autres questions ?

     

    -Non, j'imagine que ça ne sera pas aussi facile... Tout va bien. Du moins je fais en sorte que ça le soit.

     

    -Mais vous l'aimez bien, non ?

     

    -Ce n'est pas vraiment important là tout de suite, tu ne crois pas ?

     

    La fillette prit le temps de réfléchir, fronçant son petit nez le plus sérieusement du monde, avant de regarder Samantha avec un large sourire :

     

    -Vous voulez sa cape ? Je la porte toujours. Je peux vous la donner si vous voulez.

     

    Samantha Jones ne put s'empêcher de sourire, mais tout en poussant un léger soupir : l'attente promettait d'être longue.

     

  • Lucie 29

    Une petite page aujourd'hui, l'inspiration n'est pas au rendez-vous... Ce sont des choses qui arrivent, et je ne suis pas près de m'arrêter en chemin.^^

     

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    Assise enfoncée sur son fauteuil, ses pied se balançant au-dessus du sol, Lucie prenait son mal en patience. A vrai dire, ce n'était pas si difficile que cela : elle observait les adultes qui s'affairaient dans le wagon, suivant telle ou telle conversation jusqu'à ce qu'elle perde un peu de son intérêt. Elle n'avait même pas eu à ouvrir son sac pour en sortir un des ses précieux livres, de ceux qu'elle relisait jusqu'à en abîmer les couvertures et corner les pages. Depuis qu'elle avait commencé à lire, c'était comme si un nouveau monde s'offrait à elle. Sa mère avait été ravie de lu communiquer une passion certaine pour les histoires : Martha Robbins avait beau être d'un pragmatisme inébranlable et garder en permanence les pieds sur terre, elle avait toujours fait en sorte de s'évader dans quelques pages quand elle en avait l'occasion. Dans le petit appartement qu'elles partageaient il y a quelques heures encore, Lucie aimait voir sa mère s'installer dans son fauteuil, les soirs où elle ne travaillait pas au bistrot du quartier. Elle chaussait alors ses lunettes, qu'elle n'aimait pas porter en-dehors de la maison, et elle se mettait à lire. Au début, elle lisait à voix haute pour en faire profiter sa fille, jusqu'à ce que cette dernière fasse des progrès et qu'elle puisse se plonger dans ses propres lectures. Toutes deux avaient sans cesse de nouvelles histoires à découvrir et d'anciennes dans lesquelles se replonger. Elles n'étaient peut-être pas très riches du tout, mais la lecture était un loisir qui ne coûtait pas cher au sein de l'Hégémonie. C'était sans-doute la distraction la plus répandue et la plus facile d'accès, au côté des écrans qui diffusaient leurs programmes variés. Sous terre, séparés de la surface par des tonnes de béton, de roche et de terre, il fallait bien trouver de quoi s'occuper une fois son travail terminé. La vie était dure dans l'Hégémonie, mais rarement ingrate.

     

    Avec intérêt, Lucie contemplait maintenant Arthur Kent. L'homme s'était installé un peu à l'écart, sans doute pour profiter du plus de calme possible. Penché au-dessus de l'épais carnet qu'il avait sorti de sa précieuse sacoche, l'écrivain faisait son office, une plume dans la main. Il n'avait pas dit grand chose depuis qu'il était revenu en compagnie de Martha, Kenneth et des soldats de l'escouade. Il avait troqué son air distrait pour un air un peu maussade. Il ne levait les yeux de ses pages que pour regarder brièvement Martha ou le major Adams, avant de se replonger dans son œuvre. Lucie était curieuse de savoir ce qu'il pouvait bien être en train d'écrire, mais elle n'osait pas le déranger. Il semblait différent, ainsi concentré, dans son petit monde. Il avait l'air plus concentré, plus adroit, plus...intense. Il n'était pas comme l'homme perpétuellement étonné qui semait ses affaires un peu partout quand il courait pour attraper son train. Quelque part, il faisait maintenant à Lucie un peu la même impression que les soldats. Il était pourtant très différent d'eux sur tous les points ou presque, mais ils partageaient ce même dévouement à leur cause, qui se sentait dans chacun des actes qu'ils accomplissaient dans leur domaine. Il suffisait de voir avec quelle diligence et compassion le soldat Jung allait régulièrement s'assurer de l'état de madame Miguel, ou le soin que prenait le soldat Ravert à vérifier une à une les fréquences de sa grosse radio ou à passer en revue les divers systèmes du wagon. Les deux hommes semblaient puiser leurs forces l'un de l'autre, et ils ne manquaient jamais l'occasion d'échanger une courte plaisanterie ou un mot d'encouragement suivi d'une tape sur l'épaule. Ils formait un véritable binôme, de la même manière que les caporaux Jones et Velázquez. Ce dernier était occupé à distribuer des cartes, installé nonchalamment -comme à son habitude- en compagnie de Kenneth Marsters, du père Horst et d'Augustus Miguel, que Sungmin Jung avait convaincu d'essayer de se changer un peu les idées. Le grand blond s'était mêlé avec aisance aux passagers, comme si son uniforme n'était qu'une seconde peau dont il pouvait se défaire avec aisance. Il s'était tout de suite bien entendu avec John Horst, tous deux partageant une sorte de don pour mettre les autres à l'aise. Outre Arthur plongé dans son travail, il n'y avait que le père Delgado pour rester à l'écart, mais personne ne semblait s'en formaliser. Il ne se montrait pas désagréable, seulement peu accessible. Il se contentait d'ignorer les autres, qui le lui rendaient bien. Lucie se demandait bien ce qui pouvait lui passer par la tête, d'autant qu'il lui avait paru étonnamment sympathique quand ils s'était croisés plus loin dans le train un peu avant le choc, comme s'il y avait chez lui quelque chose de caché derrière une surface des plus distantes, quelque chose qui pouvait avoir un peu de mal à sortir mais qui le rendait plus doux, quelque part. D'autant qu'elle ne savait toujours pas qu'il s'agissait de l'homme qui avait verrouillé la porte derrière elle.