Vous en voulez un!
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Vous en voulez un!
Trop la classe!
Parce que hier, c'tait pas rien, ah ça!
Il y a des journées où on croirait presque qu’il s’est passé plein de choses. Tiens, celle d’hier, par exemple ! Vous n’avez pas réellement fait grand-chose de plus que d’habitude, mais vous avez eu l’occasion d’observer une multitude de faits plus ou moins intéressants.
Le fait étant que vous deviez vous déplacer en ville pour affaires diverses comprenant séance chez le psy (chuis tendance, j’ai un psy / je suis fou, j’ai un psy / je suis un abruti, j’ai un psy : que le lecteur choisisse la page du catalogue qu’il préfère)et visite des ateliers des Oliviers, dont vous parlerez plus bas.
Pour commencer, il a fallu vous lever tôt. A neuf heures. Ce qui, pour vous qui avez pris au fil des derniers mois un rythme de sommeil joyeusement décalé compris entre environ deux heure du matin et onze heures-midi, ne s’est pas révélé de tout repos (ah ah ; c’est un jeu de mots, riez). Et comme vous ne déjeunez jamais (pourquoi un petit-dej’ quand on se lève pour le dîner ?), vous saviez déjà que vous aurez faim en pleine séance, et que vous penserez alors plus à votre estomac délaissé qu’aux progrès de votre moi intérieur.
Bon, pour se rendre en ville, il vous a d’abord fallu prendre le train régional. Où, évidemment, quelqu’un s’est assis en face de vous, dans votre espace vital alors qu’il y avait plein de sièges libres partout ailleurs dans le wagon. Et évidemment, ce n’était pas une jolie jeune fille. Vous avez tenu le coup tant bien que mal en somnolant, votre musique dans les oreilles et un œil sur les quotidiens gratuits (ceux que les lecteurs laissaient traîner et qui jonchaient le wagon, tout froissés ; vous n’alliez pas ouvrir un de ces torchons, tout de même !).
Mais avant de prendre ledit train, il vous a fallu traverser l’infernal barrage des bonnes âmes : les jeunes qui, joues rosies et l’œil alerte, guettent le chaland pour lui donner la joie immense et la bonne conscience en souscrivant à une association humanitaire. Vous doutez un peu du choix de leur pied de grue : les badauds pressés de prendre leur train ne font généralement pas de bonnes cibles. En tout cas pas vous, même quand vous avez de l’avance. Vous n’avez sans doute aucune moralité, mais leurs cinq petites minutes se transforment rapidement en un bon quart d’heure à discuter de la fonte des glaces sous une bise mordante de bon aloi. Vous n’avez rien contre le fait de discuter de la fonte des glaces. D’ailleurs, on devrait plus en parler, et des autres problèmes aussi. Mais pas quand votre train attend sur le quai. Du coup, aujourd’hui encore vous avez pressé le pas en chantonnant à tue-tête, ce qui décourage généralement le quêteur avide de signatures. Et puis, vous avez déjà donné. Vous croyez savoir que vous versez quinze francs par mois à Greenpeace d’un salaire que vous n’avez pas (soit grosso modo le prix d’un bon McDo !).
McDonald’s que vous avez d’ailleurs goulument dévoré –une fois la séance passée et midi sonné- en haut des marches du parvis de l’Eglise (ça fait très « Amérique chrétienne », tous ces symboles), en compagnie d’autres gens affamés de hamburgers caoutchouteux mais délicieux. Et de pigeons. Beaucoup de pigeons. Aux regards fous comme seuls oiseaux peuvent avoir. Une bande de djeunes sans doute rebelles –seuls les rebelles mettent un point d’honneur à montrer que eux, ils portent pas des caleçons de lopette- s’amusait à leur jeter des frites, provoquant de violentes mêlées sans pitié parmi les volatiles hagards. Vous aimez bien les pigeons : ce ne sont pas des créatures compliquées. Et vous les appréciez plus que vos semblables mangeurs de sauce moutarde : les djeunes vous lançaient des regards torves, et vous commenciez à craindre pour le contenu de votre sac à dos ou pire, qu’ils vous chourent (c’est comme cela qu’on dit maintenant, non ?) votre sixième verre McDonald’s. Tiens, c’est fou comme ce genre de coup publicitaire fonctionne du tonnerre : dès que c’est gratuit, tout le monde en veut. Ils proposeraient des ragondins empaillés que ça serait pareil (mais moins pratique pour boire).
Outre les pigeons et les djeunes –qui soit dit en passant partagent plus de caractéristiques qu’on pourrait le penser- le petit monde de la rue offre son lot de spécimens à étudier, comme ces autres dérivés aviaires proches de la poule : ces filles qui marchent en se dandinant tellement qu’on attend plus que de les voir se jeter au sol pour picorer quelque chose. Ca et la mode des strings qui dépassent. Vous n’en avez jamais autant vu qu’aujourd’hui. Vous n’avez même pas besoin d’en chercher, il vous suffit de baisser les yeux à la recherche d’une frite égarée pour en apercevoir, remontant jusque sous les aisselles des jeunes filles assises en bas des marches. Un point de vue imprenable diront certains, d’autant qu’il y en a de toutes les couleurs. Vous connûtes (ouais, chuis un intellectuel de la langue française) d’ailleurs du temps de votre gymnase un camarade de classe qui se targuait de cerner la personnalité des demoiselles rien qu’à la couleur de leur lingerie. Il n’a hélas jamais partagé ce secret avec vous. Nul doute que cela vous aurait beaucoup aidé dans vos relations avec les membres du beau sexe. Bref, cette mode vous laisse de toute façon perplexe : où certains voient peut-être la promesse délicate de paysages inexplorés, vous ne voyez qu’un bout de tissu et, parfois, une étiquette. Follement glamour, non ?
Et après… Après ce fut la visite des ateliers des Oliviers. Parce que vous êtes incapable de gérer des études (gymnase foiré, merci d’avoir participé) ou de vous faire à un travail (après un trimestre d’apprentissage d’employé de commerce, la pression vous rendait malade –au point de devoir en référer à un médecin- et vous aviez envie d’agrafer sauvagement la jugulaire de la secrétaire qui vous demandait une photocopie), vous êtes actuellement pris en charge par l’Assurance Invalidité, dite AI pour les amis (en gros, vous souffrez de troubles psychotiques légers ; vous n’êtes ni fou ni mentalement déficient, mais vous avez autant de résistance psychique et physique au stress qu’une pomme de terre bouillie et avez été diagnostiqué comme incapable de vous insérer dans un schéma social et de boulot normal). Et son programme de réinsertion n’a pour vous qu’une porte, celle des Oliviers. Les Oliviers, ça consiste à aller très loin dans les terres inconnues (le bus traverse une forêt ; une FORET, bon sang !) pour aller s’adonner deux heures par jour quatre jours par semaines à des activités créatives en compagnie de gens charmants et de moniteurs motivés.
Vous avez le choix entre faire des miroirs en verre colorer, des boîtes en poterie, des petites vaches rigolotes (entendez par là que seul un déviant présentateur de téléachat vous vendrait comme rigolote) et des paniers en rondins (ou des boîtes à pain qui sont, paraît-il, très tendance). Déjà, le bruit de la scie à bois et de la ponceuse à verre vous donnent envie d’étrangler quelqu’un avec ledit rotin. Enfin, voilà l’opportunité qu’on vous offre. Merci bien. Des travaux manuels. Que le monsieur de la visite à eu la folle audace de comparer à l’écriture. Oui, ce sont deux activités créatrices nées de nos esprits imaginatifs et de nos mains robustes. Mais ça s’arrête là. La terre glaise à ses limites et sa routine, l’imagination non.
Vous n’avez bien sûr aucune envie de tresser du rotin comme si votre vie en dépendait, mais vous passez tout l’entretien à lancer des sourires crispés et à répondre poliment au gentil moniteur qui vous propose de débuter le premier octobre si cela vous convient monsieur. Vous acquiescez, espérant avoir changé de pays d’ici là. Mais vous n’aviez pas vraiment le choix. Que pouvez-vous dire d’autre à l’état ? Même si passer par là est le prix à payer pour faire réaliser au monde que vous n’êtes pas adapté à son fonctionnement global, vous trouvez que c’est un peu cher. Pour la plupart des gens, c’est sans doute une solution efficace. Ceux vus là-bas avaient l’air content (sauf celui qui restait dans son coin et qui tressait réellement son rotin comme si sa vie en dépendait). Mais vous savez que c’est loin d’être ce qu’il vous faut.
Si c’est cela, votre avenir, il s’annonce plutôt sombre (bien que plein de miroirs colorés pour renvoyer votre regard rendu hagard par le bruit du bois découpé à la scie à musique). Vous êtes différents, vous êtes fragiles, c’est un fait avéré. Mais vous ne l’êtes pas assez pour être pris au sérieux par ceux qui s’occupent de vous. Et, si vous plaignez sincèrement les gens bien plus malades que vous, vous avez déjà un goût amer à l’idée de la seule solution qu’on daigne vous proposer. Et là, vous vous dites carrément flûte.
Mais votre sœur vous dit qu’il y a « Un dîner presque parfait » qui commence sur M6, et finalement tout ne va pas si mal !