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Historiette - Page 6

  • Ca va toujours mieux quand il pleut

    Hop, une nouvelle historiette! C'est fou, avec cette saga des historiettes, j'ai quand même l'impression de passer pas mal de temps à écrire une des vies que j'aurais bien aimé avoir... Oui, parce que vous le précisez une fois de plus, hein: les historiettes (de la catégorie du même nom sur le blog) ne sont pas autobiographique. Vous n'êtes pas en couple, vous n'écrivez pas de bouquin, vous n'avez pas de chat mais un chien, et... bref, vous aurez compris. Bon, par contre, chaque historiette ou presque part d'une ambiance, d'une réflexion, d'une petite ou d'une grande chose qui m'est arrivée un jour ou un autre mais, au final, il ne s'agit ni plus ni moins qu'une vie romancée que je pourrais m'imaginer vouloir vivre. Du coup, c'est un peu bizarre, comme exercice. Cathartique en un sens, mais pas toujours confortable. Peut-être que je devrais plus me donner les moyens de vivre une vraie vie, plutôt que d'en écrire les mots. Mais en même temps, je pense que j'arrive encore à considérer ces historiettes comme une bête oeuvre de fiction. Bon, je réfléchis trop, je crois... Mais, sans trop savoir pourquoi, j'avais envie de clarifier tout ça, ne serait-ce que de le mettre par écrit pour moi. Voilà, c'était la minute bloggique du jour; maintenant, place à la nouvelle historiette (et non, ce n'est parce qu'elle se termine bien que tout va magiquement bien dans ma vie à moi; j'avais juste envie d'imaginer ce que l'on pourrait ressentir à ce moment là!^^):

     

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    "Vous tapotez nerveusement l’accoudoir de votre fauteuil gris habituel, véritable piège tellement il est confortable. Vous aimeriez bien croire que vous lui êtes unique, et qu’il n’y a que les courbes de votre corps qu’il épouse avec autant de talent, mais vous savez pertinemment qu’il s’agit d’un fauteuil facile qui n’hésite pas à faire de même avec chacun de ses occupants tout en les faisant se sentir unique. Après tout, vous n’êtes pour lui qu’une paire de fesses parmi tant d’autres. Cela froisse un peu votre égo postérieur, mais vous avez fini par accepter la vérité. Et puis, à bien y réfléchir, c’est sans doute ce qu’on attend là d’un bon fauteuil de psychiatre. Enfin, de patient de psychiatre; votre thérapeute, lui, est installé sur une chaise de bureau à roulettes flambant neuve dont les roues se lancent joyeusement dans une mélopée pour souris asthmatiques castrées à chaque fois qu’il change de position. Vous en êtes d’ailleurs à vous demander comment diable castrer une souris quand les deux syllabes que vous redouter le plus sortent de la bouche de psy :

    « Hon hon. »

    Instinctivement, vous vous redressez sur votre siège et tournez la tête pour regarder dehors, ce que vous regrettez aussitôt quand le soleil fait fondre vos yeux. Vous grimacez, autant sous l’effet de l’éblouissement que de l’abime de perplexité dans lequel psy arrive à chaque fois à vous plonger avec deux syllabes qui ne forment même pas un mot reconnu par la langue française, ni celle d’une autre planète d’ailleurs. D’autant que les rayons qui tapent à travers la vitre vous font cuir dans cette chaleur atroce qui se répand depuis le milieu de la matinée. Vous n’êtes pas dans les premiers jours du printemps, vous êtes sur la surface du soleil… Vous n’avez jamais aimé la chaleur. Enfant déjà, où pour vos petits camarades l’été signifiait les joies des jeux en plein air, vous préfériez rester à l’ombre en permanence, quémandant la moindre sensation de fraicheur. La chaleur a tendance à ralentir votre esprit, à vous faire somnoler, et vous n’avez jamais autant d’énergie que les jours blancs et froids de l’hiver. Au printemps, en été, il n’y a que les jours d’orage, de vent et de pluie, où le ciel se part de cette curieuse mais stimulante couleur gris-électrique, où vous vous sentez à votre affaire. Où vous vous sentez revivre après de trop longues journées accablées d’une chaleur écrasante. Oui, que ne donneriez-vous pas en cet instant pour un voile de nuage et un coup de tonnerre, signe avant-coureur du bienvenu changement de température qui remettra votre esprit en route. Vous réfléchissez mieux que jamais par temps frais et couvert, et plus d’une page blanche a été noircie en même temps que les cieux. Mais là tout de suite, le soleil vous nargue, et vous avez la très nette impression que le dos de votre t-shirt est en train de fusionner avec le dos de votre fauteuil favori.

    « Hon hon ? » Cette fois, psy accompagne sa voix d’un curieux haussement de sourcils par-dessus ses lunettes en demi-lune. Vous avez horreur de ça ; des « hon hon » et des haussements de sourcils, parce que les lunettes en demi-lune, vous trouvez ça plutôt chouette. Psy doit être la seule personne que vous connaissez à en porter, de celle qui sont en plus retenue autour du cou par une petite cordelette noire. Avec ses vieux pullovers élimés, sa veste de cuir marron aux coudes renforcés et ses baskets rouges donnant l’impression d’avoir précédé l’invention des, et bien, des baskets elles-mêmes, autant dire que psy a un air des plus particulier. Lors de votre premier rendez-vous, vous en étiez resté bouche bée tant il représentait fidèlement l’image du psychiatre type que vous aviez en tête. La pipe dans la bouche en moins ; à votre grand désespoir, vous ne l’avez vu fumer ainsi. Mais vous ne désespérez pas. Non, ce que vous désespère, on l’a dit, c’est la manière qu’il a d’attendre de vous que vous continuiez la conversation alors que vous n’avez absolument aucune idée de ce que vous pourriez bien avouer, là, tout de suite. Au début, cela vous agaçait profondément parce que vous aviez la fâcheuse impression de devoir faire vous-même le travail de psy à sa place. Maintenant que vous avez appris à comprendre ce processus, cela vous agace profondément parce que vous finissez toujours par dire n’importe quoi dans l’espoir fou de combler ce silence qui vous rend fou, mais un n’importe quoi qui, une fois rigoureusement disséqué par psy, se trouve être la manifestation farfelue d’une de vos angoisses les plus profondes.

    Pourtant, aujourd’hui, rien ne vous vient. Vous avez beau vous creuser la tête avec l’équivalent mental de tractopelles freudiennes, aucune peur irraisonnée ne remonte à la surface tumultueuse de votre psyché, aucun souvenir traumatisant, pas même le moindre petit regret enrobé de culpabilité. Vous accusez à demi-voix la chaleur dans un grommellement que psy s’empresse de coucher sur son calepin avec le « scritch scritch » habituel de son crayon à papier dont il ronge l’extrémité entre deux prises de notes. Tout ceci est des plus étrange : d’habitude, le moindre « hon hon » finit par vous emporter sur des torrents de frustrations passées, d’angoisses présentes et de fantasmes inavoués et futurs. Ou alors, il vous pose des questions sur vos bouquins en route et, plus souvent encore, sur votre couple qui le passionne. Il y voit une sorte de dynamique fantasque mais tout à fait fascinante selon lui, et il ne se lasse pas de vous écouter narrez les aventures simili-conjugales du quotidien. Mais là aussi, vous ne trouvez rien à redire. Vous doutez fortement que même psy trouve de l’intérêt à la désagréable habitude de la femme de votre vie à poser systématiquement sa brosse à dent dans le gobelet vert alors que le sien est le bleu, nom d’une pipe, vous le lui avez déjà dit mille fois (au moins). Les disputes sont rares ces derniers temps, d’autant que vous vous prenez rarement tous les deux la tête sur des sujets sérieux ; concernant ces derniers, vous êtes généralement accordés. D’habitude, le ton monte lorsque vous êtes  incapables de vous mettre d’accord si les hérissons sont morts écrasés avant ou après que les bébés souris soient emportés par un rapace dans « Les Animaux du Bois de Quat’Sous », ce dessin animé qui aura traumatisé une génération entière d’enfants apeurés dans toute l’Europe (ce dessin-animé ayant un décompte de morts à l’écran au moins deux fois plus élevé que celui de « Rambo »). La dernière fois, vous étiez retourné deux jours chez sa mère après avoir claqué la porte. Un détail qui avait fortement intéressé psy : il faut savoir que vos parents à vous, depuis qu’ils sont à la retraite, ont non pas un emploi du temps de ministre mais de trois de ses collègues et passent leur temps à voyager, aussi ce sont vos beaux-parents qui ont décidé de vous recueillir lors de vos tempêtes ménagères. Notamment parce que votre bien aimée et sa mère sont incapables de rester dans la même pièce plus de dix minutes sans rejouer la bataille de Waterloo au bruit de bouches, et que la belle-maman en question prend donc systématiquement votre parti. De toute façon, lors d’une dispute, celle avec qui vous partagez votre vie refuse catégoriquement d’être celle tournant les talons, en profitant pour vous rappeler perfidement qu’elle participe un poil plus au loyer que vous. Alors vous retournez chez sa mère un jour ou deux, où vous dévorez de bons petits plats tandis que votre compagne s’ébat joyeusement dans un appartement vide et peut enfin se passer de faire son tour de vaisselle (vous êtes maniaque ; pas elle). Et puis vous finissez rapidement par revenir avec une moitié de gâteau au chocolat maternel, un des rares dons de sa génitrice qu’elle ne prend pas en grippe par pur principe d’opposition. De tels écueils mis à part, votre vie à deux se déroule des plus agréablement, emplie d’un romantisme bien particulier propre à elle et vous, où le summum d’une soirée romantique consiste à passer une soirée l’un contre l’autre sur le canapé devant les séries du jour, ou chacun un livre sur les genoux. Lors de votre dernière Saint-Valentin, vous aviez accepté de succomber à la pression populaire de cette fête des amoureux en achetant chacun un l’autre un roman, que vous dévoriez avec entrain le soir même, de même qu’un bon petit plat simple ne nécessitant pas plus de deux mouvements culinaires (mélanger la salade et découper le jambon, par exemple). Et puis, soudainement, une nuit vous vous retrouverez tous deux, insomniaques, dans la cuisine en train de chercher le lait pour se faire un bon lait-grenadine, et vous vous retrouvez alors à parler de tout et de rien jusqu’à l’aube, comme si vous ne vous étiez encore jamais rencontré avant.

     

    Quant à votre travail, il se déroule sans accrocs depuis pas mal de temps maintenant également. La chaleur tempère quelque peu l’ardeur de votre inspiration, mais les pages se suivent, votre éditeur est content (vous le sentez à ses propres « Hon hon », dont il est également fort friand), et vous avez trouvé un rythme qui vous convient. Vous ne vous réveillez presque plus la nuit la poitrine compressée par l’étau d’une angoisse invisible, et petit chat se décide enfin à ne plus venir se coucher dans votre pantoufle droite trente-cinq secondes avant que vous ne décidiez d’y mettre le pied droit (les matins, eux, restent des moments difficiles). Psy peut bien faire se succéder les « Hon hon », vous n’avez rien à lui opposer. Ce qui vous parait des plus étrange. Vous avez d’abord pensé être mal à l’aise, mais il s’agit d’autre chose, d’une sensation que vous n’avez pas connue depuis, pfou, au moins votre dernière année de collège. Comme le souvenir lointain d’une belle journée d’été se terminant par un soir d’orage salvateur. Quelque chose sur lequel vous n’arrivez pas à mettre le doigt. Alors, soudainement, comme pris d’une impulsion et parce que le silence entre deux « Hon hon » vous rend fous, vous vous écriez soudain que vous n’avez rien à dire. Et les commissures des lèvres de psy s’étirer en un de ses si doux sourires, et cet homme que vous avez appris à respecter après la longue période qu’il avait mise à apprivoiser votre caractère difficile, de dire :

    « Et bien, ce n’est peut-être pas très psy de ma part de vous dire ça, mais je crois bien que c’est ce que je voulais entendre. »

    Tandis que vous essayez de décrypter cette phrase énigmatique, vous sentez soudainement un poids quitter votre poitrine. Ou, plutôt, vous réaliser que cela fait quelques temps maintenant qu’il se faisait plus léger, qu’il s’était envolé. Alors, lentement, vous souriez à votre tour et, incapable de vous en empêcher, vous lâcher à votre tour votre plus beau « Hon hon » en vous tapotant l’aile du nez d’un doigt léger.

    Quand vous sortez du cabinet dans la rue, quelques minutes plus tard, vous levez les yeux vers le ciel quand une goutte tombe sur votre nez. Un coup de tonnerre retentit, et vous souriez à nouveau. Dehors, il se met à pleuvoir."

  • Dans la tête

    Un nouveau sursaut de vie bloggique, avec une nouvelle historiette! Et oui! Parce qu'on a tous des trucs dans la tête dont à honte, et qui hanteront à jamais jusqu'à nos vieux jours (au moins, nous n'entendrons plus grand chose!)...

     

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    "Vous aviez cru pouvoir y échapper. Vraiment, vous y aviez cru de toute votre âme. Cru à la force de votre mental d’acier en la question, cru qu’il vous serait à jamais impossible d’y être sujet. Vous viviez alors le cœur léger, les épaules droites et les oreilles frétillantes, insouciant du drame qui allait s’abattre sur vous avec la force d’une chanson de supermarché crachée par des haut-parleurs dernier cri. D’ailleurs, vous n’oserez plus jamais mettre les pieds dans un supermarché, de crainte de succomber à des tentations que vous pensiez jusqu’à aujourd’hui inexistantes. Maintenant, entre les rayons électronique et musique, vous ne serez plus jamais tranquille, trimballant avec vous ce lourd secret comme un poids mort et faisandé. Vous vous imaginez déjà frôler les étagères avec le col relevé d’un imper pour cacher votre visage, de grosses lunettes noires et un chapeau mou enfoncé sur le crâne. Vous serez telle une star déchue, atteinte du dernier mal à la mode, celui qui vous ronge les entrailles, vous vrille les tympans et dont la nausée qui y sera à jamais associée vous empêchera de dormir tranquillement dans votre lit la nuit, assis en sueur au milieu des couvertures et fixant le plafond avec l’énergie du désespoir, des fois qu’il vous tomberait sur le coin de la pomme pour mettre fin à une existence de douleur.

    Mais le plafond ne tombe pas malgré la tâche d’humidité causée par le nouveau voisin du dessus ayant inondé sa salle de bain. L’appartement au-dessus du vautre est si vétuste et pourri de l’intérieur qu’il ferait passer une cave préhistorique comme le nec plus ultra du luxe et du confort, et les légendes se répandent dans l’immeuble depuis toujours sur les horreurs insondables qui se cachent dans les murs du 34B. Personnellement, vous pariez pour une colonie de rats géant, le fantôme d’un serial-killer ou paquet d’œufs oublié dans un placard caché et périmé depuis 1995 au moins (aussi bien les œufs que le bois du placard). Toujours est-il que les propriétaires de l’immeuble ne se sont jamais donné la peine d’y remédier et se contentent de le louer à bas pris à de pauvres innocents fauchés, crédules ou désespérés (ou les trois, mais dans ce cas on appelle cette personne un étudiant) qui se succèdent régulièrement, souvent rapidement vaincu par l’appartement maléfique. Vous êtes capables de dire quand un nouveau naïf a emménagé même sans jamais l’avoir croisé pour la simple bonne raison qu’il sera tout bonnement incapable de faire fonctionner la salle de bain sans l’inonder au moins une fois, piégé par les canalisations hantées. D’où la tâche d’humidité qui s’étend régulièrement sur le plafond de votre chambre à chaque nouveau locataire maudit. La gérance de votre immeuble étant reconnue pour agir à peine moins rapidement que l’écart des plaques tectoniques entre continents ou la fonte des glaces, vous avez fini par vous habituer au phénomène et dormez dans le salon lorsque vous entendez les tuyaux glouglouter de manière funeste, signe d’un nouvel arrivant dans la maisonnée. Mais en cet après-midi ensoleillé de début de printemps, vous avez autre en tête que de vous préoccuper de dégâts des eaux supplémentaires. Vous souffrez bien trop pour cela, abattu par la tragique nouvelle que vous venez enfin de réaliser ; avoir mis un nom sur ce mal qui vous minait depuis quelques jours ne vous aide même pas, bien au contraire…

     Ne tenant plus en place, vous vous levez de votre vieux canapé d’occasion, une épaisse couverture sur les épaules tandis que, pieds nus, vous essayez de ne pas trébucher sur les jambes de votre vieux peignoir vert et élimé. Marchant dans l’obscurité ambiante, vous vous arrêtez devant la fenêtre du séjour et en tirez juste un peu les épais rideaux, laissant entrer de très minces rayons lumineux à travers les lamelles du store. Après avoir ouvert la fenêtre, vous espacez de vos doigts les fameuses lamelles et plissez vos yeux agressés par la lumière du jour. Dehors, il faut chaud, il fait beau, et vous entendriez les oiseaux chanter si seulement il y avait moins de voitures en train de circuler. Ah, que donneriez-vous pas pour entendre à nouveau le gai gazouillis des moineaux et des hirondelles sous vos fenêtre, leur fraîche mélodie baignant vos oreilles fatiguée d’une véritable ode à la nature, simple et pure. Mais plus jamais vos oreilles ne résonneront du chant des oiseaux ou des rires des enfants en train de courir sur le trottoir… Vous suivez des yeux des gosses en train de jouer en contrebas, vous regardez deux grands-mères pousser leur chariot de course en discutant joyeusement, vous repérez ces étudiants qui rirent en trainant des pieds. Des imbéciles, tous, heureux dans leur ignorance, se complaisant dans leur petit traintrain quotidien, imperméables à tout ce qu’il y avait de plus vil et ignoble en ce monde. Comme vous les enviez, ces insouciants, ces bienheureux, ces ignorants !

    Maugréant entre vos dents, vous refermez la fenêtre et tirez à nouveau les rideaux, clignant des yeux pour les réhabituer à nouveau à la pénombre qui serait désormais votre quotidien, indigne que vous êtes de marcher à nouveau dans la lumière. Vous entendez encore la voix de votre chère et tendre ce matin, vous atteignant à travers les trois couvertures jetées sur votre tête, essayant de vous tirer de votre torpeur née du malheur, essayant de vous persuader que quelle que soit l’affliction qui vous ronge, vous dramatisiez. Pourquoi est-elle si persuadée que le drame est dans votre nature, vous qui n’êtes plus que l’ombre de vous-même, pathétique petite chose fragile et à jamais avilie ? La situation actuelle n’a rien à voir avec la fois ou, découvrant qu’une grande marque de l’alimentation décidant d’arrêter de produire vos yoghurts préférés (vous auriez dû vous en douter, pourtant, que « bananes-carottes » ne marcheraient pas longtemps), vous aviez passé la journée sous le choc de la triste nouvelle, en peignoir toujours et un bac de glace sur les genoux, vous lamentant sur le bon goût qui jamais plus ne flattera vous papilles. Non, vraiment, vous ne comprenez pas votre aimée ; le drame n’est pas de votre ressort, et vous n’êtes certes pas prêt à le gonfler quand il se montre déjà si cruel avec vous. Alors elle vous a laissé seul, prétextant on travail qui l’attendait, mais vous ne voyez plus comment la moindre tâche peut avoir son sens dans un monde où une chose aussi terrible que ce qui vous touche peut se produire. Vous n’avez réussi à écrire la moindre ligne depuis votre réveil, convaincu que toute volonté de créer sera à jamais annihilée, balayée par l’horreur qui résonne encore à vos oreilles, qui jamais ne quitte votre esprit, qui vous tourne dans la tête encore et encore, sans cesse, sans merci ni pitié… Tandis que vous vous dirigez à nouveau vers le canapé, vous entendez votre pantoufle –trainant sur seul- feuler ; caché à l’intérieur, petit chat exprime son mécontentement à  l’encontre du chihuahua de la voisine d’en face que vous avez accepté de garder le temps d’un long week-end. Guère favorable à la chose, votre félin ne se prive pas de vous le faire comprendre ; presque plus petit que le chien en question, il se cache depuis dans les endroits les plus étroits et improbables, soufflant ou grognant à l’adresse de l’autre bestiole lorsqu’elle vient trottiner dans les parages. Mais vous laissant tomber sur les coussins, vous ignorez les luttes animales qui se déroulent sous vos pieds, et les petites pattes griffues du chien venant gratter votre jambe pour mendier une caresse (tout en donnant l’impression de vouloir plutôt râper du fromage) ne vous distraient pas des idées noires qui flottent dans votre tête de plus en plus lourde...

     Pourtant vois aviez toujours lutté, toujours tout fait pour ne pas vous retrouver dans cette atroce situation. Vous faisiez à attention à votre hygiène de vie, vous vous cultivez, vous n’écoutiez pas la radio. Vous sentiez à l’abri, comme barricadé derrière vos certitudes, droit, fier, inébranlable. Vous ne serez pas de ceux qui succombent, vous serez toujours fort, toujours sûr. Les mélodie du mal jamais ne chanteront agréablement à vos oreilles et pourtant, pourtant vous n’avez pas pu l’empêcher. Si vous étiez croyant, vous murmuriez sans aucun doute quelque « Pardonnez-moi mon dieu parce que j’ai pêché ». Vous donneriez même votre âme à Thor, Odin ou un autre ancien dieu oublié du nord pour purger votre corps et votre âme de leur douleur. Et si la femme qui partage votre vie ne peut vous comprendre, c’est parce que vous ne pouvez vous résoudre à l’accabler de cette triste nouvelle, peur de voir son visage se décomposer tandis que vous confesseriez l’insoutenable vérité… Elle aime Pierre Bachelet, Aznavour et Queen, vous aimez Chopin et John Williams. Voilà que votre esprit divague à nouveau, essayant d’invoquer les échos chargés en émotions de tous ces grands chanteurs et compositeur, comme si la musique pouvait laver vos pêchés alors qu’elle est directement responsable de votre malheur. Recroquevillé sur le canapé, les bras serrés autour des genoux, vous vous balancez doucement en chantonnant doucement entre vos lèvres alors que vous devriez hurler à la mort. Mais les notes continuent de vous harceler les tympans, dans votre tête sont gravés au fer rouge les mots honnis et dépourvus de sens. Les mains tremblantes, comme celle d’un drogué en manque, vous vous saisissez du lecteur mp3 où, cédant à votre basse pulsion, vous avez placé l’objet de votre déchéance, la fin de votre humanité, la destruction totale et irrémédiable de ce bon goût dont vous étiez s’y faire. Doucement, comme dans un rêve, vous approchez les écouteurs de vos oreilles, maudissant votre nom et votre faiblesse tandis que les derniers reflets de celui que vous pensiez être fondent comme neige au soleil…

     Vous avez une chanson de Rihanna dans la tête, et vous aimez ça."

  • Celle qui ne se vidait jamais

    Et oui, vous ne rêvez pas braves gens, une nouvelle historiette, de la fameuse série des... ben, des historiettes! Ca faisait longtemps!^^ Basée sur un fait réel et mystérieux, souvent rencontré dans les restaurants asiatiques...

     

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    Vous adorez manger asiatique. Vraiment. Depuis votre découverte de cette cuisine si riche et variée, aux saveurs toujours surprenantes, vous grommelez lorsque vous êtes obligé de manger autre chose. Comme lorsque votre ami Kevin vous force à venir avec lui s’attabler devant le comptoir d’un des restaurants « remise en forme » qu’il adore, où vous vous retrouvez à brouter de la salade (sans sauce) debout au bar (sans tabouret). Et à boire ces horribles smoothies aux fruits, censément si bon pour la santé alors qu’ils ont failli vous coûter la vôtre au moins une fois suite à un désastreux cas d’allergie grave à la papaye. Depuis, vous évitez coûte que coûte ce fruit maudit –ce qui n’est pas spécialement difficile, certes- et préférez les raviolis aux crevettes à ceux en épinards et sans croûte (ce qui représente néanmoins un certain tour de force dans l’art du ravioli qui vous sidère).  Non, vous, c’est définitif, vous préférez rester en-dehors de tout restaurant trop sain comme ceux de Kevin, ou trop lourds comme la plupart des endroits dits « tradition » qui cuisinent joyeusement dans l’huile et le beurre. Ce n’est donc pas par attrait particulier des mystères des millénaires et riches cultures asiatiques que vous fréquentez les restaurants de leurs dépositaires ; non, la raison est bien plus terre-à-terre : ça a bon goût. Voilà tout. Fort heureusement, votre manie à sélectionner les bistrots par la disposition ou non de caractères tordus et étranges sur leurs enseignes est quelque chose que vous partagez avec l’être aimé, que vous avez très rapidement converti. Ce qui ne l’empêche pas d’aller parfois manger de monstrueux steak frites de son côté sans jamais prendre un gramme, comme on le sait.

     

    Bref, voilà qui explique votre présence à une table de votre petit restau asiatique préféré, celui de l’autre côté de votre rue qui a ouvert il y a quatre ans, deux mois, une semaine et 4 jours et que vous fréquentez assidûment depuis le premier jour d’ouverture. Vous y êtes devenu un tel habitué que le personnel de l’établissement vous appelle par votre prénom, vous garde toujours le même coin de table et vous demande où vous êtes dans l’écriture de vos histoires. Certains suggèrent même quelques idées par-ci par-là, comme un sympathique ado embauché en extra qui ne manque jamais de répéter que, quelle que soit l’histoire, « c’est toujours mieux avec un dragon ! ». Un principe auquel vous êtes assez d’accord, même si vous vous demandez toujours comment intégrer un flamboyant dragon dans un récit moderne à base d’intrigue technologique se passant dans une grande ville du coin (très pratique pour vos repérages et, si le succès suit, ne pas oublier de penser à demander des droits à l’office du tourisme pour les futures visites provoquées par vos quelques pages. Parfaitement.). Et voilà qui y explique précisément votre présence ce soir-là, en compagnie de celle que vous aimez, de votre éditeur et de sa dernière femme. Oui, le fameux éditeur qui habite à la campagne loin de tout et vous force à passer de longues heures dans le train lorsqu’il a besoin de vous voir en personne. Ce qui vous fait principalement râler pour le principe, parce qu’il y a toujours de l’excellent bourbon au coin de sa cheminée, que sa collection de guidons de vélos de toutes les âges et de tous les pays ne manque pas de vous fasciner et que vous avez même réussi à apprécier l’énorme boxer qui vient amoureusement baver sur vos genoux à chacune de vos visites. Ce qui vous a plus d’une fois pousser, les jours suivants, à devoir aller vous acheter une nouvelle paire de pantalons, provoquant en vous tout le déchaînement émotionnel d’une bête visite au rayon fringues, on le sait aussi. Mais ce soir est l’un des rares où votre cher éditeur à le besoin de se rendre en ville pour régler quelques affaires, et vous avez proposé de se retrouver tous ensemble pour un petit repas détendu dans votre restau favori du quartier. Et si votre patron fréquente régulièrement les établissements de la haute et grande cuisine, il a néanmoins été charmé de l’idée, lui qui a passé la plus grande partie de sa vie à voyager aux quatre coins du monde dans des conditions plutôt précaires et à manger ce qu’il pouvait où il pouvait. Cela ne fait que quelques années qu’il a posé ses valises et sa vieille machine à écrire pour se retirer à la campagne et éditer les livres des autres. Cela va sans dire que chacune de vos rencontres est remplie d’anecdotes aussi fascinantes que pittoresques qui pourraient remplir une collection de la Pléiade si l’homme se décidait un jour à publier ses mémoires. Et c’est cet homme avisé et expérimenté qui avait décelé en vous un gramme de talent et vous avait offert les portes de ce métier que vous adorez (quand il ne vous rend pas plus fou que vous ne l’êtes déjà ; le métier, pas l’éditeur). Vous adorez cet homme, qui est un peu pour vous le grand-père aventureux et fantastique que vous n’avez jamais eu. Votre compagne –généralement barbée par tout ce qui peut ressembler de près ou de loin à un dîner d’affaires- s’est tout autant entichée de l’homme, et ce n’est pas la première fois que vous avez l’occasion d’être ainsi réunis. Quant à la dernière épouse en date de votre éditeur, une ancienne journaliste, elle se révèle d’agréable compagnie malgré la teinture rouge vif de ses cheveux qui manque de vous aveugler entre les raviolis au porcs et les chips aux crevettes. A passé soixante ans, votre éditeur a toujours cru en l’amour et au mariage, tout en rajoutant que comme avec le Père Noël, ce n’est pas parce qu’on y croit que ça fonctionne vraiment. Après un premier divorce d’une femme qui le rendait fou d’amour et fou tout court, il avait fini par rencontré une jeune d’à peine trente ans quand il en avait cinquante-sept, espérant qu’elle survivrait à sa mère à lui, pour qui critiquer les choix de son aventureux de fils était  le principal passe-temps. Mais rien ne fonctionna comme prévu. Sa jeune épouse mourut d’un crise cardiaque six mois après le mariage (et cinq jours après avoir passé un week-end avec son mari et sa belle-mère) et à ce jour, la mère de votre éditeur va bientôt passer centenaire et se porte comme un charme. Enfin, après quelques années passées en compagnie de la première femme, revenue pour un tour, votre boss et ami avait fini par se poser avec sa dernière rencontre, celle qui mange avec vous aujourd’hui dans ce petit restau de quartier.

     

    Et toute la soirée ne pouvait que continuer à se passer à merveille… si vous n’aviez pas fait l’erreur de commander pour vous un thé de jasmin. Vous adorez le thé plus encore que la nourriture, c’est dire, mais vous vous faites généralement un point d’honneur à ne jamais en commander lors de vos très nombreuses escapades dans les restaurants asiatiques. Pour une raison à la fois simple et emplie de mystères ancestraux (voilà où ils les cachaient !) : quel que soit le restaurant asiatique, lorsque vous commandez une théière de jasmin, elle ne se vide plus. Jamais. C’est comme une sorte de bénédiction mêlée de malédiction, un phénomène inexplicable de physique, de la magie sortie tout droit d’un dessin animé de Merlin l’Enchanteur… Et pourtant, de temps en temps, quand la compagnie est bonne et que vous pensez à autre chose, vous vous laissez avoir. Et vous commandez une théière de thé de jasmin. Et malgré votre expérience en la matière, votre amour de cette boisson et un certain optimisme conférant au désespoir, vous pensez que cette fois, ce sera différent. Après tout, ces théières traditionnelles sont si petites, ce n’est pas comme si elles pouvaient contenir de quoi remplir le grand aquarium qui fuit de votre voisin Michel ? Et bien si. Ainsi que deux autres aquariums de secours et le bassin d’un orque dans un parc marin. C’est à n’y rien comprendre : vous remplissez l’une après l’autres les minuscules tasses de rigueur, et si le breuvage est délicieux, il commence aussi à vous remplir plus que nécessaire. A peine avez-vous avalé une tasse que vous vous dites que cette fois-ci, ce sont les dernières… que vous vous retrouvez, trois tasses plus tard, sans avoir aperçu ne serait-ce que la première de ces foutues dernières gouttes !Ce qui explique pourquoi vous vous sentez un peu perdu dans la conversation lorsque vous revenez pour la sixième fois des toilettes en moins d’une heure.

     

    « C’est un fait, les ornithorynques sont indiscutablement ceux qui ont le plus à perdre dans cette histoire ! »  lance votre éditeur d’une voix forte tandis que vous essayez de reprendre discrètement place, un brin gêné.

     

    « Assurément ! » acquiesce la femme de votre vie. « C’est un problème ! »

     

    Et là, inévitablement, tous les regards se portent sur vous, alors que vous venez de vous remplir la bouches de nouilles chinoises avant qu’elles ne refroidissent. Vous déglutissez péniblement, l’air un peu hagard, ne sachant pas trop que dire. Lors de votre dernier départ précipité au petit coin, la conversation portait sur les conditions des travailleurs dans les fabriques textiles d’Amérique du Sud. Et alors que vous plissez le front, cherchant à faire le lien entre les textiles sud-américains et les ornithorynque ou, du moins, ce qui aura fait changer le sujet, voilà que vous vous remplissez machinalement une nouvelle tasse de thé et que vous l’avalez, manquant vous brûler la langue à un degré trop élevé pour être chiffré. Car en plus de ne jamais se vider, ces théières ont la propriété de garder le thé bouillant comme au premier jour. Aussi, la réponse que vous ânonnez d’une voix rendue pâteuse par la brûlure ne semble pas particulièrement satisfaire vos interlocuteurs. Qui ont commandé du vin, eux.

     

    Non, vous êtes véritablement face à un mystère qui vous agace autant qu’il vous fascine. Ces théières semblent reprendre ce vieux principe de fiction qui induit un contenu plus grand que le contenant, un peu comme ces maisons de contes plus grandes à l’intérieur qu’à l’extérieur. Comme si tout le thé du monde, celui déjà fait dans le passé, fait en ce moment même et à faire se retrouvait concentré dans votre minuscule théière. Et, suite logique, dans votre minuscule vessie, dont la patience moyenne équivaut grosso modo à celle d’un enfant de quatre ans interactif (inutile de dire que la disparition des entractes au cinéma n’a pas manqué de vous causer quelques problèmes. Voilà pourquoi vous refusez de boire quoi que ce soit deux heures avant la séance, vous asseyez devant le film la bouche sèche, et courrez malgré tout aux toilettes après le générique d’ouverture). Plus d’une fois, persuadé que la théière tirait ses dernières gouttes, vous avez rempli votre tasse à ras-bord, vous aspergeant les doigts de liquides bouillants et inondant la sous-tasse.  C’est un fait inexplicable, une sorte de légende urbaine qui vous poursuit dans tous les restaurants de ce type où vous mettez le pieds et vous poussant à vous demandez si toutes ces théières n’ont pas été enchantée par d’ancestrales et puissantes arcanes taoïstes (en vous demandant également pourquoi des taoïstes se seraient embêté à ça ; allez savoir…).

     

    Mais, tandis que vous revenez d’une nouvelle  visite éclair aux toilettes et que le parallèle entre les ornithorynques et ce qui est maintenant le sujet –les koalas, peluches ou bêtes vicieuses ?- vous semble plus pertinent car au moins sur le même continent, vous persistez dans votre masochisme inconscient en vous servant… miracle, ce qui semble être la fin du pot sans fond ! Le flot se tarit sous vos yeux, et sans doute que lors de la prochaine tasse, cela ne sera plus que quelques gouttes qui viendront s’écraser tristement au fond de la porcelaine… Vous avalez cette tasse, vous tournez avec un grand sourire pour répondre à quelques questions de la femme de votre éditeur, et reprenez la fameuse théière pour la voir crachoter ses dernières réserves… Et inondez carrément la moitié de la table dans un geste un peu trop empressé, brûlant votre main et noyant des vermicelles tandis que, bouche bée, vous vous demandez depuis quand le thé est sujet à la reproduction spontanée. Votre serveuse ne peut retenir un rire, mi-amusé mi-gêné, avant de dire :

     

    « Je venais de la remplir. Cadeau de la maison. »

     

    Quelque chose vous dit que la soirée ne fait encore que commencer…