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Historiette - Page 7

  • La vie, c’est comme un monologue d’Albert Cohen

    Hop, une nouvelle historiette spontanée, sur l'envie et l'inspiration du moment! Ca fait plaisir de retrouver ses bons vieux personnages... -^^-

     

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    "Ce qu’il y a de terrifiant, avec la vie, c’est qu’on ne sait jamais quand elle va s’arrêter. Un peu comme un monologue d’Albert Cohen, en fait. On tourne fiévreusement les pages, se demandant quand arrivera enfin le point salvateur, et on tombe surtout sur des virgules placées ici et là qui nous projettent dans une nouvelle tournure sans crier gare alors que nous sommes toujours en train de nous demander ce qu’il a bien pu se passer les dix lignes précédentes. On a beau tenir de précises et détaillées notes de résumé, rien ne se déroule jamais comme on s’y attend. Et au moment où l’on pense enfin avoir compris ou que la résignation s’installe et nous permette de se laisser porter par le courant sans se poser de questions, paf, tout s’arrête sans prévenir et nous voilà bien embêtés. Sauf que, contrairement à la « Belle du Seigneur », on ne peut pas vraiment tourner la page quand la vie arrive à son terme (vous, vous auriez nettement préféré l’inverse).

    Cette réflexion sommes toute anodine –que toute personne a dû se faire un jour ou un autre sous une forme ou une autre- vous frappe régulièrement, comme ce matin alors que vous contemplez votre reflet fatigué dans le miroir de la salle de bain. L’œil encore à moitié fermé, la moitié inférieure de votre visage maculé de mousse à raser, vous observez d’un air aussi stupéfait que possible (et il est très dur d’avoir un bon air stupéfait à seulement six heures trente du matin) votre tête troublée par la buée. Derrière vous, le bruit de la douche cascade comme un torrent de montagne –mais  bien après qu’il ait quitté sa montagne, rejoint deux fleuves, un canal et termine sa course piteuse dans le conduit glauque des égouts d’un quartier industriel. Habitué à la tuyauterie capricieuse de votre appartement qui vous donne certes de l’eau propre mais dans un concerto sonore de gargouillis effroyables, vous ne prêtez guère plus d’attention à la voie joyeuse de votre compagne derrière le rideau (votre compagne faisant partie de ces gens détestables qui se lèvent presque toujours de bonne humeur et ne manquent pas une occasion de le faire savoir au reste du monde qui, lui, aimerait bien remettre la tête sous l’oreiller). Oui, c’est en plein cœur de la tâche routinière de votre rasage que vous stoppez soudainement tout mouvement comme un lapin couvert de chantilly dans la lumière des phares. L’esprit choisit parfois des moments incongrus pour se lancer dans une introspection surprise, vous avez fini par le savoir. Ce qui ne vous embête pas réellement en cet instant précis, étant donné que vous détestez vous raser. C’est une tâche que vous trouvez profondément rébarbative, immensément ennuyeuse et intensément morne. Ainsi que généralement douloureuse car vous êtes incapable d’y arriver au bout sans vous être coupé au moins deux fois (vous n’usez pas de rasoirs électriques : ils vous irritent et vous passer le reste de la journée à vous gratter le visage comme un lépreux au bord de la folie). Vous voilà donc, la moitié du visage rasé de près et zébré de rouge, l’autre encore couverte de mousse blanche. C’est donc l’air d’un père Noël zombie que vous vous retrouvez soudain à pondérer sur l’incertitude de l’existence.

    Contrairement à d’autres accès d’angoisse subite, ce n’est pas l’angoisse de la mort qui vous étreint de si bon matin. Non, là tout de suite, c’est plus spécifiquement cette histoire de temps qui passe qui vous turlupine. Le fait que la vie s’écoule et s’évapore soudainement comme les grosses gouttes de condensation sur votre figure dans le miroir, ça vous rend tout à coup songeur et vaguement mal à l’aise. Principalement parce que vous vous demandez ce qu’il pourra bien rester de vous une fois que vous ne serez plus de ce monde. Pour la majeure partie de votre vie, vous avez eu peur de vous retrouvez seul et coupé du monde l’âge venant, tous liens brisés ou oubliés, réduits en poussière par les affres du temps. Quand vos parents ne seront plus de ce monde, que votre famille proche les aura suivis et quand vous serez vieux, aigri et sans amis, avec des pièces de cuir cousues aux coudes de votre robe de chambre. Et puis, la vie étant ce qu’elle est, vous avez récemment commencé à vous dire que le futur ne sera pas aussi dramatique. Ne serait-ce que parce que vous êtes enfin capables de tisser de nouveaux liens durables.

    Mais est ensuite venu le problème de l’héritage. Qu’est-ce que vous allez bien pouvoir laisser derrière vous une fois disparu ? Au final, votre plus grande crainte morbide se voit reliée à l’oubli, et vous vous retrouvez soudain à espérer qu’il restera autre chose de vous que les vieilles photos de mariage (le premier) de tata Glenda, où vous aviez abusé sur le vin doux et les canapés aux crevettes. Car, après tout, une fois arrivée à son terme, la vie ne vous laisse pas cinq minutes supplémentaires pour rendre votre copie. Elle peut même vous taper sur les doigts en plein milieu de l’interro avant de vous faire sortir de la classe sans raison, pour ne plus jamais y revenir. Vous êtes là, en train de vous raser et pouf, vous pourriez très bien vous écrouler au milieu de votre salle de bain, la tête dans le panier à linge sale. On ne sait jamais quand tout va s’arrêter, que le monologue va trouver son point final et que le livre va se refermer. C’est comme se retrouver sur la scène, dans le premier rôle d’une pièce de théâtre dont vous ne connaissez même pas les derniers actes, avec la peu de ne laisser derrière soi que de mauvaises critiques et une photo de profil ratée sur l’affiche. Non, franchement, qu’est-ce que vous pourrez bien laisser derrière vous ? Quelques bouquins publiés par-ci par-là qui ne seront certainement pas enseignées dans le programme de littérature d’une classe sur Neptune, des souvenirs dans la tête de gens qui ne tarderont pas eux non plus à tirer leur révérence et une traînée considérable de papiers froissées de caramels au beurre salé (un de vos pêchés mignons). La première fois que vous avez constaté tout ceci, vous avez tout naturellement -et histoire de repousse le problème- décidé de vivre jusqu’à cent cinquante ans (au moins). Parfaitement, vous alliez faire du sport tous les jours, avoir une alimentation équilibrée et une hygiène de vie aussi saine et pure que le cœur d’un moineau nouveau-né dans un film de Walt Disney. Inutile de dire que vous avez pédalé vingt minutes sur un vélo d’appartement et mangé deux jours des céréales light dans du lait écrémé et des fruits frais avant de craquer en sanglotant et d’oublier ces bêtises (le vélo sert aujourd’hui de porte-manteau dans l’entrée). Alors vous n’aviez plus qu’à repousser le problème, à se dire que vous aurez tout le temps d’y penser la prochaine fois et que les nouvelles pages demandées par votre éditeur n’allaient pas s’écrire tout seul (malgré votre  ton enjôleur et vos nombreuses cajoleries).

    Tout ça pour vous retrouver à nouveau frappé par l’inévitable, là, à six heures trente du matin devant votre miroir tandis qu’une voix guillerette chantonne du Michel Sardou à l’arrière-plan. Vous vous demandez aussitôt si vous lancer dans une carrière dans la chanson ne réglerait pas vous problèmes d’héritage, mais vous repoussez aussitôt l’idée : vous ne savez que massacrer allégrement du Ballavoine ou de vieilles comptines de votre enfance. Vous pourriez plutôt vous lancer dans une palpitante saga de romans fantastiques sur vingt génération de héros, comme cela semble être la mode, mais vous avez pertinemment qu’écrire la même chose finirait très vite par vous lasser et que votre esprit se focalise sur n’importe quelle autre activité hasardeuse pour se changer les idées, comme la peinture sur verre ou le base jumping (ce qui ne risque pas de favoriser votre espérance de vie). Du coup, l’heure grave. Que vous reste-il donc à faire ? Un enfant, comme toutes ces personnes stressées par leur horloge biologique, et en profiter pour forcer cette réplique miniature de vous-même à faire tout ce que vous n’avez pas pu faire, comme jouer du violon ou apprendre le mandarin ? En vous rappelant le fou rire interminable de votre bien aimée lorsque vous aviez un jour mis sur le tapis la question d’avoir éventuellement une descendance un jour (vous la soupçonnez d’ailleurs de croire encore aujourd’hui que vous blaguiez), vous écartez également cette pensée.

    Mince alors, vous voilà bien maraud.

    Fiévreusement, vous essayez de vous rappeler comment ce vieux roublard de Cohen s’en sortait pour rebondir dans un de ses fameux monologues, quand le miaulement incroyablement sonore pour sa taille de petit chat parvient à vos oreilles. Le monstre a faim, là tout de suite, et ne soucie visiblement pas plus du futur incertain de la vie que de littérature française. Le premier n’est sans doute intéressant que parfumé au saumon, et la seconde pour tapisser sa litière. Vous enviez son esprit simple (et le fait qu’il n’ait nul besoin de se raser). S’ajoutent au bruit ambiant les premières notes fluettes d’un tube des Beatles, Sardou ayant finalement déclaré forfait. Comment voulez-vous sérieusement réfléchir à la vacuité de l’existence dans un moment pareil, hein ? Pas étonnant que les philosophes n’aient que rarement eu des compagnes permanentes (ou des chats, à ce que vous en savez). Il est beaucoup plus facile de s’appesantir en angoisses existentielles lorsqu’on est seul.

    Et c’est tout bêtement fort de cette constatation que vous vous mettez soudain à sourire. Déjà, votre main recommence mécaniquement à vous raser tandis que votre esprit s’éclaircit, comme libéré, et que vous décidez… que vous aurez tout le temps de réfléchir à tout ça demain. Vous n’êtes pas à un jour près, après tout.

    Et puis, au fond, vous avez toujours préféré les dialogues."

  • Le diable s’habille peut-être chez Prada, mais c’est bien parce qu’il en a les moyens

     

    (Et une nouvelle historiette, comme ça, en passant!)

     

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    "Et même s’il ne les a pas, il peut sans autre faucher la dernière chemisette dernier cri à l’étalage et parader avec n’importe quoi sur le dos sans qu’on y trouve à redire. C’est le diable, après tout. Vous, vous ne les avez pas, ces moyens là. Et pourtant, vous n’êtes certainement pas un  parfait petit enfant de cœur. Mais malgré toute votre volonté, la bonne comme la mauvaise, chaque escapade dans la moindre boutique de vêtements –qu’il s’agisse du dernier revendeur de marque à la mode ou la vieille friperie du marchés aux puces du jeudi- se transforme en une véritable aventure en enfer. D’aucun diront que l’enfer est pavé de bonnes intentions, ou alors qu’il se trouve chez les autres ; vous, vous préférez penser qu’il se trouve entre les étagères à maillots de bain et les rangées de chemises, juste derrière une pile de boîtes à chaussures. Il n’y a rien à y faire : vous n’aimez pas, mais alors pas du tout, vous acheter des vêtements. Autant vous êtes le premier à aimer flâner le long des devantures des magasins, toujours partant pour un peu de lèche-vitrine (vous vous demandez toujours d’où vient cette expression, et finissez généralement par  vous estimer heureux de ne pas connaitre la réponse : elle n’a sans doute rien de très hygiénique), autant vous arrêter plus de six secondes à proximité de vêtements exposés vous donne envie de hurler à la lune et de vous enfuir dans les bois en arrachant tous vos vêtements, telle une bête sauvage qui ne se complique nullement la vie à assortir du noir et du rouge. Seule la perspective d’effrayer des cœurs fragiles et de vous retrouver nu comme un ver dans une cellule du poste de police le plus proche vous retient.

     

    Aussi loin que vos souvenirs remontent, cela a toujours été le cas. Tout petit déjà, vous trainiez les pieds avec un art tel qu’un paysan aurait pu passer derrière vous pour semer ses graines lorsque votre mère vous emmenait vous acheter une nouvelle paire de chaussures ou une belle chemise pour le mariage de tata Glenda. Vous vous laissez emporter telle une âme-en-peine parmi les rayons de chausses diverses et variées qui, à vos yeux peu experts, auraient aussi bien pu être de gros boulets qui n’attendaient que la première occasion de venir se refermer sur vos frêles chevilles. Et grosso modo vingt ans plus tard… rien n’a changé. C’est toujours pour vous un véritable chemin de croix que de vous rendre attraper ici un t-shirt, ici un pantalon (que vous prenez systématiquement trop longs, sans pourtant vous en rendre compte lors de l’essayage ; à croire qu’ils se rallongent par magie dès que vous les renfilez une semaine plus tard, chez vous, en même tant que vous retrouvez le ticket d’échange périmé)… Le seul rayon trouvant grâce à vos yeux étant celui des chapeaux, pour lesquels vous vous êtes capables de vous ruiner comme une femme en sacs à main (bon, d’accord, pas toutes les femmes. Notamment votre compagne à vous, qui ne se balade qu’avec un immense sac de toile grossière dans lequel elle trimballe –sans que vous n’ayez jamais compris comment- au moins l’équivalents de trois sacs de montagne et, parfois, petit chat lorsque celui s’est réfugié dedans pour y dormir et que vous découvrez tous deux, étonnés, entre le porte-monnaie et l’agenda au moment de payer l’addition). Une tête bien chapeautée est une tête bien faite, vous le dites toujours. Particulièrement lorsque toute personne en face passe plus de temps à examiner le couvre-chef que la figure pâle, les yeux hagards et la barbe de trois jours (mais qui en font au moins neuf ou dix) se cachant dessous.

     

    Voilà pourquoi vous marchez aujourd’hui d’un pas de condamné dans l’une des petites boutiques de vêtements d’une grande surface du centre-ville. Enfin, quand vous dites « petite boutique », vous entendez par là ce genre de magasin qui, vu de l’extérieur, semble assez petit pour en faire le tour en trois minutes chrono et qui se révèlent en faite extraordinairement spacieux, défiant les lois de la physique et s’étendant qui plus est sur deux étages et au moins autant de sous-sols (ce qui n’est pas le cas unique des magasins d’habits : les petites libraires et magasins d’antiquités sont également très forts dans ce domaine). Car après de nombreux longs mois jamais troublés par cette tâche ô combien pénible, vous avez fini par admettre à contrecœur et sous la torture (du moins vous préférez le prétendre) que oui, vous auriez besoin de nouvelles frusques à vous mettre sur le dos et ailleurs. Si cela ne tenait qu’à vous, vous vous baladeriez en permanence avec  le minimum vital de vêtements jusqu’à ce qu’ils finissent par tomber en poussière autour de vous. Mais comme très peu de choses en ce bas monde dépendent de vous (ce qui rend, au choix, le monde un peu plus triste ou carrément meilleur), vous avez cédé sous les remontrances et les conseils de vos proches, fatigués de vous voir avec les trois même t-shirt sur le dos, de veux qui commencent à se faire trop petit pour le ventre rebondi de celui en quoi le travail consiste principalement à rester assis devant son ordinateur et à se lever pour prendre le train jusqu’au bureau de son éditeur. Alors vous voilà une fois de plus, une fois de trop, en train d’arpenter un de ces maudits magasins pour le salut de vos oreilles qui en avaient jusque là d’entendre ces critiques incessantes.

     

    Enfin, le salut de vos oreilles, c’est vite. Vous avez en effet oublié que vous ne partagez absolument pas les goûts musicaux de ceux qui choisissent les programmes crachés à plein tube par les magasins de fringues. Entre le dernier rap à la mode et le nouveau morceau de techno audacieuse que vous ne sauriez pas différencier du précédent succès et dans lequel vous reconnaissez déjà les notes du futur hit, votre sensibilité acoustique n’est pas vraiment titillée. Vous ne demandez pas à ce que l’on passe du Bach lorsque vous essayez un pantalon, mais un peu de variété dans les sons proposés ne feraient pas de mal. Vous plaignez sincèrement les vendeurs qui doivent subir ça à longueur de journée. Même de la musique qu’on aime, on en deviendrait vite profondément dégoûté si c’était pour l’écouter plus de six heures non stop (tiens, vous croyez enfin déceler pourquoi vous avez soudain décidé de passer de Henri Dès à Jean-Jacques Goldman lorsque vous aviez dix ans). Et à parler de vendeurs de vêtements, ce ne sont pas pour vous les monstres gorgés d’agressivité et de dédain que décrivent nombre de personnes guère plus amoureuses du shopping vestimentaire que vous. Peut-être est-ce que parce que vous n’allez que très peu dans ce genre de boutiques, ou parce que vous avez toujours eu de la chance, toujours est-il que vous n’êtes jusqu’ici tombé que sur des créatures professionnelles et plutôt sympathiques. Non, c’est vraiment le procédé même de choisir et d’acheter des vêtements qui vous déprime.

     

    Déjà parce que vous n’avez aucun goût. Pour vous, le summum de l’art vestimentaire consiste généralement à attraper chaque matin dans votre armoire, les yeux encore fermés par le sommeil, les premiers vêtements vous tombant dans la main sans vous soucier une seule seconde de la moindre cohérence vestimentaire. Vous balader en t-shirt violet, shorts vert kaki, chaussettes montantes et sandales n’est pas pour vous un problème. Vous croyez comprendre que c’en est surtout un pour la rétine d’autrui. Sauf de votre compagne qui s’en fiche, en grande partie parce qu’elle est victime du même problème que vous, à savoir qu’elle n’accorde aucune importance au diktat de la mode en particulier et à ces histoires compliquées de vêtements en général. Et qu’elle fait partie de cette détestable catégorie dont les membres paraissent automatiquement bien habillés quoi qu’ils mettent sur le dos. Elle ne s’inquiète pas beaucoup d’aller faire les boutiques non plus, car elle est aussi de celles dont deux vêtements sur trois ne sont pas à eux mais à une amie-une mère-une belle-sœur- une collègue, et qui réussit à se faire offrir le troisième par… une amie-une mère-une belle-sœur-une collègue à Noël, à son anniversaire ou à n’importe quelle occasion. Vous, si vous devez déballer un papier cadeau pour trouver dessous une belle chemise ou un pull confortable, vous vous sentez déçu comme un gamin qu’on aurait violemment privé de Noël (en même temps, vous réagissez un peu pareil pour tout présent n’étant pas un livre, ce qui donne bien des soucis à votre entourage, incapable de garder la trace de tous ceux que vous possédez déjà dans vos nombreuses étagères et autres bibliothèques), à moins qu’il s’agisse de t-shirt rigolos. De plus, vous êtes distraits, nullement intéressé par la chose et doté de l’instinct vestimentaire d’un ornithorynque qui, comme on le sait, ne s’embarrassent nullement de savoir si leur short s’accorde avec leur haut. Vous êtes même capable de trouver une chemise ou un pull plutôt sympa et de vous en saisir pour aller l’essayer avant de soudainement réaliser que vous êtes encore au rayon femme. C’est dire… 

     

    Enfin, l’essayage représentant pour vous une autre plaie de ces séances de shopping. Féru d’une certaine loi du moindre effort, l’idée de passer plus de cinq minutes dans une de ces cabines étriquées à enlever et enfiler dix machins différents vous barbe profondément. Toute cette énergie gaspillée qui aurait été bien mieux employée à ne pas être dépensée confortablement chez soi, où personne ne viendra vous dire que ce vieux sweater jaune si confortable ne va pas avec ce short rose (un tragique accident de machine à laver). Voilà pourquoi, au grand désespoir de toute personne vous accompagnant dans une telle aventure, vous avez tendance à vous accrocher au premier vêtement qui vous va relativement comme si votre vie en dépendait. Non, vous ne voulez pas aller ailleurs voir s’il y a  plus joli ou meilleur marché, oui, celui-ci ira très bien alors qu’on vous laisse aller faire la queue  (interminable) à la caisse avec pour fuir ensuite comme si vous aviez les feux de l’enfer aux trousses. Et une fois à la caisse, vous ne pouvez vous empêcher de penser que tout cet argent aurait quand même été bien mieux employé ailleurs. Voilà pourquoi cela fait plus de trois ans que vous n’avez ne serait-ce qu’envisager de changer de godasses, bien décidé à garder les mêmes aux pieds jusqu’à elles s’effritent en lambeaux et vous permettent de devenir dans quelle rue vous vous trouvez rien qu’à la texture du pavé.

     

    Mais aujourd’hui, vous n’avez pas le choix, il vous faut une belle chemise (votre ventre rebondi d’écrivain affamé en étant la raison, comme on le sait), un beau gilet peut-être même, soyons-fous, un nouveau pantalon accordé (parce que, vous l’avouez de mauvaise grâce, c’est important, de se sentir bien dans son pantalon ; la vie paraît toujours beaucoup plus belle dans un pantalon confortable), parce que c’est le mariage de tata Glenda dans trois jours et que si vous y allez sans faire un effort, vous en entendrez encore parler au mariage de vos éventuels petits-enfants (et oui, il s’agit bien de la même tata Glenda , qui a su rester une femme très entreprenante malgré son âge). Alors vous poussez un profond soupir et, entre deux notes d’un titre projeté à fond par les haut-parleurs dont vous croyez comprendre qu’il est question de filles faciles, de voitures, de soleil et, curieusement, de trampolines, vous rassemblez tout votre courage et pénétrez une fois de plus en enfer.

    Au moins, ils ont l’air d’avoir de chouettes chapeaux."

     

  • Carnaval, ou le cimetière des barbes à papa - 2ème partie

    Voici la suite de cette palpitante non-aventure!

     

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    C’est tout à fait elle, ça. Votre compagne est grosso modo dotée de l’attention d’une fillette de cinq ans. Sauf lorsqu’elle est occupée à vous accabler de reproches pour une raison ou pour une autre, où la détourner de son but reviendrait à vouloir faire dérailler un train de marchandises lancé à toute vitesse uniquement aidé d’une allumette. Bon, pour être honnête, ce n’est pas uniquement des reproches. En fait, dès qu’elle a une idée en tête, vous pouvez être certain que les lois de la physique elle-même finiraient par abandonner avant elle. En fait, c’est entre deux idées fixes que l’attention de votre chère et tendre a tendance à papillonner, attirée par chaque nouvelle possibilité comme un papillon par la flamme. Et vous ne cherchez pas à insulter son intelligence, nullement mise en cause. En fait, sa capacité à s’émerveiller de la moindre petite chose est un de ses traits de caractères qui vous plait le plus chez elle. Tout cela pour dire qu’en plein carnaval, cela ne vous étonne guère de la voir disparaître de votre vue, attirée par l’une ou l’autre situation cocasse.

    L’un comme l’autre, vous adorez ce genre de manifestation. Avant qu’elle ne vienne mettre le bazar dans votre vie, vous aviez depuis longtemps déserté de tels évènements, enfermé dans votre petite routine calme et sans surprise. Et vous voilà, ayant redécouvert le plaisir simple d’un bain de foule fêtant l’arrivée des beaux jours. Si l’amour de votre vie aime à se jeter corps et âme dans la liesse et participer à la fête vous, vous aimez vous imprégner de l’ambiance. Vous balader tranquillement coude à coude avec des inconnus, un sandwich trop chaud, trop gras et trop cher dans une main et en savourer chaque miette. Là, au milieu de cette mer d’âmes bigarrées, assourdi par les tonitruantes musiques d’ambiance se mêlant en une joyeuse cacophonie, aveuglé par les lumières clignotantes des manèges et des stands de forains et amusés par les enfants courants entre les jambes des adultes, des ballons et des bâton lumineux dans la main. Un tel spectacle, c’est pour vous  se replonger dans des souvenirs, du temps où l’insouciance prenait le pas sur les angoisses existentielles de votre vie d’adulte.  Malgré tout ce que l’on peut dire de l’espèce humaine, particulièrement rassemblée en foules compactes, vous ne ressentez qu’une ambiance joyeuse, dépourvue d’oppression malsaine. Il fait beau, il fait chaud, la soirée est claire et le lendemain s’annonce radieux. Entre une baraque à frites et un punching ball mécanique pour tester sa force, plongé au cœur de cette foule effervescente, vous vous sentez mystérieusement moins seul, comme faisant partie d’un seul organisme qui aurait un penchant pour les merguez.

    « On s’entend pas parler, ici. » grommelle ce cher Steve, qui ne sent visiblement pas autant en phase que vous avec cet environnement. De toute façon, être en phase n’est pas son point fort. Votre ami est perpétuellement décalé. « Bon où est-ce qu’elle est, qu’on puisse se prendre à boire. Ca donne soif ces machins là. »

    Tenant un churros entre le pouce et l’index, un sourcil haussé derrière ses grosses lunettes flashy comme s’il s’agissait d’une anguille venue de l’espace passée par mégarde à la friteuse, il semble attendre que vous décidiez de la suite des opérations. Vous voilà bien embêté. Vous êtes de ceux qui suivent la meute d’un pas flâneur plutôt que de galoper en tête. Vous ne faites pas la course, vous vous promenez. Et après des années passées à n’aller nulle part, vous vous en contentez avec un plaisir sans cesse renouvelé. Sans répondre, vous continuez de traverser la foule, ou de vous laisser par elle, vous ne savez pas trop. Lorsque vous sentez soudain une tape sur votre épaule, et un sourire naître sur vos lèvres. Cela ne peut être que…

    Un ours. Bleu. Et grand. Mais surtout bleu.

    Ce n’est pas tant la taille que la couleur qui vous frappe. Derrière un bras pelucheux de la taille d’un édredon, vous devinez les boucles folles de votre compagne et imaginez son sourire radieux. De ce fait, quand son visage émerge enfin de derrière l’immense peluche qu’elle tient dans ses bras, elle semble particulièrement satisfaite d’elle-même. Vous, vous êtes vaguement sous le choc, un churros à moitié mâchonné dans la bouche, mâchoire béante, ce qui ne doit pas vous donner l’air des plus élégants. A côté de vous, vous êtes persuadé d’entendre Steve sourire tellement il le fait fort et se retient de rire.

    « Il est pas cool ? Il suffisait de tirer sur une ficelle. D’habitude, on tombe sur un p’tit chien ou un autre truc du genre, mais j’ai été chanceuse ! La plus grosse du stand, et je suis tombé sur elle ! Classe non ? »

    « Ca aura marché au moins pour quelque chose. » lance Steve avant de se prendre un coup de coude de votre part.

    « C’est fou, j’ai toujours voulu en avoir un comme ça ! Quand j’étais gamine, je dépensais tout mon argent de poche à la pêche au canard et à tirer sur des ficelles pour tenter le gros lot. Un nouveau but de mon existence grandement accompli ! »

    Grandement, en effet, ne pouvez-vous vous empêcher de remarquer tout en demandant où est-ce que ce nouveau succès existentiel va prendre de l’espace dans votre appartement encombré de mille trucs et machins (celle que vous aimez collectionne des objets incongrus à foison, vous êtes incapable de jeter quoi que ce soit. Une fois, vous n’avez pas revu votre chat pendant trois jour, le soupçonnant de s’être perdu dans vos affaires. Ce qui vous avait tout de même tous deux poussés à faire un peu d’ordre concernant les cartons de déménagement et leur contenu.). A votre remarque, elle prend un air faussement songeur –vous le savez parce qu’elle mordille sciemment sa lèvre inférieur pour se donner l’impression de celle qui va accoucher d’une nouvelle théorie philosophie en treize volumes- et finit par hausser les épaules, le nounours géant accompagnant le mouvement.

    « C’est une très bonne question. » dit elle. Au même moment, dans la grande tente dressée sur la place, l’orchestre entame un nouvel air festif. Oh non. Vous le savez à la manière dont elle tourne la tête. Quelque chose d’autre a attiré son attention. Quelque chose de terrifiant. Vous cherchez le regard de Steve, espérant y trouver du réconfort, mais il est absorbé dans la contemplation d’une jeune femme non loin, occupé à dévorer un énorme sandwich merguez (l’odeur de ces satanées saucisses ne vous quittera pas avant au moins une bonne semaine, vous en êtes persuadés). A la tête de votre ami, vous devinez qu’il a sans doute trouvé la nouvelle élue de son cœur, le temps des cinq minutes qu’il passera à la dévisager plein d’espoir avant qu’elle ne continue son chemin sans lui accorder la moindre attention. Vous reportez votre attention sur l’élue de votre cœur à vous, et cet ours encombrant devient votre nouveau sauveur. Impossible de déclencher l’apocalypse avec un truc pareil dans les bras. Jamais un classique « Mais si on danse ? » ne vous a paru aussi approprié.

    « Je sais ce que tu penses : mais si on danse ? »

    Damnation !

    « Steve, je te présente ta nouvelle copine ! Essaie de la caresser dans le sens du poil. »

    «De quoi ? »

    Et voilà que votre ami se retrouve avec une dulcinée des plus improbables dans les bras tandis que les vôtres sont tirés à l’intérieur de la tente par la poigne de fer de votre moitié. Vous n’allez pas y réchapper, à la danse, et vous trouvez un bref instant de réconfort dans la mine interdite de Steve. Mais déjà, on force vos pieds à bouger selon un rythme bien précis que vous allez massacrer comme Attila ravageant la campagne. Sauf que contrairement à Attila, vous n’aurez pas fait exprès.  Mais vous n’avez d’autre choix que de céder et de vous laisser entraîner, de participer un peu et mettre votre tenue de spectateur tranquille au vestiaire. Le temps d’une danse. Ou deux. Ou trois.

    Et le lendemain, alors que vous dormirez étendu en travers du lit, épuisé, sous vos fenêtres, on balayera les confettis, pliera les tentes et videra les poubelles. Plus que jamais, les rues auront des allures de cimetière des barbes à papa. Jusqu’à l’année prochaine, où elles reviendront mourir dans un maelström de bruit, de couleur et de lumières.

    Et ce pour votre plus grand plaisir.

     

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    Mon royame pour une merguez dans un p'tit pain! ;_;