Après quelques soucis internet, revoici donc une nouvelle page!^^
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Elle était seule, et partout où portait son regard il n'y avait pas âme qui vive. Pas le moindre mouvement non plus, le monde autour d'elle était totalement immobile. Immuable même. Ce monde ci en était la définition par excellence, la définition de ce mot qu'elle n'était même pas sûre de connaître. Mais ici, tout était différent. Ici, elle connaissait bien des choses qu'elle n'avait jamais apprises. Ici, elle savait. Elle savait... et bien, elle ne savait pas trop quoi, mais de manière aussi certaine qu'elle savait qu'il fallait se laver les mains avant de manger ou qu'il fallait faire ses devoirs pour la date prévue. Dans l'ensemble, elle devait bien avouer que c'était plutôt bizarre, mais elle ne s'en souciait pas outre-mesure, parce que le bizarre rendait toujours les choses bien plus intéressantes. Et puis pour savoir, elle n'avait pas forcément besoin de comprendre. A vrai dire, cela lui paraissait bien plus facile comme ça. Plus naturel aussi. Voilà, c'était le mot : naturel. Elle se sentait ici chez elle, plus que dans le petit appartement du complexe et plus qu'elle ne le serait jamais à Haven. Ou n'importe où ailleurs. En fait, elle n'était pas encore chez elle à proprement parler mais c'était bien ici, dans ce monde éclatant, qu'elle savait être sur le bon chemin. Celui qui la mènerait chez elle, et elle se demandait si elle pourrait y amener sa mère avec elle, ainsi que tous ses amis qu'elle avait laissé derrière elle et ceux qu'elle s'était fait en chemin. Mais pour ça, il lui fallait le trouver, ce bout du chemin. Alors elle se mit en route.
Autour d'elle, elle pouvait presque voir flotter dans les airs les contours anguleux du train, mais ils étaient aussi volages qu'un courant d'air et se ridèrent quand elle passa à travers sans y prêter la moindre attention. Après tout, elle avait déjà traversé ainsi les murs épais de son ancien immeuble dans le vieux quartier et jusqu'aux parois rocheuses du complexe lui-même. Peu importe les obstacles qui se dressaient sur son chemin, elle n'avait qu'à avancer pour tous les traverser, pas plus tangibles que des souvenirs prêts à s'évaporer. Alors, un pas après l'autre, elle pénétra dans le blanc du paysage qui s'étendait à l'infini. Sous ses petits pieds botter, elle pouvait sentir la neige épaisse crisser. C'était là quelque chose qu'elle n'avait pourtant jamais expérimenté, mais qui faisait partie de ce qu'elle savait...sans savoir comment. Aucune importance, parce qu'elle savait aussi qu'il lui fallait avancer. Qu'elle devait se rendre quelque part, quelque part chez elle. Parfois, la neige lui arrivait aux genoux mais elle ne la gênait pas, elle s'y sentait aussi à l'aise qu'un poisson dans l'eau, même si elle n'avait jamais vu de poisson. Sur son dos, la cape militaire qu'on lui avait donnée glissa et disparut avant de toucher le sol. Elle n'y accorda qu'une attention distraire, car elle n'avait pas froid ici. Son manteau n'était même pas boutonné jusqu'en haut, elle ne portait pas d'écharpe et ses cheveux libérés de l'étreinte d'un bonnet flottaient au vent. Un vent qui était la seule autre source de bruit que ses pas dans la neige. Il soufflait mais elle n'en souffrait pas, elle en bénéficiait même, avait l'impression qu'il la soutenait, la guidait, la faisait avancer dans le bon sens, poussant gentiment contre son dos.
Et puis elle les vit. Plus nettement que lorsqu'elle les avait imaginées dans sa tête quand les autres les avaient décrites. Elle les voyait nettement parce que ce n'était pas la première fois qu'elle se joignaient à elle, à chaque fois de plus en plus complètes, de plus en plus détaillées. Leurs jambes puissantes se détendaient quand elles bondissaient dans la neige autour de la fillette, leurs longues queues zigzagant dans leur sillage. Les créatures avaient l'air féroce, et leurs griffes et leurs crocs scintillaient dans la lumière du jour, mais elle les trouvait belles, et elle savait qu'elle aussi, elles voulaient rentrer à la maison. De temps en temps, l'une d'elles s'arrêtait net et relevait la tête vers le ciel, poussant un cri bref et déchirant avant de reprendre son chemin de plus belle, presque comme effrayée. Quant à elle, elle savait pourquoi. Elle regarda en l'air, manqua se perdre dans le ciel immense dépourvu du moindre nuage et dans lequel flottait le globe très pâle et très éloigné d'un soleil discret, puis elle regarda derrière elle, où il n'y avait plus que du bleu. Au-dessus, et derrière elle, que du bleu qui gagnait du terrain, se déployait comme une gigantesque toile dont il serait impossible de se défaire et qui absorbait tout sur son passage. Elle en avait peur, mais il le fascinait également ; il y avait en tout cas une chose qu'elle ne savait pas, et c'était s'il fallait le fuir ou s'y abandonner. Elle voulait surtout arriver là où elle devait se rendre, au bout du chemin, où elle trouverait quoi faire. A chaque fois, elle arrivait plus loin, elle était plus proche du but, mais à chaque fois le bleu la rattrapait avant et tout se terminait. Alors elle pressa le pas, se mettant presque à courir de toute la force de ses petites jambes, et elle avait l'impression de voir quelque chose droit devant elle, un petit point noir qui grossissait, grossissait... C'était un homme, elle s'en rendait compte, et c'était la première fois qu'elle voyait quelqu'un ici, sur le même chemin qu'elle. Elle accéléra encore, voulut se précipiter vers lui, et elle finit par discerner les traits de son visage, reconnaissant la peau pâle et la mine sérieuse de Diego Delgado. Alors ses jambes se rebellèrent, car le prêtre avait les yeux grand ouverts et ils étaient d'un bleu uni et intense, sans pupille, de ce même bleu qui se déversait partout en ce monde, et elle avait l'impression d'y tomber, comme au bord d'un précipice, et elle voulut ouvrir la bouche pour hurler, mais aucun ne remonta dans sa gorge pour franchir ses lèvres, il n'y avait plus que du bleu...
Et Lucie Robbins se réveilla.