Une p'tite page en ce mardi!^^
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-Vous écrivez beaucoup.
Ce n'était pas une question, mais une simple constatation établie d'une voix tranquille. Mais dans l'évidence, on sentait une sincère pointe d'intérêt, et Arthur Kent leva les yeux de son ouvrage pour découvrir ceux, clairs et curieux, de Lucie Robbins. La fillette était venue s'asseoir sur le siège en face de lui et balançait ses petites jambes dans le vide, ses pieds touchant à peine le sol.
-Oh, c'est toi. Dans la bouche d'Arthur, une telle évidence paraissait bien moins charmante, et plutôt maladroite. Mais ça, il en avait l'habitude. C'est mon travail, tu sais.
-Mais là, vous n'écrivez pas de livre.
-Non, c'est vrai. Disons que je m'accorde une pause sur l'élaboration de mon prochain travail. J'ai décidé de chroniquer les événements qui se passent maintenant, histoire d'en garder une trace.
-Comme un journal.
-Voilà. Tu as déjà écrit un journal ?
-J'ai essayé, quelques jours, une fois. Maman m'avait offert un beau cahier, et tout. Mais j'ai vite trouvé ça ennuyeux. Je préfère lire, en fait. Et puis il ne m'arrivait rien d'assez intéressant pour en parler. Alors je me suis dit que je ferais sûrement mieux de vivre plein de trucs d'abord, que les raconter en vaille la peine.
-C'est sensé. En tout cas, je crois qu'après aujourd'hui, tu pourras dire que ça vaut le coup.
-C'est sûr. Dites, je peux vous poser une question ?
-Bien sûr, répondit Arthur. Il avait l'étrange impression de se précipiter dans une sorte de piège mais, comme la plupart des autres passagers, il s'était trop attaché à cette curieuse fillette pour l'ignorer.
-Pourquoi est-ce que vous êtes si triste ?
Bon, ça, il ne s'y attendait pas vraiment. Pas du tout, en fait. Mais au lieu de rester perplexe la bouche ouverte, comme il réagissait généralement à ce genre de chose, il se surprit à réellement réfléchir à sa réponse. C'était inhabituel pour lui, qui préférait inventer les sentiments d'autrui sur le papier plutôt que de se confronter aux siens plus que nécessaire. L'introspection n'était pas vraiment le point fort d'Arthur Kent; et dans son malheur, il en venait même à se demander s'il en avait, des points forts. Mais pour une fois, il était dans une situation assez particulière pour lui donner l'envie d'être honnête non seulement avec les autres mais aussi -et surtout- avec lui-même.
-Je pense...que c'est parce que j'y suis habitué. Je sais qu'à la base, j'avais une bonne raison de l'être. Et je m'y suis accroché. Ça me permet d'être encore lié au passé, à ce que je pouvais y voir d'important. C'est plus facile que de penser à autre chose, en tout cas. Plus facile que d'oublier.
-Oublier quoi ?
-Une...bonne amie. Qui ne s'est avéré être rien d'autre. Et qui m'aura, elle, sûrement très vite oublié.
-C'est stupide.
-Pardon ? Là, Arthur Kent en resta effectivement la bouche ouverte.
-Si c'est votre amie, elle ne va pas vous oublier parce que vous partez loin. J'ai des amis, au complexe, et même si je les reverrai jamais, j'vais pas les oublier. Ce qui est triste, c'est de plus les voir, mais ils existent toujours.
-Tu es une petite fille très...logique. Arthur ne savait pas trop quoi dire.
-On me l'a déjà dit. Surtout la maîtresse, à l'école. On disait aussi que j'étais bizarre.
-C'est très bien, d'être bizarre !
-Alors ça tombe bien, vous aussi vous l'êtes. Bizarre.
Arthur se surprit à sourire : il se rappelait quelqu'un d'autre, celle qui lui avait souvent dit la même chose en riant, et qu'il fuyait maintenant en allant se terrer à Haven. Et les paroles de Martha Kent, qu'il avait jugées dures quand elle les lui avait assénées tantôt, prenaient soudain tout leur sens. Elle avait eu raison, il s'était comporté comme le dernier des imbéciles. Au final, il était en train de se dire que la personne dont il avait le plus besoin de fuir, c'était bien lui-même...
-Ne soyez pas triste, soyez bizarre !
Lucie lui sourit, d'un sourire sincère d'enfant, lumineux, simple, et Arthur Kent sentit enfin son humeur s'améliorer un peu. Puis, saisi d'une inspiration subite, il se mit à fouiller dans sa sacoche jusqu'à ce qu'il en ressorte un des petits carnets vierges qu'il emportait toujours avec lui. Il y joignit un stylo-plume, et tendit les objets à la fillette :
-Tiens, c'est pour toi. Peut-être que tu as une histoire qui vaut la peine d'être racontée, maintenant.
-Merci !
Ses nouveaux trésors en mains elle sauta à terre, se dressa sur la pointe des pieds pour embrasser l'écrivain sur la joue, et se rassit en posant aussitôt le carnet ouvert sur ses genoux. Et avec application, elle se mit à écrire. Arthur Kent la regarda faire quelques instants puis, comme saisi d'une énergie nouvelle, il reprit son propre ouvrage là où il en était resté.