Une histoire qui vous est venue comme ça... Parfois, il suffit de bien peu de chose. ^^
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Bill était de bonne humeur. Il faut dire que Bill était un pigeon, et qu’en tant que tel il ne demandait pas grand-chose. De quoi picorer, des cibles pour se débarrasser du surplus de picorement et de belles colombes auprès desquelles fricoter lorsqu’il se sentait d’humeur canaille.
Pour l’heure, Bill battait joyeusement le pavé, sa tête d’oiseau sans cesse en mouvement. Saccade sur saccade, il regardait autour de lui avait l’air étonné et globalement inexpressif qu’avaient les pigeons. Ses petites pattes maladroites tricotant gaiement sur le sol de pierre, il se demandait à quoi il allait bien pouvoir occuper son temps libre. Et, avouons le, un pigeon a beaucoup de temps libre. Peut-être parce qu’il ne sait pas ce que c’est. Alors il mange sur la première place venue, boit une goutte dans la première flaque venue et se soulage sur la première tête venue (ou parfois l’épaule, Bill ne visait pas très bien). Sans oublier les colombes. Très important, ça, les colombes.
Comme Bill venait de prendre un bain dans la fontaine quelques rues plus loin, il avait le poitrail gonflé et le plumage ébouriffé typique des oiseaux mouillés. Il se sentait beau, il se sentait propre, et le fait qu’il eut à partager ses ablution avec deux mégots de cigarettes et une vielle canette ne le dérangeait pas outre mesure. Il en fallait bien plus pour déranger Bill le pigeon.
Parce que c’était un crac, le Bill. Un as dans son domaine, une pointure ! Il roucoulait comme personne, et nul autre volatile citadin n’avait autant de classe que Bill quand il s’avançait pesamment de sa démarche de vieux propriétaire. Les jeunes pigeons courbaient l’échine devant lui et les colombes se pâmaient comme les plus romantiques des collégiennes devant la dernière star à la mode. Quant aux moineaux, ils gazouillaient de peur sur son passage. Quand Bill arrive en ville, on change de trottoir, sifflaient-ils aux nouveaux. Il y avait bien le vieux corbeau qui ne se laissait pas marcher sur les serres, mais comme il était vieux et sénile –d’autant plus qu’il digérait mal la perte de son fromage depuis que l’ami goupil s’aventurait de plus en plus loin dans la ville- Bille ne lui accordait guère d’attention. Il était le boss, et cela n’était pas un vieux corbac de malheur qui allait dire le contraire.
Or donc, Bill était de bonne humeur. S’il avait su ce que c’était et que son bec aurait été physiologiquement adapté, il aurait sifflé avec l’accent allemand. Que voulez-vous, même les pigeons ne choisissent pas leurs prénoms… Mais comme Bill n’avait pas la moindre idée de ce que pouvait bien être un prénom, il n’en souffrait pas le moins du monde. Bill souffrait peu, parce qu’il ne savait pas grand-chose. Ce qui était le cas de la plupart des pigeons.
Crâne de piaf, mais cœur léger, Bill se pavanait nonchalamment entre les réverbères ; il se disait qu’il n’avait bombardé personne depuis longtemps, et qu’il serait bientôt temps de mettre en route une nouvelle couvée de petits Bill des villes, farouches et solitaires, comme leur père !
Aussi, perdu dans ses pensées aussi légères que les plumes qui garnissaient son arrière-train, Bill descendit sur la terrasse le cœur léger. Il ne savait pas que ce jour serait le dernier.
En effet : a peine avait-il posé une patte indolente sur ladite terrasse qu’une tornade humaine jaillit d’une habitation, hurlant des imprécations. Bill n’eut pas le temps de comprendre. Il n’eut pas le temps de comprendre que certaines personnes n’aimaient vraiment, mais vraiment pas les pigeons. Et le malheur le choisit comme dindon de la farce.
Sur la terrasse, il n’y avait plus qu’un petit tas de plumes et d’os brisés.
Bill avait été de bonne humeur, mais comme Bill était un pigeon, en tant que tel il lui suffisait de peu de choses…