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  • Lucie 23

    Je n'avais guère d'inspiration et j'étais tout sauf motivé, aujourd'hui, et finalement j'ai pondu non pas une, mais deux pages! Allez comprendre...^^ C'est peut-être parce que j'ai pu retrouver des personnages qui m'amusent et me plaisent beaucoup, ainsi que des nouveaux, et que ça introduit une autre dynamnique, j'sais pas... En tout cas, voici le passage du jour!

     

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    Emmitouflée dans la cape militaire trop grande pour elle que le caporal Velázquez lui avait donnée, Lucie observait avec intérêt les soldats en activité. Ils étaient six, les mêmes que sa mère et elle avaient croisé sur le quai, et ils se comportaient avec la rigueur et le sérieux des adultes qui savaient qu'ils avaient des choses importantes à faire. Même le caporal Velázquez, avec son éternel petit sourire en coin, ne semblait pas déplacé parmi ses camarades. Ils avaient fait le voyage dans un des wagons destiné au transport de marchandises, parmi les fournitures militaires destinées au contingent de l'Hégémonie basé à Haven. Ils avaient troqué leurs tenus colorées officielles dans lesquelles Lucie les avait vu avant le départ du train pour des combinaison aux motifs de camouflage blanc et bleu. Elles étaient épaisses et isolées pour les protéger du froid, et dotées de capuches. Tous avaient une paire de lunettes de protection autour du coup, et tous étaient armés : un fusil en bandoulière, un pistolet et un long couteau à la ceinture. Ils avaient remonté plusieurs wagons, arme au poing et torches allumées, jusqu'à tomber sur Lucie. Étonnés par la présence de la petite fille, ils avaient néanmoins réagi sans se laisser déstabiliser et avec efficacité. Outre la cape qu'on lui avait donnée, le médecin du groupe avait examiné les bleus qu'elle s'était fait pendant le choc et palper ses os pour s'assurer qu'elle n'avait rien de casser. Puis il avait délicatement désinfecté la blessure de son front avant d'y apposer un pansement bien épais. Les soldats en avaient profiter pour arrêter un instant leur progression vers l'avant du train, afin de faire le point sur la suite des événements. En les écoutant parler entre eux, Lucie comprit qu'ils ne savaient pas ce qui avait causé l'arrêt du train, et que c'était là quelque chose qui les inquiétait, de même que le sort des autres passagers.

    -Peut-être que le système de conduite automatique a fini par lâcher, supposa le caporal Velázquez de sa voix légèrement traînante mais agréable. Après tout, c'est un vieux machin. Ce train a été le premier transport mis en service à la surface. C'est même le seul !

    -C'est possible, mais ça m'étonnerait. L'Hégémonie ne néglige pas les révisions de l'engin, rétorqua le soldat qui se nommait Paul Ravert. C'était un homme grand et mince à la peau noire et au crâne chauve, portant un bouc impeccablement taillé. D'après ce que Lucie avait compris, c'était le membre du groupe qui s'occupait du matériel et de tout ce qui était technique. Il était à genoux sur le sol, son matériel étendu à côté de lui, en train d'examiner la porte bloquée, celle que le père Delgado avait tantôt verrouillée derrière la fillette.

    -Elle n'est pas infaillible. Il suffit de penser à la catastrophe de la zone sud. Ce genre de chose se devait de finir par arriver, ça nous pend au nez ! L'homme qui venait de parler était petit et sec, avec des yeux malicieux qui ne cessaient de bouger et lui donnaient l'air d'être perpétuellement aux aguets. Tout son corps semblait vibrer d'une énergie difficilement contenue et il ne tenait pas en place, se passant régulièrement une main dans sa tignasse noire ou tordant sa bouche dans une grimace incontrôlée. Il s'appelait Stuart Moore, et il mettait Lucie un peu mal à l'aise.

    -Justement, ils font bien plus attention à ce genre de chose depuis. Et puis ils ne peuvent se permettre de perdre le seul lien entre les deux complexes. Sung, passe moi la plus petite tige.

    Jung Sungmin, le médic qui avait examiné Lucie, se baissa pour ramasser l'outil en question et le tendit à Ravert, qui le remercia d'un hochement de tête. Sungmin était presque aussi grand que Ravert ; il avait la complexion de peau pâle et les yeux légèrement bridés qui étaient la preuve d'une origine asiatique qui remontait à avant l'Hégémonie, et des cheveux très noirs coupés courts. Une barbe de trois jours lui mangeait le visage et il se dégageait de lui quelque chose de rassurant, qui mettait en confiance. Lucie se disait que c'était là quelque chose de normal pour quelqu'un qui devait s'occuper de soigner les autres. Il plaisantait régulièrement à voix basse avec Ravert, et les deux hommes semblaient formés un véritable duo, un peu à la manière du caporal Velázquez et du caporal Jones, la seule femme de la bande.

    -Ça ne veut rien dire ! Moore balaya les arguments de Ravert d'un geste vif de la main, et Velázquez haussa un sourcil :

    -Peut-être bien que oui, peut-être bien que non. Mais au final, je pense comme Paul, Stuart. Je n'avais avancé la possibilité d'un incident technique que par pur souci d'exhaustivité. Mon instinct me souffle qu'il y a autre chose...

    -Comme quoi, par exemple ?

    -Je ne sais pas. C'est le problème de l'instinct, ce n'est pas très précis.

    -Vous pensez toujours que quelqu'un pourrait avoir causé tout ça, Paul?

    La question avait été posée avec la voix forte et profonde de l'homme aux yeux si bleus qui commandait l'escouade. Il impressionnait toujours autant Lucie, et il ne parlait pas pour ne rien dire, s'étant jusqu'ici contenté de donner ses ordres et de ne faire un commentaire que lorsqu'il le jugeait absolument nécessaire. Le major Canton Adams était un homme de peu de mots, et d'un caractère sombre ; non pas mauvais, mais comme résigné, un peu usé par le temps.

    -Franchement major, je pense que c'est l'explication la plus probable. Quelqu'un a dû agir de l'intérieur. Je n'exclus pas toute possibilité de problème technique ou d'erreur humaine, mais je ne parierais pas là-dessus.

    -C'est des conneries, tout ça ! Grogna Stuart Moore.

    -Épargnez-nous ce genre de commentaires, merci ! Si quelqu'un est vraiment responsable, ça veut dire qu'il va nous falloir au plus vite rejoindre les passagers et le personnel pour tirer ça au clair. Je n'aime pas l'idée de quelqu'un rôdant dans ce train avec de telles motivations en tête.

    -Et dire qu'on me ventait ce voyage comme sans histoires... «Aller à Haven, c'est tranquille ! », qu'on me disait. « T'es un planqué, Velázquez ! », et j'en passe. C'est fou ça, où que je mette les pieds, il se passe quelque chose d'intéressant !

    A côté de lui, Samantha Jones leva les yeux au ciel, et le major Adams ne releva pas; il était manifestement habitué au comportement de ses hommes. Il jeta un bref coup d’œil à Paul Ravert pour s'assurer de l'avancement de sa tâche, puis se tourna vers Lucie, qui s'était assise sur une petite caisse en métal contenant elle ne savait pas trop quoi. Elle serra plus fort la cape autour d'elle en contemplant le regard bleu du major ; il n'était pas menaçant ni effrayant, mais il en émanait une telle intensité qu'elle ne pouvait s'empêcher d'être dans la ligne de mire d'un redoutable oiseau de proie. L'homme se gratta sa courte barbe puis s'accroupit pour faire face à la fillette. Samantha Jones sourit à Lucie, comme pour la soutenir, et le major se racla la gorge avant de parler :

    -Dis moi... Lucie, c'est bien ça ?

    Elle hocha la tête.

    -Lucie. Je sais que tu nous as dit que tu étais simplement en train d'explorer le train quand il s'est arrêté, et je te crois. Tu m'as tout l'air d'être une fille curieuse, et les filles curieuses sont souvent les plus intelligentes. Alors peut-être que tu vas pouvoir nous aider. Est-ce que tu as vu, entendu... bref, est-ce que tu as remarqué quoi que ce soit de bizarre pendant que tu explorais tous ces wagons ? Quelque chose qui ne te paraissait pas à sa place, ou qui t'a vraiment étonnée ?

    La fillette prit le temps de réfléchir quelques instants. Elle était fière de se sentir prise au sérieux par cet homme si impressionnant, et elle ne voulait certainement pas passer pour une petite fille effrayée. Elle se repassa sa balade dans la tête, du moment où elle s'était éclipsée du wagon des autres passagers à celui où le choc avait ébranlé tout le train et où les caisses avaient failli l'écraser. Elle avait vu plein de choses bizarres, mais elle comprenait que c'était parce qu'il s'agissait de plein de choses qu'elle n'avait jamais vu avant, et que ce n'était pas vraiment ce que le major Adams voulait savoir. Il voulait savoir si elle avait une idée de ce qui avait fait s'arrêter le train.

    -Non. Non, je ne crois pas, finit-elle par dire, un peu penaude de ne pas pouvoir lui donner la réponse qu'elle voulait. Je n'ai rien vu qui aurait pu arrêter le train. Et quand ça s'est passé, j'ai eu trop peur pour faire attention... Elle se sentit soudain piteuse à cet aveu, mais elle eut la surprise de voir un sourire naître sur les lèvres du major en retour. Il fut bref mais sincère :

    -Je te crois. Et ne t'en fais pas, c'est normal d'avoir peur quand c'est pour une bonne raison. Même moi j'ai peur parfois. Même le caporal Velázquez.

    -Hey ! s'indigna l'intéressé.

    -Il suffit de le voir devant un miroir quand il se découvre un cheveu gris.

    -Calomnie ! Le major répand de fausses rumeurs !

    Canton Adams adressa un petit clin d’œil à Lucie et se releva, frottant machinalement les jambes de son pantalon. Puis il retourna superviser le travail de Paul Ravert, non sans donner une petite tape sur l'épaule de Velázquez au passage :

    -Le temps passe pour tout le monde, caporal. Si j'étais vous je ferais gaffe !

     

  • Lucie 22

    Hop, une page de plus, et ce de bon matin!^^

     

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    Avec précaution, Kenneth Marsters ôta la petite plaque de métal qui recouvrait le panneau de commande de la porte. Il ne risquait pas grand chose, mais il était d'un naturel méticuleux et aimait faire les choses les unes après les autres. Cela lui avait toujours réussi, et il espérait que ce jour-ci n'y ferait pas exception. Il s'était servi du petit tournevis de son canif multifonction, qu'il avait toujours sur lui, pour dévisser la plaque qu'il posa soigneusement sur le sol. Il se tenait à genoux sur le sol, bien droit, pour avoir le système d'ouverture en face des yeux, et il frottait du pouce le manche de son canif, pensif. Quand il était monté dans le train pour Haven, à la Grande Gare, il s'était bien attendu à vivre une grande aventure. Seulement, il n'avait pas imaginé qu'elle se passerait aussi tôt, ni dans de telles circonstances. Kenneth était habitué à des délais sans cesse modifiés, à des calculs compliqués et à des expériences capricieuses en environnement contrôlé, on ne pouvait pas dire qu'il avait jamais vraiment risqué grand chose. Jusqu'à présent, il s'était toujours contenté de faire au mieux dans chacun des aspects de sa vie, qui avait toujours été tranquille et sans histoire. Ce qui lui avait longtemps convenu : il évitait de se poser trop de questions, le reste de l'univers faisait de même à son sujet et le système fonctionnait. Mais rien ne durait éternellement, et Ken Marsters avait fini par se demander ce qu'il attendait réellement de la vie. Il avait passé la majeure partie de cette dernière à assimiler des connaissances plus variées les unes que les autres, en véritable touche-à-tout, et il était persuadé qu'il en avait encore beaucoup à découvrir et apprendre. Et, plus important encore, qu'il pouvait mettre tout cela en pratique, afin de se rendre utile. Kenneth n'aimait pas le savoir perdu.

    -Alors ?

    -Je ne sais pas encore, Martha. Laissez moi le temps de jeter un coup d’œil.

    L'ingénieur se passa la langue sur le coin des lèvres, signe chez lui d'une intense réflexion, et entreprit de comprendre comment fonctionnait l'appareillage qu'il avait mis à nu. Il contemplait les câbles et autres circuits, les suivant des yeux jusqu'à leurs connexions ou jusqu'à ce qu'ils disparaissent dans la cloison. Le système n'avait pas l'air particulièrement compliqué en soi, mais il fallait réussir à trouver du sens dans ce qui ressemblait finalement à un gros fouillis soigneusement entretenu au fil des décennies. C'était du matériel robuste, avant tout fait pour durer, ce qui était une bonne chose. Ce qui compliquait les choses, c'était l'absence de tout système mécanique apparent, la porte ne pouvant visiblement s'ouvrir qu'avec l'action du courant. Ce dernier devait donc être réactivé ou redirigé dans le verrou, pour que la carte d'Ed Travers puisse faire son office.

    -Vous allez pouvoir en tirer quelque chose ?

    -Difficile à dire. Ça fait longtemps que je n'ai pas bidouillé d'électronique. Mais je vais faire de mon mieux.

    -Merci. Je m'excuse que vous m'ayez ainsi sur le dos, mais...

    -...vous êtes inquiète, je comprends. C'est normal. J'essaie juste de ne pas trop me précipiter afin de ne pas causer de dommages irrémédiables. Ce n'est pas vraiment mon domaine.

    -Qu'est-ce que c'est, votre domaine, alors? lui demanda-t-elle sur le ton de la conversation, parce qu'elle luttait pour ne pas laisser le stress l'envahir, et qu'elle ne voulait pas affoler Marsters en perdant son calme. Elle avait besoin qu'il reste à son affaire, et si une conversation toute simple pouvait contribuer à le rendre à l'aise, elle allait faire son possible pour y contribuer.

    -Comme je l'ai expliqué aux autres passagers tout à l'heure, je suis ingénieur. Mais c'est un titre un peu diffus. Je m'occupe principalement de problèmes de structures, aussi bien artificielles que naturelles. Je travaille généralement en partenariat avec des équipes de construction. J'ai des compétences de géologie également, ce qui a pas mal intéressé les responsables du projet sur lequel je vais travailler à Haven. Je me débrouille pas mal en mécanique, aussi, et j'ai des notions honnêtes en biologie et en chimie. Je n'ai jamais vraiment pu me cantonner à un seul domaine ; il y a tellement de matières fascinantes à étudier, des éléments qui nous permettent de faire de grandes choses ! Je crois qu'à ma manière, j'ai envie de faire partie de tout ça, de ne pas passer à côté, aussi je pense que je me suis dispersé pour être sûr de me rendre utile en toute circonstance.

    -Et vous l'êtes.

    -Je fais de mon mieux en tout cas. Et vous Martha ?

    -Moi quoi ?

    -Qu'est-ce que vous faisiez, avant de partir ? C'est quoi, votre domaine à vous ? Kenneth suivait des doigts un câble plus épais que les autres, essayant d'identifier sa fonction.

    -Rien d'aussi pointu. Je suis une vraie fille de l'administration. Je faisais partie d'une branche des ressources humaines de l'Hégémonie. Je ne peux pas m'empêcher de mettre de l'ordre dans un système un peu chaotique quand j'en vois un, et on a vite remarqué mes compétences d'organisation. Ce qui m'a permis d'assurer une place stable, pour ma fille. Mais je ne suis pas issue d'un milieu qui m'aurait permis de faire de grandes études, alors je ne pouvais pas prétendre à un échelon plus haut placé. Je travaillais dans bistrot, aussi, plusieurs soirs par semaine. Je cerne bien les gens, ce qui est utile dans mon domaine, et je me suis dit que ça le serait aussi dans celui-ci. Et puis tout ce que je pouvais amasser pour Lucie et notre voyage à Haven était bon à prendre...

    Même s'il avait les yeux fixés sur ce qu'il faisait, Kenneth avait senti le désarroi soudain de Martha, se fiant à sa voix.

    -Lucie m'a tout l'air d'être une petite fille débrouillarde. Ne vous inquiétez pas, je suis sûr qu'elle aura très bien su réagir à tout ça.

    -Je suis une mère, je m'inquiète, je n'ai pas le choix. Vous avez des enfants ?

    -Non. Une ribambelle de neveux, par contre. Mais je crois que j'aimerais avoir les miens, un jour.

    -Pas de madame Marsters ?

    -Pas depuis longtemps. On ne peut pas dire que j'ai jamais été un homme à femmes, et ma dernière expérience m'a rendu plus... méfiant. Et puis j'ai eu tendance à me réfugier dans mon travail. Mais je ne désespère pas ! Qui sait ce qui m'attend, après tout ?

    -Oh, je ne m'inquiète pas pour vous. Vous êtes quelqu'un de bien.

    -Je fais de mon mieux, en tout cas. Ah !

    -Vous avez trouvé quelque chose ?

    -Peut-être. Il va falloir que je confirme si c'est bien ce que je pense... Et vous alors, Martha ? Je ne crois pas vous avoir vraiment entendu mentionner le père de Lucie.

    Martha ne répondit pas tout de suite, et Kenneth eu la sensation qu'il avait mis sur le tapis quelque chose qu'elle préférait enterré dessous.

    -C'est parce qu'il n'y a pas grand chose à en dire. J'aimerais qu'il n'y ait rien du tout, à vrai dire. Mais il existe, et c'est déjà bien assez. Il n'a jamais fait partie du tableau, pas concernant Lucie en tout cas.

    -Je ne voulais pas...

    -Vous ne pouviez pas savoir. C'est un sujet que j'aime à éviter.

    -J'espère... Aïe !

    -Qu'est-ce qu'il y a ?

    Martha se précipita au côté de Ken, qui se suçait le doigt, l'air étonné.

    -Il y a du courant qui est brièvement revenu dans ce circuit, je me suis pris un coup de jus.

    -C'est le courant qui revient ?

    -Je ne crois pas, ou alors pas dans toutes les zones qui en ont été privées. Ça m'a vraiment l'air local, je crois...

    Il s'interrompit, comme s'il réalisait quelque chose de particulièrement inattendu.

    -Vous croyez quoi ?

    -Je crois que quelqu'un est en train d'essayer d'ouvrir la porte de l'autre côté.

  • Lucie 21

    Une page un peu plus conséquente aujourd'hui, on peut dire que les choses sérieuses commencent. Bref, je crois que je suis enfin entré dans le vif du sujet!^^

     

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    -Et merde !

    Stan Detroit relâcha la pression qu'il exerçait sur la commande du sas, ce dernier n'ayant même pas bougé d'un millimètre. Agacé, il flanqua un coup rageur contre la cloison ; le choc fut absorbé par l'épaisseur de ses gant, qui rendaient ses mains maladroites, mais il se sentait un peu mieux. Et lorsqu'on se retrouvait tout seul, à la surface, exposé au froid et au vent mordant, à côté d'un véhicule qu'on était censé connaître et qui pourtant ne fonctionnait plus, il n'était pas si difficile que ça de se sentir « un peu mieux ». Stan n'était pas doté d'un caractère négatif, et il s'efforçait de rester actif plutôt que de subir la situation, mais cette dernière commençait sérieusement à l'agacer. Quelqu'un avait tempéré avec l'intégrité du train qu'il avait appris à connaître ces dernières années, et il était pour l'instant totalement impuissant. S'il tombait sur le responsable, ce dernier allait passer un sale quart d'heure ! Mais pour le moment, Stan devait se concentrer sur le moyen de revenir à bord, et vite. Il était inquiet pour cette petite fille -il maudit une fois de plus Ed Travers pour avoir laissé les passagers se comporter aussi n'importe comment- et il espérait rapidement trouver un sas en état. Ces derniers, pratiquement jamais utilisés si ce n'était lors de trop rares exercices, étaient souvent grippés à cause de leur exposition aux éléments lors des voyages du train, et tous n'étaient pas systématiquement rénovés. Il y avait d'autres systèmes plus importants à maintenir en état quoi qu'il arrive, et on ne pouvait pas dire qu'il y avait souvent eu des problèmes sur l'unique ligne de la surface. Quelques pépins techniques de temps à autre, bien sûr, et ce n'était pas la première fois que le train se retrouvait bloqué. Par contre, c'était la première fois qu'il avait été stoppé de cette manière, très probablement en interne et de la main de quelqu'un de déterminé. C'était le plus troublant, et Stan Detroit avait l'impression de se sentir violer tant sa connexion avec le train était devenue forte depuis qu'il apprenait à le connaître. Il n'osait imaginer ce que pouvait bien ressentir Daniel Grümman, qui était devenu une véritable extension vivante de toutes ces tonnes d'acier.

    Mais toutes les questions qu'il se posait ne trouveraient pas de réponses maintenant et il devait continuer son périple le long du train. Il remonta le col de son anorak, plus machinalement que par réelle utilité. Les vêtements mis à la disposition des opérateurs par l'Hégémonie étaient parmi les plus chauds et les plus efficaces, mais Stan aurait aussi bien pu se retrouver projeté dehors en caleçon, il n'aurait pas eu l'impression d'une différence. Le vent qui rugissait était à peine assourdi par la cagoule et la capuche rabattue contre ses oreilles, et le souffle puissant le transperçait de part en part, comme si des millions d'aiguilles de glace s'infiltraient en lui jusqu'au plus profond de son être. Monsieur Grümman l'avait prévenu, les rapports sur les conditions extérieurs d’Éclat aussi, mais rien n'aurait pu le préparer à cette sensation. Et il n'y avait pas que le froid, le vent et la neige qui s'écrasait contre les lunettes de protection, non : il y avait aussi cette lueur éclatante qui traversait le gris uniforme de la tempête pour rebondir sur la blancheur éclatante du paysage, une blancheur qui s'étendait à perte de vue jusqu'à perte de vue. Rien d'étonnant à ce que l'Hégémonie ait décidé de se terrer sous la surface dès son arrivée sur la planète.

    Collé contre le train, Stan avançait lentement, pas à pas, le long de chaque wagon qu'il scrutait intensément à la recherche de sas. Tous n'en étaient pas équipés, et il fallait encore avoir la chance de trouver un système d'ouverture qui n'était pas bloqué. Il s'adonnait à cette tâche avec diligence, sérieux et concentration, comme dans tout ce qu'il entreprenait. Et ce fut sa diligence qui lui permit d'enfin repérer un nouveau sas à l'air abordable. Poussant une petite exclamation de joie étouffée derrière son passe-montagne, il s'en approcha plus encore et tâtonna la cloison, à la recherche de la poignée spéciale. Il la sentit enfin sous ses doigts gantés et la tourna à deux mains. Tout d'abord rien ne bougea, mais il banda ses muscles, persévérant, et il sentit enfin un peu de jeu. Il se retint de brandir un poing victorieux vers le ciel et à la place se concentra de plus belle, songeant que d'ici une ou deux minutes tout au plus, il serait à nouveau à l'abri, à l'intérieur du train. Et ce fut sans doute sa concentration qui l'empêcha de voir la silhouette qui fila derrière lui, semblable à celle que Martha Robbins avait vu à travers la fenêtre un peu plus tôt. Il n'entendit pas non plus le crissement de quelque chose qui frotta brièvement le côté du wagon, ni le grondement dans son dos.

    -Allez... Ah, voilà qui est mieux !s'écria-t-il joyeusement quand il sentit enfin le déclic faire vibrer la poignée qu'il tournait. Le sas allait s'ouvrir, il n'avait plus qu'à...

    Quelque chose le percuta violemment dans le dos, et Stan se retrouva écrasé contre le wagon, le souffle coupé. Il voulut crier quelque chose, mais ses poumons avaient été vidés par le choc et il ne put produire que quelques gémissements étouffés par sa cagoule. Une vive douleur lui lacéra le flanc et il y porta sa main, qu'il remonta faiblement à porter de vue : le gant était couvert de sang. Son sang. A peine eut-il le temps de le réaliser que le poids qui l'écrasait disparut, lui permettant à nouveau de bouger normalement... avant de soudainement le tirer en arrière avec une violence inouïe. La manche droit de l'anorak de Stan se déchira et il en profita pour se libérer, avant de tomber à genoux, sonné. Secouant la tête pour recouvrer ses esprits, il ne perdit pas de temps à regarder en arrière et se mit à avancer à toute vitesse vers le train, à quatre pattes. Avec un peu de chance, il allait pouvoir se jeter sous le wagon, hors d'atteinte... Grognant, la douleur se mêlant au froid qui profitait des déchirures de sa combinaison, il réussit néanmoins a ramper un peu plus loin, sous la voiture. Il resta étalé là, par terre, et commençait tout juste à reprendre son souffle quand une vive douleur le saisit au mollet : il était comprimé dans un étau pointu, et l'assistant conducteur comprit, éberlué, qu'il était en train d'être mordu par quelque chose ! Il se sentit glisser, tiré en arrière, et ses mains s'accrochèrent désespérément à un rail. Mais ses gants étaient trop épais pour lui permettre une prise solide et il pouvait voir ses doigts glisser un à un, jusqu'à ce qu'il lâche prise et essaie de trouver autre chose, n'importe quoi, à laquelle se raccrocher. Mais il n'y avait rien d'autre, et il se sentait faible, de plus en plus faible. Il pensa à ce train, qu'il avait appris à connaître, à tous ceux qui y étaient bloqués et qui comptaient sur lui, à la petite fille perdue et à monsieur Grümman. L'étau se referma plus fort sur sa jambe, lui arrachant un cri de douleur, et il fut tiré en arrière, sur le ventre, jusqu'à se retrouver à nouveau dans la lumière d’Éclat. Stan Detroit n'avait plus aucun contrôle sur la situation, il ne sentait que la plaie béante dans son flanc et les dents dans sa jambe, tandis qu'il se faisait entraîner en hurlant, plus loin dans la blancheur, toujours plus loin... Et puis il n'y eut plus de hurlements, que le silence, et le vent qui continuait de souffler.