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  • Lucie 11

    Pour l'instant, ça continue! Je m'approche petit à petit d'où j'avais envie d'arriver!^^

     

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    Tout en maugréant, Stan Detroit donna une série de petits coups répétés contre l'un des cadrans du tableau de bord ; il n'aimait pas beaucoup ce qu'il y voyait, et il espérait vaguement qu'il s'agissait d'un problème d'affichage. Et s'il pouvait disparaître en tapant dessus, voilà qui l'arrangerait bien. Mais rien n'y fit, les chiffres trop bas à son goût ne changèrent pas. Il se renversa dans son fauteuil et se frotta le bout du nez d'un doigt, signe chez lui d'une certaine perplexité. Au-dehors, à travers la vitre étroite qui se découpait dans le nez du train, le blanc du décor était plus cassé que jamais et Stan n'avait pas besoin de regarder les senseurs pour savoir que le vent envoyait s'écraser neige et glace contre le verre. Ce qui n'était pas gênant pour l'appareil, ni pour ses responsables formés pour avancer à l'aveugle, se fiant à l'automatisation des systèmes du train. Et si ce n'était pas la première fois que l'apprenti effectuait le voyage pour Haven en pleine tempête, il ne pouvait s'empêcher de se sentir vaguement mal à l'aise ; il frissonna, incapable de mettre le doigt sur ce qui le gênait ainsi,

     

    -Qu'est-ce qui te mine, petit ?

     

    Derrière Detroit, la porte s'ouvrit pour révéler Daniel Grümman, qui tenait une tasse de café fumant dans chaque main. Le chef conducteur s'installa pesamment dans son propre siège et tendit à son élève le breuvage qui lui était destiné. Stan accueillit avec bonheur la chaleur qui se répandait dans ses mains après l'avoir pris en coupe et en huma le fumet, ce qui aida à dissiper un peu ses doutes. Tout allait toujours mieux avec un peu de café bien chaud.

     

    -Quelques chiffres sont assez bas. La température continue de chuter, on dirait.

     

    -Tu as essayé de taper dessus ?

     

    -Leçon numéro une du chef Grümman. Pas de changement, les appareils fonctionnent.

     

    -C'est vrai qu'il fait plutôt frais, même pour de voyage. Ed a demandé que l'on pousse un peu plus le chauffage, mais ça m'embête d'utiliser plus de jus pour ça, surtout par un temps pareil.

     

    -Et puis ils ont tout ce qui leur faut : couvertures, vêtements et boissons chaudes...

     

    -Bah, tu sais comment sont les touristes... Et puis je n'ai pas envie d'avoir Ed sur le dos, à me rechigner ses doléances. On va attendre encore un peu, histoire de voir comment ça se passe pour les passagers.

     

    Grümman but une gorgée de café et fit claquer sa langue d'appréciation, avant de remarquer l'air un peu soucieux de son jeune camarade :

     

    -Quelque chose te chicane ?

     

    -Pas vraiment. Le temps est mauvais, mais ce n'est pas la première fois, et tout fonctionne. Mais... Je ne sais pas, je ne peux pas m'empêcher d'avoir l'impression qu'il y a quelque chose d'étrange.

     

    Grümman prit le temps de l'observer, notant le regard capable du jeune homme, et hocha doucement la tête ; il n'était pas inquiet, ce n'était pas dans sa nature, mais le gamin avait une bonne intuition.

     

    -Je vois ce que tu veux dire. Comme je le dis toujours, ce n'est parce que tout fonctionne.. que tout fonctionne. Bon, tout va bien se passer, comme à chaque fois, mais ouvre l’œil.

     

    Stan acquiesça en silence, et tous deux se perdirent dans la contemplation de la tempête agitée au cœur de laquelle ils se frayaient un chemin, sirotant leur café qui commençait déjà à refroidir.

     

     

    * * *

     

    Après deux heures de trajet, Lucie Robbins se dit que le voyage n'était de loin pas aussi excitant qu'elle l'aurait imaginé. La fenêtre, porteuse de promesses, s'était avérée être une amère déception, et elle s'était rapidement lassée de se blanc lumineux qui s'étendait à perte de vue. Elle avait écouté avec beaucoup d'attention Ken Marsters quand l'ingénieur avait parlé de son travail et de la surface, mais la conversation avait rapidement prit un aspect technique bien trop abstrait pour elle. Maintenant, les adultes continuaient de discuter entre eux, ne faisant plus du tout attention au fait qu'ils se déplaçaient à la surface de leur monde pour la première dans leur vie, et très probablement la seule. La mère de Lucie, le père Horst, Ed Travers et Marsters étaient plongés dans une vive discussion, tandis qu'Arthur Kent griffonnait frénétiquement dans un épais carnet sorti de sa précieuse sacoche. De temps en temps, il relevait la tête de ses pages avec un air absent, comme s'il contemplait quelque chose que lui seul pouvait voir, puis il se remettait au travail, ignorant tout ce qui pouvait se passer autour de lui. Plus d'une fois quelqu'un l'interpella sans qu'il ne réagisse, et tous apprirent rapidement qu'il était inutile d'essayer de le déranger lorsqu'il écrivait. Lucie, elle, aurait pu également sortir un cahier de ses affaires et se mettre à dessiner ou écrire tout ce qu'elle avait bien pu découvrir de nouveau, comme elle se plaisait parfois à le faire, mais elle avait surtout envie de se dégourdir les jambes.

     

    Prenant soudain une décision, elle boutonna jusqu'en haut sa veste, serra plus fort son châle de laine contre elle et se laissa tomber sur le sol. Personne ne fit attention à elle, et même sa mère avait relâché sa vigilance : après tout, ce n'était pas comme si sa fille risquait de pouvoir aller bien loin dans un train. C'est ainsi que, sur un éclat de rire sonore poussé par le père Horst, Lucie se dirigea vers l'arrière du wagon dont elle franchit la porte, qui se referma derrière elle avec un bruit étouffé par celui du train. La fillette se retrouva dans l'entre-deux voitures où ils étaient tous montés à bord depuis la Grande Gare ; face à elle, une porte semblable à l'autre s'ouvrit lorsqu'elle appliqua une pression timide sur la poignée. La voiture au-delà était sombre, sans passagers nécessitant un éclairage. Lucie resta sur le pas de porte quelques secondes, indécise, mais l'envie de bouger et la curiosité la poussèrent en avant, et elle pénétra d'un air décidé dans le wagon, bien décidée à explorer le train de fond en comble.

     

  • Lucie 10

    Allez, la pageounette du jour!^^

     

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    Il n'en fallut pas plus à Lucie pour se coller à nouveau contre la vitre, les mains et le bout du nez contre le verre froid et épais. John Horst se pencha au-dessus du couloir, vivement intéressé lui aussi, et le père Delgado se renfonça dans son fauteuil sans un mot. Il devait bien être le seul dans le wagon à ne pas être captivé par la lumière qui devenait de plus en plus fort à mesure que le train franchissait les dernières mètres qui le séparaient de la sortie. Tous les autres passagers retenaient leur souffle, ébahis, comprenant qu'ils vivaient là quelque chose d'unique. De leur côté, dans la voiture de tête, Daniel Grümman et Stan Detroit surveillaient le tableau de bord et les systèmes du véhicule ; comme Ed Travers, qui avait rejoint les passagers, tous deux n'en étaient pas à leur première sortie, et ils savaient à quoi s'attendre.

    Le train continuait sa progression sans ralentir, et il semblait parfois frôler les murs du tunnel de si près que réussir à ne pas rentrer dans la roche donnait l'impression d'être un véritable miracle. C'était difficile à dire, en réalité ; malgré la lumière du jour qui se déversait depuis l'extérieur, l'endroit était tellement obscur qu'on n'en voyait pas le moindre détail. Et puis c'était comme si une blancheur éclatante se se substituait peu à peu au noir profond, créant un contraste saisissant mais guère révélateur. Puis, enfin, le train jaillit à la surface d’Éclat. Les dernières ténèbres se volatilisèrent en un instant, et tous les passagers eurent l'étrange impression de se retrouver projeter au cœur du vide. Car c'était là le mot le plus approprié pour décrire le spectacle qui s'offrait à eux : une vive blancheur qui s'étendait partout et dans lequel le train traçait un bref chemin, vive incarnation du mouvement dans un désert immobile. C'était comme plonger au cœur de la désolation, ainsi que le racontait les histoires. Et comme dans ces dernières, alors même que tous étaient à l'abri à l'intérieur du véhicule chauffé, ils sentirent la température chuter d'un coup et plus d'un d'entre eux ne put s'empêcher de frissonner. Le froid d’Éclat s'infiltrait partout. Lucie ne broncha pas quand sa mère lui ajouta un châle épais en laine grossière sur les épaules ; la fillette observait le monde à travers la fenêtre, et elle ne pouvait s'empêcher d'être déçue.

    -On ne voit rien, dit-elle d'un ton trahi, tout enthousiasme retombé.

    Et en effet, à travers la vitre, il n'y avait rien d'autre que le blanc d'une étendue infinie et désolée ; en regardant bien, on pouvait discerner du mouvement dans l'air, comme si le vent soufflait, mais l'ensemble revenait à contempler une sorte de purée de pois désagréablement blanche, comme si on en avait ôté toutes les couleurs, ou qu'on avait recouvert la réalité de chaux. C'était à peine si un éclat bleuté passait de temps en temps à travers le verre, seule indication des cieux au-dessus de leurs têtes.

    -On ne voit même pas le ciel... commenta John Horst, à sa manière aussi dépité que la fillette.

    -On dirait que le verre distord le tout, comme si on ne voyait qu'une fraction du dehors à travers plusieurs couches d'épaisseur, remarqua Martha.

    Revenant des toilettes à l'avant du wagon, un homme s'arrêta au niveau de la femme, comme intrigué par son propos. Dans les trente-cinq ans, il était de cette allure molle et empâtée de ceux qui n'ont jamais eu à s'agiter pour gagner leur vie, mais ses yeux étaient vifs et et sa voix sûre d'elle :

    -C'est parce que c'est le cas, les renseigna-t-il. Les fenêtres de base ont très vite été remplacées par cette alliage de verre, dès qu'il s'agit d'en ouvrir sur l'extérieur. Aujourd'hui, le temps est à la tempête, alors on s'en rend bien moins compte mais en général, sous le soleil, le paysage est tellement aveuglant qu'on est obligés de le filtrer.

    -C'est une mauvaise lumière, c'est connu. Il ne faut pas laisser le bleu entrer.

    C'était le père Delgado, et l'homme le regarda d'un air perplexe, passant une main dans es cheveux crépus :

    -Ca, je n'en sais rien. Enfin, si vous le dites... J'imagine que c'est plus votre rayon, ce genre de choses. Moi, je suis ingénieur, alors je ne fais attention qu'aux principes qui me permettent de savoir comment ça fonctionne.

    -Et vous en savez long sur le sujet ? lui demanda Arthur Kent qui, curieux, releva le nez de la sacoche qu'il tenait fermement sur ses genoux.

    -J'ai un peu d'expérience dans le domaine, c'est pour ça qu'ils me veulent à Haven, concernant les expéditions de surface et les travaux qui y en découlent.

    -Vraiment ? Voilà qui est passionnant ! Et si vous nous racontiez un peu tout cela ! John Horst sentait sa bonne humeur revenir, et il tapota d'une main le siège libre à côté de lui :

    -Asseyez-vous, monsieur... ?

    -Ken. Ken Marsters.

    L'homme semblait un peu gêné d'être soudain le centre de l'attention mais il accepta l'invitation du prêtre et s'installa sur le fauteuil libre. Il se frotta nerveusement les mains sur son pantalon, et se sentit vaguement mal à l'aise quand le père Delgado lui lança un bref regard inquisiteur ; mais le jeune homme se désintéressa bien vite de lui, faisant comme si Marsters n'était pas assis avec eux. Et Ken Marsters se dit que le voyage promettait d'être intéressant... Il sourit à Lucie, un peu intimidé par l'intensité dont elle le regardait, curieuse de l'entendre ; il avait déjà parlé de ses travaux devant un public, mais il s'agissait de confrères, et non d'inconnus qui ne partageaient sans-doute pas son domaine. Mais il pouvait sentir leur intérêt, un intérêt non feint, aussi il se racla la gorge, et commença à leur parler de ce qu'on pouvait bien attendre de lui et de son travail à la surface.

  • Lucie 9

    Une petite page, aujourd'hui, mais une page quand même!^^

     

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    Dans la voiture des passagers, aucun de ces derniers n'avait ignoré les vibrations qui secouaient l'ensemble du train, d'abord assourdissantes et sèches, puis de plus en plus sourdes, jusqu'à ne plus devenir qu'un doux ronronnement en arrière-plan. La main sur la vitre, Lucie s'amusait de ressentir ce bourdonnement qui lui passait dans la main pour remonter le long de son bras. Elle avait l'impression d'être dans l'estomac d'un monstre gigantesque, et elle adorait ça. Cela n'avait rien avoir avec les petits trains rapides qui permettaient de se déplacer aux quatre coins du complexe où elle venait ; ces derniers étaient rapides et silencieux, alors que le mastodonte de métal qui l'avait avalée avançait plus précautionneusement, plus lentement, mais avec cette grisante sensation d'être totalement instoppable. Elle essayait de discerner les détails du tunnel à travers la fenêtre, mais elle ne voyait que du noir ; à l'intérieur, le wagon était éclairé par des lampes halogènes fixées au plafond. Certaines grésillaient faiblement, témoignant de leur grand âge mais, comme l'ensemble du train, elles avaient cette rassurante sensation d'avoir été faites pour durer.

    -C'est grisant, de se demander à quoi ressemble l'extérieur, n'est-ce pas ? John Horst avait remarqué le manège de la fillette, collée à la fenêtre. Qui sait-ce qu'il peut bien nous réserver ? J'en ai vu des images, même quelques vidéos, mais ce n'est pas la même chose.

    Lucie décolla son visage de la vitre pour croiser le regard bienveillant du prêtre, et elle hocha la tête, polie. Et comme il avait bien raison, elle n'eut rien à répondre. Et la gamine savait très bien que parfois, les adultes n'engageaient la conversation que pour le plaisir de s'entendre parler. Et si le prêtre ne donnait nullement l'impression d'être imbu de sa personne, il avait l'air de quelqu'un qui appréciait d'avoir une chose à dire plutôt que de se confronter au silence.

    -Je me rappelle, quand j'avais ton âge, à quel point toutes ces histoires sur Éclat me captivaient. C'est notre monde, après tout, me disais-je, et nous en savions si peu sur lui !

    -Et puis vous avez grandi, et vous avez jugé bon de ne plus vous y intéresser... Diego Delgado intervint dans la conversation, et Lucie réalisa que c'était la première fois qu'elle l'entendait vraiment se mettre à parler. Il avait une voix agréable, plutôt grave pour son âge, mais aux discrets accents presque vibrants, comme animés d'une grande tension difficilement contenue.

    -Pas du tout ! lui répondit joyeusement John Horst. J'ai peut-être grandi, mais ces questions ne m'ont jamais vraiment quitté ! Maintenant que je suis réellement sur le point d'aller à la surface, je remarque que je les avais seulement écartées, le temps d'une vie. Et de me les poser à nouveau, d'imaginer enfin m'y confronter, je trouve ça diablement excitant !

    -Nous ne sommes pas fait pour la surface, rétorqua Delgado, qui n'avait pas pu s'empêcher de grimacer aux mots de son collègue ; mais il conserva un ton neutre, dépourvue d'agressivité. Si cela avait le cas, nous y serions établis, aujourd'hui. Je ne comprends pas l'insistance de l'Hégémonie à poursuivre dans cette direction... Dehors, il n'y a que la blancheur de la neige, le souffle désagréable du vent, la morsure du froid... et le bleu. La grande désolation du bleu, où que porte le regard dès qu'il se lève aux cieux et devient fou.

    -Allons Diego, vous allez faire peur à notre jeune amie, à raconter vos simagrées. C'est un mythe, voilà tout !

    -Elle n'a pas l'air effrayée (et de fait, Lucie ne l'était pas ; à vrai dire, elle était captivée par la tournure que prenait la conversation, qui rejoignait le sujet d'autres histoires terribles et délicieuses qu'elle avait entendues se raconter entre deux verres de gin, au-dessus du comptoir du bistrot qu'elle ne verrait jamais plus). Et c'est là quelque chose que tout le monde devrait savoir.

    -Je n'ai jamais vraiment entendu cette histoire, lança Arthur Kent, rejoignant la conversation. Et pourtant, les histoires, c'est mon rayon, enfin je crois.

    -Tout le monde a entendu parler du bleu, d'une façon ou d'une autre. Ce n'est pas qu'une simple histoire.

    -Bien sûr, il y a toujours eu des rumeurs pour raconter la folie qui se serait emparée d'hommes restés trop longtemps à la surface, mais tout de même...

    -Monsieur Kent, c'est parce que nous ne sommes pas faits pour y marcher. C'est aussi simple que cela : c'est l'enfer, dehors, le coupa Delgado, des accents catégoriques dans la voix. Nous ne sommes plus faits pour le ciel, et ce depuis bien longtemps.

    -Bah ! John Horst agita une grosse main dans le vide, comme pour balayer les propos de son jeune collègue. Tout ce que je sais, c'est que je suis vieux, et que je me réjouis de voir le ciel au moins une fois avant de mourir. Peu m'importe qu'il soit bleu, rose ou violet à pois jaunes !

    Delgado se renfrogna ; il n'était visiblement pas du tout d'accord avec son aîné, mais jugea bon de ne pas le contredire plus en avant.

    -Pour ça, nous allons bientôt être fixés. C'était la voix de Martha Robbins, qui s'était jusque là bien gardé de participer à la conversation, sachant comment étaient les hommes dès qu'il était question de se chamailler. Tous la fixèrent, et elle sourit en désignant la fenêtre, à travers laquelle une vive lueur semblait illuminer de plus en plus les ténèbres du tunnel qui les menait au-dehors.

    -Je crois que nous sommes sur le point de sortir !