Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Vie - Page 13

  • And what about the children?

    Pas d'historiette, cette fois-ci. Que du vrai vous. Parfois, ça fait aussi du bien.

     

    ___________________________________________________________________________________

     


    podcast

     

     

    Sur un banc, un homme est assis. Il regarde la rivière qui s’écoule en contrebas, tout autour de lui, silencieux si ce n’est un grommellement inintelligible ici ou là. Le banc est sur une petite île au milieu de l’eau, et une barque jaune est échouée sur son bord. Sur la rive derrière lui, autour du banc, des piles de livres, certains en bon état, d’autre non. Un petit vent fait parfois tourner leur page et, dans le fond, le squelette grandeur nature d’un tricératops prend la poussière, quand il n’en devient pas lui-même. Une corne est déjà tombée, et on a dessiné sur sa collerette. Par terre, dans l’herbe, entre deux Mickey Parade, un Picsou magazine et le cadavre d’une bouteille de ketchup git un vieux game-boy (1) allumée, trois lignes parasitant un écran fatigué.

    Sur l’autre rive, en face, le spectacle est bien différent. Des piles de papiers s’élèvent en autant de tours fragiles, et des feuillets se dispersent allégrement aux quatre vents. On y retrouve une voiture rouillées, sans roue, qui n’a manifestement jamais servi et ne servira jamais, comme un symbole usé. Il y a aussi des livres, rassemblés autour de la lumière d’un écran d’ordinateur comme des voyageurs frigorifiés devant un feu. Jaillissant du sol comme autant de champignons, des portes sont visibles un peu partout. Certaines entrouvertes, d’autres closes, et certaines carrément barrées. Au milieu de la paperasse, les seuls éléments plus nombreux que les portes sont des panneaux de signalisation, chacun porteur d’une nouvelle interdiction ou d’une obligation supplémentaire, qui se contredisent régulièrement les unes les autres.

    Un discret clapotis retentit derrière lui, et l’homme tourne la tête. Descendant d’une autre petite barque jaune, sur laquelle sont collés des autocollants fantaisie détrempés, un enfant met pied à terre. Les cheveux en brosse et des lunettes qui paraissent presque trop grandes pour lui sur le nez, il a l’air timide, mais plein de vie.

    « Ah, c’est toi. » dit l’homme. « Ca faisait longtemps. » L’homme n’a pas les cheveux en brosse, mais il porte aussi des lunettes. Une barbe de quelques jours lui mange le visage. Il a les même yeux que l’enfant.

    « Ca fait longtemps. Tu m’évites ? » demande candidement le gamin en se hissant sur le banc aux côtés de l’homme. Sur son t-shirt, il y a le dessin d’un tricératops. Enveloppé dans sa veste en cuire, l’homme sourit à cette vue. Puis il prend quelques secondes pour réfléchir, avant de répondre :

    «Non. Enfin, pas vraiment. Je ne sais pas. » Il soupire puis, comme animée d’une pulsion soudaine, ébouriffe les cheveux du gamin. « Ils n’ont pas tant changé que ça. »

    « Non ? Pourtant, je sais me coiffer, moi. » Le visage du gosse se fend d’un grand sourire.

    « Ca non plus ça ne va pas changer. » dit l’homme en pointant les dents du doigt. « N’écoute pas ces histoires qu’on te raconte sur le besoin de se les brosser trois minutes trois fois par jour. Ce sont des conneries. Crois moi, t’en auras pas besoin. Si y a bien un truc sur lequel j’ai toujours pu compter, ce sont mes dents. »

    « Seulement tes dents ? Tu dis ça parce que t’es un peu gros ? »

    « Hé ! » Une brève pause, puis un grognement. « T’as pas tort. Mais j’essaie de me maintenir. »

    « Tu fais du sport, toi ? » Le gosse a les yeux gros comme des soucoupes derrière ses lunettes.

    « Bien sûr que non, ne sois pas stupide ! Je me balade un peu, je marche… Je promène le chien, tout ça ! »

    « Woah, un chien ? Le bol ! J’ai qu’un chat, moi. Omar, il s’appelle. Mais tu le connais. Ce gros patapouf.  Comment il va ? »

    L’homme se tait, et l’enfant semble comprendre.

    « Ah. C’est bête. Mais au moins, t’as un chien, c’est trop cool ! Les parents ils voudront jamais ! »

    « Et pourtant, si tu savais. »

    « Et est-ce qu’on peut avoir un dinosaure maintenant ? Cloné, comme dans « Jurassic Park » ? »

    « Non. Comme quoi, le futur, c’est du pipeau. »

    « J’ai même pas pu le voir au ciné, « Jurassic Park », Mami trouve ça trop violent. »

    « Bah, tu verras les autres. »

    « Va y avoir des suites ? Cool ! Elles sont bien ? »

    «Il paraît que non, mais pour te dire, j’m’en foutais. Tant qu’il y a des dinos, c’est cool. »

    « Ouais. Cool. T’es devenu paléontologue alors, comme prévu ? »

    «Non. »

    « Hein ? Mais pourquoi ? C’est mon rêve ! »

    « C’est poussiéreux, la paléontologie. Et on trouve pas tant de dinos que ça. Et c’est crevant je crois, comme du sport. »

    « Tu  n’as pas découvert le philipposaure alors ? »

    «Et bhé, tu parles d’une imagination débordante… Si je trébuche dessus dans le gazon, je te dirais. »

    « Le gazon, derrière l’immeuble ? Tu joues encore dehors avec les voisins ? Hier, on a joué à sauver la terre, c’était cool ! »

    « Ces temps, je sauve plutôt la terre sur l’écran de télé. »

    « Avec une super-nintendo ? »

    « Presque… Mieux, je crois. Même si j’en suis pas si sûr, finalement… D’ailleurs, prépare toi psychologiquement à endurer la fin de « Mass Effect 3 » ».

    « C’est quoi comme jeu ? »

    « Tu verras bien. En tout cas, tu ne pourras pas dire que je ne t’ai pas prévenu… »

    « Moi, j’arrive toujours pas à finir « Jurassic Park » sur mon game-boy. »

    « Ah, j’y suis arrivé ! Ca m’aura pris dix ans, mais quand même ! »

    « Woah, t’es trop fort ! »

    Le gamin se tait un instant, ses petites jambes se balançant au-dessus du sol, puis demande soudain :

    « Si t’es pas paléontologue alors, tu fais quoi comme travail ? Tu écris des livres ? »

    «Non plus. J’aurais bien aimé. Un jour peut-être… »

    « Ca veut dire quoi, de dire « un jour peut-être » ? »

    « Un truc de vieux. »

    « T’es vieux, c’est vrai. Au moins vingt ans ! »

    « Vingt-cinq. »

    « Aïe ! Mais… J’ai toujours pensé que j’allais mourir avant d’avoir vingt ans. »

    « C’est parce que t’arrives pas imaginer les avoir, c’est tout. »

    « C’est cool aussi, de pas mourir. »

    « Tu l’as dit. »

    « Bon, si tu déterres pas de philipposaure, si t’écris pas de livres, tu fais quoi ? Un truc ennuyeux d’adulte ? »

    « Non plus. C’est… compliqué. »

    « Tu parles comme un adulte ! »

    « Je sais, c’est terrible, hein ? »

    « Tu peux demander à Mick de t’aider, c’est ton meilleur ami, il saura lui ! »

    « Je ne l’ai pas vraiment revu depuis des années. »

    « Mais… Hier encore on jouait aux légos ! »

    « Bah, c’est comme ça. Ceci dit, il y en a d’autres, maintenant. »

    « Ils sont sympas ? Est-ce qu’ils aiment  « Friends » ? »

    « Ils sont bizarres, et mieux que sympas. Et « Friends » c’est fini, aussi. Mais y a d’autres séries, tu sais. »

    « Est-ce que Ross et Rachel ils finissent ensemble ou pas ? »

    « Je ne vais tout de même pas te gâcher la surprise ! »

    « Bon, si tu es pas mort, ça veut dire que tu es marié ? »

    « C’est vraiment ce que t’imagines ? Mort ou marié, sans alternative ? »

    « Ben quoi ? Quand on est grand on tombe amoureux, on se marie, on fait des enfants… »

    « C’pas près de m’arriver. »

    « Bah t’as déjà été amoureux quand même ? »

    « Et toi ? »

    « Bof, j’crois pas. Comment tu dis, euh… « Plus tard peut-être » ? »

    « Touché. Oui, j’ai été amoureux. »

    « Et c’est bien ? »

    « C’est compliqué. »

    « Pffff, t’es pas marrant. »

    « Raaah, bon… Oui, c’est bien le temps qu’ça dure. »

    « T’aurais pu faire des bébés alors ! »

    « Ahem. C’est… »

    « Compliqué, je parie ? T’es tout rouge, c’est à propos du sexe, c’est ça ? J’ai pas encore compris pourquoi ce machin rend les gens bizarre. »

    « Bah, c’est assez surfait, finalement, comme pas mal de trucs d’adultes. »

    « Comme les voitures ? »

    « En… quelque sorte. Peu pas dire, j’ai jamais conduit. »

    « T’as raison, ça sert à rien. »

    « Yep. »

    « Bon, alors, si je comprends bien… » L’enfant se met à compter sur ses doigts : « T’es pas paléontologue, t’as pas écrit de livre, t’as pas d’amoureuse, t’as pas de voiture… T’es sûr que t’es un adulte ? »

    « Non. Les autres sont sûrs pour moi, en général. »

    « Au moins t’as une barbe, c’est cool. J’ai toujours rêvé d’avoir une barbe. »

    « Hé, je ne pouvais pas TOUT foirer ! »

    « Pourquoi tu dis ça ? Y a des trucs cool quand même ! »

    « Oh, je ne dis pas le contraire. C’est juste… »

    « Pas ce" que j’avais imaginé ? »

    « Voilà. »

    A nouveau le silence, rompu par le clapotis de l’eau. Et puis l’homme reprend :

    « Est-ce que tu te souviens de Saas-Fée ? »

    « Bah oui, quelle question ! J’y vais tous les été avec maman. Tiens, regarde ce que j’ai trouvé en promenade là-bas ! »

    L’enfant joint les mains en coupe comme pour cacher quelque chose, et quand il les rouvre, une sauterelle agite ses antennes dans sa paume.

    « Elle était au milieu de la route, alors je l’ai prise pour la mettre dans l’herbe. Pour ne pas se faire écraser. » Le visage du môme est rayonnant, et l’homme ne dit rien. Sa poitrine se secoue brièvement.

    « Tu pleures ? » demande l’enfant.

    « Non. Enfin oui, un peu. J’avais oublié la sauterelle… Dire qu’aujourd’hui, j’ai peur d’une mouche si je ne la reconnais pas comme telle ! »

    « Moi j’ai peur que des guêpes. Pourquoi la sauterelle te rend triste ? Tu pourras en trouver d’autre l’été prochain, à Saas-Fée.

    L’homme semble sur le point de dire quelque chose, puis se tait. Il y a des choses qu’il vaut mieux éviter de raconter avant leur temps.

    « Et puis avec Papi et Mami, on ira à la mer, encore ! J’adore y aller, et puis traîner dans les kiosques, en France, avec les bd et les livres ! » continue joyeusement l’enfant. « C’est chouette, d’avoir deux vacances. Bon, parfois je me demande si en avoir trois ce serait pas encore plus cool… » Le petit se tait à nouveau, soudain plus sérieux : « Et lui, tu en sais plus ? »

    « Non. Je n’y ai jamais beaucoup pensé. J’ai un Papi, quel besoin d’un père ? Du moins c’est ce que je me disais encore il y a peu, mais maintenant… »

    « C’est compliqué. »

    « Yep. »

    « Bon, et bien je vais y aller alors. Ce soir, on mange du jambon madère ! T’aimes toujours le jambon madère au moins ? »

    « J’adore ! »

    « T’as intérêt ! » Le gosse se lève, court vers le bord de l’ilot, puis revient. Il prend les mains de l’homme et y dépose la sauterelle : «Tiens. Pour plus que t’oublies. Repenses-y quand t’es triste comme ça ! »

    « Merci. Et… Je peux te montrer quelque chose ? »

    L’enfant hoche la tête et l’homme, de la main qui ne renferme pas délicatement la sauterelle, ouvre sa veste de cuir. Dessous, le t-shirt est décoré d’un tricératops.

    « Génial ! » réagit le gamin. Tous deux se regardent quelques instants, sans mot dire, et le petit de rompre le silence :

    « Alors, tu vas traverser pour de bon ? »

    « J’sais pas trop. »

    « Bah oui, t’es pas mort, et t’es déjà tout vieux ! Peut-être qu’il y aura des trucs biens ! D’autres amoureuses, et même mieux… »

    « …des clones de dinosaures ! » s’exclament-ils tous deux à l’unisson, en riant.

    « Je verrai. Pour le moment, je vais rester encore un peu sur mon île, j’n’y suis pas trop mal… »

    « Bon, et bien à plus ! J’espère qu’on se reverra plus vite que la dernière fois ! »

    « Moi aussi… Amuse toi bien ! Caresse Omar pour moi. »

    L’enfant sourit, acquiesce, monte dans sa barque, se met à ramer et disparait sur la rive, derrière. Devant lui, l’homme regarde, et reste assis. Comme toujours, il a un peu d’avancer, peur de ce qu’il est devenu et, plus que tout, de ce qu’il pourrait devenir.

    Mais maintenant, il se souvient de la sauterelle, qui chante dans sa main. Un simple souvenir, qui lui fait se dire une chose très importante : l’enfant qui courait sur les routes de Saas-Fée pour en sauver les sauterelles pourrait bien grandir, finalement. Devenir quelqu’un de pas trop mal un jour…

    Tant qu’il y a des sauterelles.

     

    ______________________________________________________________________

     

    (1)    (1) Parfaitement, UN game-boy. Le contraire est faux même s'il est vrai.

  • A, c'est Abélisaurus

     

    Et oui, de temps en temps, il m'arrive de faire une note d'humeur concernant ma vraie vie à moi. C't'un blog après tout. Un peu d'angoisse existentielle lui est nécessaire, comme l'oxygène à la vie (ceci dit, j'y rajoute quand même des dinosaures, parce que tout est plus cool avec des dinosaures).

     

    ____________________________________________________________________

     

    Vous n’avez jamais su draguer. Non, vraiment. Pour vous, l’acte de courtiser son prochain ou sa prochaine vous est aussi naturel que, disons l’aptitude d’une poule à pondre des œufs carrés ailleurs que dans une bande dessinée de Carl Barks ou Don Rosa. D’ailleurs, vous rencontriez sûrement plus de succès auprès de la gente opposée si vous étiez un canard. Ca ne doit pas bien être compliqué, d’être un canard. Ils ont sans doute bien moins de paramètre à prendre en compte et, surtout, ils n’ont pas à parler. Ce qui représente sans nul doute votre plus grande faiblesse. Autant vous êtes capable de discourir des heures par écrit avec la première personne inconnue venue, autant  vous retrouvé face à face avec un premier inconnu venu pour de vrai vous plonge dans des abysses de terreur, de gêne et de perplexité. Et il ne s’agit pas uniquement de la drague, ça non : la moindre interaction prolongée avec une nouvelle personne vous perturbe et vous déstabilise, comme la première bestiole venue prise dans la lumière des phares. Lorsque vous allez acheter des yoghourts au supermarché du coin où le coffret dvd de la dernière saison d’une de vos séries favorites à la Fnac et que le/la vendeur/euse commence à parler de la pluie et du beau temps dans le simple but de faire la conversation, vous souffrez le martyr. Vous n’avez aucune idée de quoi rétorquer, et même une question aussi banale que « Il fait chaud, vous ne trouvez pas ? » vous force à réfléchir parfois une dizaine de secondes. La météo vous indiffère, et vous n’avez aucune opinion sur rien tant que vous n’êtes pas habitué à la personne qui vous cause. Et vos habitudes se créent lentement, sur de nombreux mois, voire années, et en aucun cas avec des gens obsédés par le temps qu’il fait.

     

    Or donc, pour en revenir au sujet premier : si une simple discussion banale avec un inconnu au supermarché vous bloque à ce point, comment voulez-vous arriver à vous en sortir lorsqu’il est question de séduire quelqu’un d’autre ? Vous êtes tellement effrayé à l’idée de dire une bêtise que rien ne vient. Le moindre son lutte pour franchir votre gorge, tandis que vous réfléchissez aux dizaines de possibilités différents qu’aurait un interlocuteur d’interpréter n’importe quel mot ou phrase, de « Oui, moi aussi je trouve que les arbres sont verts. » à « percolateur ». Du coup, si vous remarquez une fille qui vous plait, vous passez instinctivement en mode évitement et gêne. Au gymnase, apercevant une telle personne se joindre à la file de la cafétéria dans laquelle vous vous trouviez aussi, vous aviez laissé sur place plateau, assiette et services pour vous précipiter dans les couloirs, loin de toute possibilité d’échec mais le ventre vide. Quant aux compliments, le seul que vous n’ayez jamais réussi à baragouiner dans une vaine tentative de drague, ça devait ressembler à quelque chose comme « Tu as de jolis sourcils ». Encore aujourd’hui, cette soudaine et impromptue fixation sourcilière vous hante, incapable de comprendre pourquoi les sourcils. Vous vous demandez ce que Freud en aurait dit et, depuis, vous vous la coincez avant de commenter le lobe délicat d’une oreille droite ou la rondeur d’une joue gauche.

     

    Non, vous n’avez jamais su draguer, vous n’avez jamais ni compris ni appris comment faire. Le concept vous laisse toujours aussi perplexe aujourd’hui qu’à la période de vos quatorze ans. Un véritable savoir-faire qui vous est inconnu, et dans lequel vous vous réussissez à vous aventurer uniquement si vous savez d’avance que vous n’avez pertinemment aucune chance (personne trop jeune, trop âgée, en couple, de la planète Xygplut…). Allez chercher l’erreur… Vous faites en fait partie de cette catégorie de gens qui se laissent draguer par autrui. Non pas par paresse –malgré votre flemme naturelle- mais parce que vous ne savez pas le faire vous-même. Ce qui ne vous a pas empêché de passer parfois complètement à côté de tentatives vous visant, en partie parce qu’il vous paraît fort inconcevable d’attirer l’attention de qui que ce soit, en partie parce que vous naviguez dans la vie le nez en l’air à regarder les nuages sans voir ce qu’il y a sous votre nez. Bref, autant dire que jusqu’à aujourd’hui, cette technique du « laisser faire » n’aura que rarement porté ses fruits. Si votre vie amoureuse passée n’est pas nulle, elle est néanmoins ténue et particulière. Comme pour presque tout dans votre vie, ça vous est tombé dessus un jour sans passer par la moindre étape intermédiaire. Sortir avec quelqu’un, finalement, vous ne savez pas ce que c’est, vous ne l’avez jamais expérimenté, du moins de manière logique et conventionnelle. Pas de réel premier rendez-vous, ou de dîner aux chandelles, aussi désuète mais cocasse que soit l’expression. Bref, la drague, le couple, les sorties, ça vous laisse totalement « clueless », comme on dit en anglais (et parce que là tout de suite vous n’avez aucun équivalent aussi fort en français qui vous vienne à l’esprit et que vous regardez/lisez/écoutez bien trop de trucs en anglais).

     

    Au jour d’aujourd’hui, il faut bien avouer que votre situation n’aide pas vraiment à la chose. Quand on a vingt-quatre ans, qu’on vit encore chez ses parents et qu’on n’a pas ne serait-ce que la perspective d’un emploi et d’une carrière, ça n’aide pas vraiment en soirée (où vous n’allez généralement pas, de toute façon). Attention, vous n’êtes pas là pour sombrer dans l’auto-apitoiement, mais pour énoncer des faits. D’autant que votre vie actuelle est le résultat d’un grand nombre de paramètre plus ou moins compliqués. Bref, en plus de n’avoir aucune idée de comment vous y prendre, vous avez de la peine à imaginer qu’on puisse s’intéresser à vous (bon, d’accord, un soupçon d’auto-apitoiement. Mais c’est normal, c’est un blog ! Hu hu. Ahem. Bref… ). Surtout parce que lorsque vous vous décidez enfin à parler, c’est généralement dans un domaine que vous maîtriser mais restant au combien particulier, comme votre faculté à citer un dinosaure pour chaque lettre de l’alphabet ou la portée sociale de Battlestar Galactica (c’est quand même plus fun que le temps qu’il fait. Franchement). Vous ne savez pas vous glisser dans l’entre-deux, cette zone de la conversation où vous et une autre personne êtes censés apprendre à vous connaître.  Voilà sans doute pourquoi vous êtes généralement plus à l’aise dans les groupe de plus deux personnes, parce que cela implique qu’il y aura toujours quelqu’un d’autre pour lancer et nourrir la conversation pendant que vous vous goinfrer de raviolis aux crevettes en songeant au dernier épisode de Lost (oui, bon, ce n’est plus d’actualité, mais Lost restera toujours Lost !). Et puis à l’idée d’arriver un jour à démarrer une relation amoureuse, vous ne pouvez vous empêcher d’imaginer la rencontre avec les parents de l’être aimé :

     

    Pseudo belle-maman : -C’est un plaisir que de faire votre connaissance ! Fifille nous a tellement parlé de vous, mais on est content de mettre maintenant un visage sur ces mots ! Vous voulez plus de poulet ?

     

    Vous : … *luttant pour surmonter votre angoisse d’être confronté à de nouvelles personnes* Ngh.

     

    Beau-papa éventuel : Alors c’est vous qui voulez souiller le corps de mon unique fille chérie ? Alors c’est vous qui fréquentez pupuce ?

     

    Vous : … *rendu perplexe par une question dont la réponse vous semble évidente, tout en ayant la désagréable impression d’être dans la ligne de mire d’un redoutable avion de chasse* Nft ?

     

    Pseudo belle-maman : Mais reprenez donc des courgettes !

     

    Beau-papa éventuel : Et vous avez les moyens d’entretenir la prunelle de mes yeux, avec votre dégaine minable de type qu’a aucunement l’air d’avoir travaillé dur une fois dans sa vie ? Et vous faites quoi dans la vie ?

     

    La fille : Papaaaa !

     

    Pseudo belle-maman : Allons Arthur, ne gêne pas notre invité ! Plus de salade de pommes de terre?

     

    Vous : Euh… *retrouvant –hélàs !- la faculté d’articuler des sons n’étant pas uniquement constitués de consonnes* Ben… Pas grand-chose. Enfin c’est-à-dire que je ne sais pas encore… euh, pas trouvé ma voie… En fait, l’AI, tout ça, hem… Mais euh… J’aime bien écrire, oui, et pis les dinosaures. Vous connaissez le Neuquensaurus ? Je reprendrai volontiers des patates, madame Michud !

     

    Les autres : *silence gêné et inconfortable*

     

    Et après, vous ne serez plus jamais capable d’apprécier une bonne salade de pommes de terre. Bon, oui, vous forcez un peu le trait, mais c’est inévitablement le scénario qui vous vient en tête. Cette désagréable impression de ne pas être un bon investissement sur le long terme : vous n’y connaissez que dalle à la véritable vie de couple, et vous n’avez même pas vraiment eu l’occasion d’être le stagiaire qui photocopie les polycopiés. Votre expérience sentimentale est erratique et aussi intense que diffue, et vous êtes au final très dépourvu concernant ces choses-là. A plein d’autre choses aussi, comme les mathématiques ou Emmanuel Kant.

     

    Tout ça pour dire… Ben, que c’est quand bien même embêtant. Que la drague, et tout ce que cela implique, ça ne manque pas de vous laisser perplexe (vous l’avouez : vous adorez ce mot. Franchement, il  y a peu de mots qui, à la sonorité, sont si proches de leur sens. Un peu comme « cocasse »). Vous n’y comprenez rien, vous ne savez pas vous y prendre et vous n’avez aucune idée de par où commencer. Vous avez surtout l’impression d’avoir un train de retard (ou même toute une gare de triage) en la matière, et si dans la vie de tous les jours cela ne vous préoccupe pas forcément, quand ça vous vient finalement à l’esprit et que vous vous retrouvés confronté à votre solitude, vous vous dites que c’est quand même ballot, tout ça. Et que toutes les filles du train (d’après un de vos anciens articles), au final, vous ne saurez jamais les aborder. Et vous direz bien que descendre toujours seul sur le quai, c’est un peu relou, mais ça ferait trop Grand Corps Malade ™.

     

    Et si jamais, la lettre Z, ça peut être Zizongosaurus ou Zéphyrosaurus. Ca dépend si vous êtes plutôt sauropode ou non.

  • La gueule des statues


    podcast
    I Say - Pax

     

    __________________________________________________________

     

    On ne sait jamais trop quand de vieilles blessures qu’on croyait proprement cicatrisées ressurgissent soudain. C’est peut-être parce que vous êtes particulièrement doué pour vous mentir à vous-même. Les mauvais souvenirs, c’est comme le vin : plus on les ressasse, plus ils ont de parfums. Cela dit, avec le vin, on peut choisir de s’en prendre plein la gueule ; allez essayer de faire de même avec votre esprit.

     

    Il y avait ces jours du temps de votre gymnase, où pendant quelques temps la vie semblait enfin plus facile. Oh, vous n’étiez pas plus prêts d’avoir un avenir que maintenant, mais au moins vous vous sentiez vivre. Vous vous rappelez le soleil pris sur les bancs ou le rebord de la fontaine, dans la cour. Des souvenirs épars s’injectent sous votre crâne comme de la mauvaise came. Ceci dit ,ç’aurait été de la bonne que vous n’auriez su dire la différence. Il y avait les rires pendant les pauses, et le Dinasty tous les mercredi midi. Plus tard, longtemps après avoir quitté ce gymnase, un premier baiser, dans cette même cour. Vos pas vous y avaient conduit ce jour là, tous les deux, d’église en un autre sanctuaire. Elle vous avait dit qu’elle aimait la beauté ancienne de ces édifices, et vous aviez ri quand elle vous avait fait remarqué que les statues de la cathédrale tiraient la gueule.

     

    Une soirée avec des amis, pratiquement tous en couple. Ca parle sexe et sentiments à tout va, sautant de l'un a l'autre sur les histoires de qui saute l'autre, balayant les conception d'un temps anciens, entre pesto et sauce tomate. Non pas que cela vous choque; vous n'avez simplement rien à dire là-dessus, et c'est ce qui vous fait le plus mal. Il y a le morceau de serviette entre vos doigts que vous façonner en Sparky, petit chien boiteux aux oreilles mal taillées, et un refuge dans les escaliers.

     

    Petit, vous couriez sur la route qui menait à l’étang du Lary. Les graviers glissaient sous vos chaussures. Là encore, le soleil sur votre peau, il faisait chaud. Vous avez de la peine à retrouver des souvenirs de votre enfance, mais vous vous rappeliez les cailloux que vous jetiez en l’air en vous rendant à l’étang. Et de celui qui, un jour, vous était retombé sur le coin de la pomme. Vous vous rappelez du choc, puis du sang. Vous aviez pleuré à chaudes larmes cette blessure superficielle. Un baiser maternel, un sparadrap, et c’était le monde qui vous appartenait à nouveau. Vous n’aviez qu’à sonner chez les voisins du dessus, ceux qui ont si longtemps partagés vos jeux dans le minable gazon derrière l’immeuble à côté de la route. Le plus cool des minables gazons où à tour de rôles vous chantiez sur une souche, avant d’aller sauver le monde au fil des histoires que vous inventiez tous les trois. Vous étiez les sauveurs de la Terre, et l’été finissait toujours par revenir.

     

    Il y a les blessures du cœur. Une quantité d’occasions manquées. L’époque jeune des coups de cœurs innocents, et les premiers émois, inattendus, vous laissant désemparé comme une branche de brocoli dans une assiette de frites. Celle que vous avez cru aimer en premier, mais qui aura été ce que vous aviez de plus proche d’une meilleure amie, même si vous ne vous en rendiez pas compte alors. Perdue de vue, pour le meilleur. Vous ne sauriez plus quoi dire. Comme à une autre fille que de peur, vous avez fui. Parce que vous étiez encore un enfant effrayé dans votre tête, que vous n’étiez pas prêt. Vous regrettez toujours d’avoir agi ainsi. Vous n’aurez sans doute jamais l’occasion –ou les trippes- de lui présenter vos excuses.

     

    Les tripes, c’est vraiment infect. Comme la langue de bœuf que votre père et votre sœur d’accueil adorent au grand dam de votre famille, et à laquelle ils avaient parfois droit dans un formidable moment de complicité culinaire. Vous, ça a toujours été le jambon madère. Et la complicité avec vos sœurs, parfois diminuée mais jamais annihilée. Petit, au lit, quand l’une d’elle vous lisait Pedro Tango avec l’accent espagnol. A une époque où vous n’aviez qu’à choisir si vous alliez jouez dehors avec les voisins ou lire le lendemain. Mais contre un bon bouquin, le salut de la terre peut attendre.

     

    Des choix, que vos avez toujours fait de travers. Vos études, un travail de maturité qui aurait pu tout changer. Avant, même, si vous vous étiez accroché au lieu de fuir la réalité qui vous faisait depuis de plus en peur. Quand vous avez réalisé la réalité, plus rien n’a jamais été pareil. Les choix étaient lourds de conséquences, et l’été n’était plus l’été, au camping au bord de la mer, à Marseillan. Encore un choix, y retourner ou pas ? Le choix de la DS en classe pendant les cours de math au gymnase. Que feriez-vous si vous pouviez revenir à cette époque ? Cette autre fille encore dont vous aviez appris qu’elle vous avait envoyé des signaux que vous n’aviez pas voulu voir. Si vous aviez choisi de les voir, où seriez vous maintenant ?

     

    Envie de vous saouler la gueule au Bailey's en écoutant l'accent du sud de Lucero, mais inmpossible. Saleté de médicaments.

     

    Un été au valais, avec votre mère, comme un autre été, toujours dans la même vallée que vous aimiez tant. Même l’année où l’ambulance a dû venir la chercher n’a pas diminué le plaisir des suivantes. Vous aimeriez tant y retourner, revoir les marmottes, faire découvrir ce lieu à des amis, à un amour.

     

    L’amour que vous avez perdu. Le premier vrai amour et vous ne vous en êtes pas remis, vous le savez maintenant. Si court et si intense, la découverte des sens, la découverte du possible d’un deux. Comme un retour en arrière, vous vous sentiez à nouveau bien. Puis se faire jeter à travers un mail. Peut-être auriez –vous pu l’empêcher. Cela revient vous hanter. Vous aviez fait bonne figure rapidement mais ça vous fait mal, toujours. Pourquoi ?

     

    Et ce malheur, déclenchant à l’époque de petits bonheurs que vous aviez toujours eu sans le savoir. Un ami qui vient ventre à terre et vous apporte un croissant. Et qui ne rêve que de partir (l’ami, pas le croissant). Pourquoi ? Que ferez-vous, ensuite, sans lui ?

     

    Il y avait cette sauterelle, sur la route de Saas-Fée, que vous aviez prise dans vos petites mains d’enfants pour la mettre en sécurité sur le bord de la route. Du jeu avec vos voisins, vous étiez devenu un véritable sauveur de la terre. Et dans les pages d’écritures plus tard que vous rêverez de faire vivre.

     

    Mais aujourd’hui, vous êtes seul comme jamais vous ne vous en êtes rendu compte, parce que les blessures du cœur sont toujours là, et que vous n’arrivez plus à avancer.

     

    Dans le hamac au coin du feu, dans la maison de Provence de votre marraine, vous écoutiez la cassette audio de Tiflamme et la Pierre Bleue pour vous endormir. Petit, c’était déjà l’amour des grandes histoires. De Mama Gamba la grand-mère castor et Corbiroux le corbeau à John Locke de Lost. Mais il y avait le hamac, et la cheminée. Aujourd’hui encore, il n’y a parfois que l’histoire d’un petit garçon roux qui cherche sa pierre bleue sur un vieux radiocassette pour vous permettre de trouver le sommeil, seul, malgré vos médicaments.

     

    Et les statues de la cathédrale tirent toujours la gueule.

     

    _____________________________________________________________________

     


    podcast

    Des Marées D'Ecume - Saez