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Plume de Renard - Page 4

  • Où vous parlez jeu de rôles

    Le jeu de rôles sur table vous manque. A un point que vous n'auriez pas cru possible. Peut-être parce que votre point d'équilibre bancal de ces derniers mois s'est transformé en point de rupture, vous replongeant droit dans une dépression comme vous n'en aviez plus connue depuis votre première rupture. Non, c'est pire encore. Vous avez l'impression d'avoir le cœur brisé en permanence. Pour votre mère sans doute, l'élément catalyseur, où une énième phase complexe dans la gestion de sa schizophrénie la reconduite droit à l’hôpital psychiatrique alors qu'elle avait enfin eu une chambre sympa dans une bonne institution. Comme si vous faisiez soudainement le deuil de la personne qu'elle avait été, avec qui vous connectiez sur tous ces points qui vous rapprochaient tant : la lecture de sf et de fantasy, les bds, les séries que vous regardiez ensemble, les films Marvel qu'elle aimait tant et que vous alliez toujours revoir avec elle, et toutes vos discussions sur tous les sujets du monde, avec en face une femme réduite par la vie, mais qui n'avait jamais d'ouvrir son esprit et de s'intéresser à tout, avec le plus beau respect et la plus grande bienveillance du monde. Cette personne qui n'existe plus, à la mémoire fuyante et aux centres d'intérêts tordus, détruits. Cette personne avec qui vous ne savez plus comment connecter. Et votre dépression, votre myriade de troubles psychiques qui vous rendent la vie difficile depuis la préadolescence, sans parler de la fatigue chronique, qui se reprennent plus que jamais au jeu.

     

    Mais vous vouliez surtout parler du jeu de rôles, et de son manque qui prend une place de plus en grande en ce moment, au point de contribuer méchamment à votre dépression. Le jeu de rôles sur tables, il fait partie de votre vie depuis au moins vingts ans. Vous vous rappelez, jeune ado, du jour où votre mère vous avait emmené dans la seule boutique de jeu de rôles de Lausanne de l'époque, et où vous étiez ressortir avec le coffret du débutant pour Donjons et Dragons. Vous avez dessiné votre première carte, créer vos premiers personnages, écrit votre premier scénario, donné votre première partie en tant que MJ (maître du jeu).

     

    MJ que vous avez toujours été par défaut, certains de vos amis si essayant parfois brièvement quand un système ou un monde les intéressaient. Mais vous avez tenus bon ! Parce que cela permettait d'en faire, du jdr, ça permettait de faire vivre des histoires, de faire jouer des joueurs qui y prenaient du plaisir et qui n'auraient pas forcément souvent joué sinon. Vous avez fait de In Nomine Satanis / Magna Veritas votre jeu de prédilection : vous adorez son univers, plus sérieux et épique que l'on ne croit, et vous avez adoré ces campagnes avec différents groupes. Les fous rires bien sûr, mais aussi des arcs narratifs aussi inattendu que bienvenus, et des histoires magiques nées des improvisations aussi bien des joueurs que de votre part. Souvent, vous aimeriez bien remasteriser ce jeu, qui a été une part si importante de votre, l'univers et le système que vous connaissez mieux. Avec de nouveaux joueurs.euses, pour faire découvrir, revivre cet univers.

     

    Vous, vous n'en avait jamais fait une seule partie en tant que joueur.

     

    Vous vous rappelez des conventions, notamment les conventions Orc'Idées, chaque année au début du printemps, à l'université de Lausanne. Ces moments où vous avez découvert que dans le cadre du jeu de rôles, en tant que joueur, vous pouviez vous inscrire à n'importe quelle partie et jouer entouré d'inconnus...sans que cela ne soit un problème. Vous, qui êtes maladivement timide et souffrant d'une anxiété souvent paralysante, dès que vous vous glissiez dans la peau d'un joueur de jeu de rôles et de son personnage, ça disparaissait. Et purée, si ce n'est pas l'un des sentiments les plus puissants, agréables, plein de soulagement que vous ayez jamais connu. Enfin quelque instant de libération, de pure joie, de connexion immédiates avec des gens, que ce soient vos proches ou des inconnus.

     

    Pendant près de deux ans, vous aviez trouvé un groupe dans votre région, prenant la place d'un ami qui avait dû arrêter à cause de son nouveau boulot. Vous avez donc pu jouer pendant cette période, en joueur, et vous en gardez de bons souvenirs, même si ce n'étaient pas forcément les univers qui vous intéressaient le plus. Et puis vos chemins se sont séparés.

     

    Vous avez remasterisé ici et là, du INS principalement. Et quand la cinquième édition de Donjons et Dragons est sortie, le coup de cœur ! Une simplification des règles tout en permettant plus de possibilités de personnages et de role play que jamais, dans des univers fantastiques ! Vous avez essayé d'en donné un peu ici et là, avant de réaliser que vous étiez un peu à plat. Ces dernières années, l'énergie a baissé de plus en plus, rendant l'écriture de quoi que ce soit toujours difficile (ne serait-ce qu'un post de forum rp pouvant vous vider de votre énergie pour la journée alors même qu'ils vous faut moins d'une heure pour en pondre un). Et l'idée de masteriser devenait de plus en plus épuisante, frustrante parce que vous vouliez jouer, frustrante parce que vous vous en vouliez d'empêcher des gens de jouer en ne portant pas la casquette du MJ.

     

    Puis, ici et là à nouveau, par chance, vous avez trouvé trois tables Donjons et Dragons où vous avez pu joué. Aucune d'elle n'a duré plus de quatre sessions, les Mjs abandonnant ou disparaissant. Vous n'avez jamais joué comme vous le voudriez tellement : une table avec des séances régulières, avec la possibilité de faire évoluer un perso et ses interactions avec les autres sur la durée. Vous en rêvez la nuit. Le manque en est épuisant, presque physique. Vous êtes bombardés de contenu rôliste de toute part, qu'il s'agisse des bouquins sur lesquels vous craquez, des émissions sur le sujet, ou de toutes ces parties qui se mettent en place loin de vous (l'association suisse de Donjons et Dragons se concentrant beaucoup sur la Suisse-allemande). Vous avez tellement de personnages dans la tête qui ne peuvent pas sortir. Quand la dépression ne vous cloue pas au lit, à écouter de la musique pour essayer de ressentir quelque chose (et même la musique ne vous fait parfois rien ressentir du tout, ce qui ne vous étais encore jamais arrivé), ou à essayer de dormir pour passer le temps, vous pensez jeu de rôles. Vous rêves de vous y trouver une place, de jouer, de vivre ces instants de grâces où, le temps d'une partie, chaque semaine (ou toutes les deux semaines, bref, régulièrement), vous pouvez juste jouer un rôle dans un système qui vous éclate, réussissant à connecter avec des gens avec qui vous n'auriez osé causé en temps normal.

     

    En tant que MJ, quand vous aviez encore la foi et la force, cela permettait de tenir le coup. Rien que de voir les réactions de joueurs heureux, qui s'éclatent à leur table, qui font vivre leurs persos, qui improvisent des situations que vous n'aviez jamais vues venir (dieu que INS vous manque...)...c'était que du bonheur. Et vous espérez retrouver un peu de ça, un peu d'énergie au moins pour masteriser, pour des potes ou simplement des gens qui n'ont pas l'occasion de jouer autrement. Parce que vous vous sentez coupable de les laisser tomber.

     

     

    Mais plus que tout, vous avez envie, vous avez besoin de jouer. D'être pendant quelques heures, de temps en temps, ce personnage qui vous permettra de vivre quelque chose, et de partager ce quelque chose merveilleux qu'est une campagne de jeu de rôles avec d'autres personnes. De vous sentir enfin capable à nouveau de créer des liens, même l'espace d'une partie chaque semaine. D'être, enfin, bien. De remonter la pente.

     

    Mais là, cette bouée de sauvetage vous l'avez perdue, et vous ne savez plus comment la rattraper.

  • Usé

     

    Usé.

     

    Vous vous sentez usé. Un peu comme un élastique étiré bien trop longtemps, dans trop de direction, pour trop de monde, et avec bien trop de poids sur le caoutchouc. Et plutôt que de le voir vous revenir dans la figure dans la représentation d'un des ressorts comiques les plus cosmiques, vous sentez qu'un jour -dans longtemps, ou demain- il va...lâcher. Même pas se casser net, voilà qui serait trop dramatique (avez-vous déjà essayé d'être dramatique lorsque vous avez grosso modo l'énergie d'un tabouret?). Lâcher, tomber, s'écroule tel un bandeau flasque sur le coin de la table de la vie, parce qu'il n'y a rien de tel qu'une métaphore mobilière de la vie, d'autant plus quand vous avez l'impression que la vôtre, on l'a montée en vitesse à Ikea et qu'il manque quelque part la vise qui va finir par tout faire s'écrouler.

     

    Il vous a toujours manqué une vise de toute façon. Ou un boulon. Sûrement les deux. Vous n'avez pas été construit correctement, et vous n'avez jamais été foutu de vous reconstruire vous-mêmes ; les légos, vous êtes plus du genre à marcher dessus pied nu qu'à les assembler inlassablement du temps de votre enfance. Où vous sentiez...et bien enfant, et enfant heureux, plein de rêves et d'idées et d'amour.

     

    Aujourd'hui, les seuls rêves qui vous restent sont ceux qui vous font si mal qu'ils vous font peur : ces rêves, récurrents, où tout s'arrange, où vous sentez à votre place, où vous rencontrez même quelqu'un et où vous vous rappelez ce qu'être heureux veut dire. Et puis vous vous réveillez. Vous vous réveillez toujours. Vous préférez les cauchemars, même à base de sorcières, Morgan Freeman et un koala (les cauchemars sont souvent très spécifiques rien que pour vous poussez à les infliger aux autres dès le réveil, un peu comme une assommante infection. Mais au moins, les cauchemars ne vous enlèvent pas l'idée du bonheur).

     

    Fatigué. Vous êtes fatigués. Vous avez l'impression que ça va bientôt faire dix ans que vous dites aux gens que ça faut au moins dix ans que vous vous n'êtes plus réveillé reposé. Ce n'est pas une exagération : plus une seule fois. Le repos n'est plus pour vous qu'un souvenir lointain, que vous ne pouvez éprouver qu'approximativement via un exercice mental, un peu comme les coupes de cheveux des années huitante. Peu importe vos horaire, votre temps de sommeil, toute les habitudes et les trucs différents essayés : vous ne connaissez plus le repos. Et quand vous en parlez autour de vous, vous voyez celles et ceux -la plupart, qui ne comprennent pas vraiment, qui pensent juste que vous avez de la peine à dormir et qu'il suffirait de bouger un peu plus... Et à toutes celles et tous ceux qui savent, votre cœur fatigué s'élève vers eu pour les prendre dans ses petits bras fatigués (des bras métaphoriques, votre cœur n'est pas – à votre connaissance- une erreur de la nature).

     

    Votre cœur qui bat et continue de faire son travail, et qui malgré tous les check-ups du monde vous donne l'impression d'être tellement usé qu'il va s'arrêter à tout moment. Dans votre tête, ce n'est même plus une question de risque, ou de si qui sont tous retournés dans leurs bouteilles : dans un jour, dans un mois, dans dix ans, dans trente secondes... Paf. Vous avez cette impression de sursis permanente qui plane au-dessus de votre tête (il n'y a plus de place sur vos épaules, la mouette boudeuse de l'anxiété y niche déjà). Cette impression d'usure avant l'heure, cette certitude que tout cela va finir comme si l'on coupait les fils de votre marionnette (vous auriez-dû viser un poste chez les Babibouchettes, au moins les chaussettes n'ont pas besoin de fils pour bouger).

     

    Les fils, vous les tenez vous-mêmes d'une main maladroite parce que vous n'avez aucune idée de qui vous êtes vraiment et de la direction à prendre. Et puis maladroit comme vous êtes, vous vous emmêlez régulièrement les jambes. Si ce n'est pas l'arrêt brutal de votre corps qui vous tuera, ce sera probablement la chute au bord d'une falaise simplement parce que vous n'aviez pas été capable d'orienter correctement votre genou gauche. Ou alors il y avait un égo.)

     

    Vide. Vous vous sentez toujours aussi vide. Ce fameux vide que vous ne savez combler, que ce soit en vous goinfrant d'une nourriture qui perd de plus en plus de sa saveur, de livres qui défilent sans vraiment relier quoi que ce soit, de jeux qui ne sont là que pour mécaniquement tromper votre ennui, de films et de séries consommés comme des pilules pour oublier qu'il n'y a plus rien à penser. De la masturbation de l'ennui au ménage du lundi, sans oublier l'énergie folle dépensée pour rester vaguement fonctionnel, capable de se gérer soi-même. De ne pas s'écrouler. De ne pas céder face à l'usure. Pour les gens.

     

    Pour les gens tout autour de vous, qui vous aiment et que vous aimez. Vous avez la chance d'avoir un réel soutien, aussi bien amical que familial, et vous ne les remercierez jamais assez, vous ne saurez jamais leur dire, maladroit comme vous êtes, à quel point ça compte, et à quel point vous voulez vous aussi les aider si vous pouvez trouver la force. Et l'horreur de réaliser à quel point vous devez être brisé pour réaliser que même comme ça, vous vous sentez seul. Atrocement seul au milieu du monde qui vous aime.

     

    Seul. L'amour, vous n'y croyez plus. Vous avez essayé, l'une vous a détruit deux fois, l'autre vous avez dû la laisser partir même si elle y croyait. Et bon sang ce que ça vous manque. De ne plus trouver cette complicité, ce partage d'âme avec qui que ce soit. Le manque physique, aussi. Le sexe, mais pas seulement ; ces dernières années vous avez survécu sans et vous en portez pas moins bien. Mais l'intimité, le partage de corps et d'âme qu'il représente avec un être aimé. Et plus que ça, les simple frôlement, les câlins, les mains dans les mains, jusqu'à un simple regard échangé qui dit « tout va bien ». Et vous ne le retrouverez jamais, vous n'avez pas l'énergie, pas la passion, rien à offrir si ce n'est une vie de complexités absurdes.

     

    Peut-être bien que c'est en partie dans les gènes, après tout. Cela fait des mois que vous n'avez pas revu votre mère, toujours à l'asile. Que vous ne répondez même plus à ses téléphones. Que vous vous sentez incapables de réagir face à la personne qu'elle est devenue. Parce que ce n'est plus votre mère, celle avec qui vous aviez trouvé un moyen d'échanger à travers vos lectures communes, les séries et les films, votre amour des histoires qui permettait de communiquer celui que vous aviez l'un pour l'autre. Maintenant, par protection et par lâcheté, vous la fuyez. Cet été cela fera deux ans qu'elle est internée, deux ans que vous savez qu'il va falloir faire un deuil, le deuil d'un esprit formidable, et qui vous pousse à la fuite.

     

    Vous n'avez pas de force. Vous n'en avez jamais eu beaucoup, mais votre énergie disparaît, phagocytée par le désespoir d'une vie normale. Par la volonté de ne pas inquiéter les gens autour de vous, la volonté de ne pas disparaître sans nouvelles, de ne pas leur faire ça. Mais cela devient de plus en plus difficile, l'énergie de plus en plus rationnée. Avant, vous étiez toujours créatif, sur un projet : dessin, écriture, jeu de rôles... Vous ne finissiez rien, mais au moins vous faisiez. Maintenant, cela fait des mois, des années que vous l'avez perdu ; des pages de notes qui ne verront jamais le jour, une incapacité à vous y remettre qui confine à la peur. Et à l'usure.

     

    Vous n'en pouvez plus, mais vous continuez, petit à petit, ou plutôt de plus petit en plus petit. Vous voudriez tellement avoir la force de juste lâcher prise, oublier les derniers efforts, et enfin...Vous n'avez pas envie de mourir, si cela peut rassurer vos éventuelles lectures. Vos pensées sont parfois morbides, mais jamais vraiment noires. Vous aimez la vie, et vous avez envie de vivre ; mais vous ne savez tout simplement pas si la vie est pour vous. Si vous êtes assez solide.

     

    Il y a le vide, qui vous dévore de plus en plus. Le manque, et l'usure, et la solitude, et la tristesse, et la honte de ne pas savoir pourquoi, de ne pas trouver la source, d'être juste...cassé, comme ça, sans raison. La honte quand vous pensez aux gens bien tout autour de vous, et que vous n'arrivez pas à rejoindre au-delà du vide et de la solitude. Pas vraiment.

     

    Un jour, vous en avez l'impression, psychotique ou non, que vous allez vous arrêter. Que l'usure sera trop forte. En attendant...en attendant, il doit bien y avoir un épisode de série ou un jeu à faire non ?

     

    Il n'y a parfois que le vide qui donne l'impression de combler le vide.

  • Les lacets c'est lassant

    Vous avez un rapport particulier avec vos vêtements. Bon, d'accord, dit comme ça, probablement que tout le monde en a un, et que le vôtre n'est certainement pas près de renverser la vision qu'on peut avoir de la mode (1). A bien y penser, sans doute qu'une quantité astronomique de gens ont plus ou moins le même que le vôtre, mais c'est le propre de tout à chacun ou presque que d s'imaginer qu'on est le seul à vivre exactement ainsi cette chose banale du quotidien. C'est probablement une technique pour se l'approprier un peu, ce quotidien. Des milliards de gens arrosent sans doute leurs plantes tous les jours, mais il ne tient qu'à vous que de le faire en vieille pantoufles tout en chantonnant du Bach. Ce qui n'est pas votre cas, déjà parce que vous ne connaissez pas vraiment Bach, et puis parce que Pamela (votre fidèle plante verte) ne s'entretient qu'une fois par semaine (Pamela étant du coup un peu comme une vieille rentière).

     

    Vous parliez de vêtements, donc. Tout un monde rempli de merveilles insoupçonnables et de terreurs innommables, quand les deux ne se confondent pas dans un déluge de forme et de couleurs qui auraient fait pleurer des cubistes, peut-être même jusqu'à leur donner l'envie d'aller se peindre une coupe de fruits toute simple, histoire de reprendre un peu pied avec une réalité qui s'enfile rarement comme une bonne paire de chaussures. Les chaussures étant le point où vous vouliez vraiment en venir. Le reste de votre garde-robe se déclinant en plus ou moins deux catégories distinctes : la pile de t-shirts et de chemises que vos parents achetaient régulièrement avant que vous ne déménagiez pour votre premier appartement il y a quelques années, et qui représentent un florilège aussi sobre que mettable...et la pile de t-shirts que vous avez vous-même amassée par la suite ou que des proches vous ont offerts à différentes occasions, le tout généralement un hommage à quelque chose de geek (ce qui promulgue souvent un excellent bouclier sur lequel faire dériver les conversations avec les inconnus plutôt de se contenter de hocher vaguement la tête en espérant ne faire qu'un avec le mur, qu'ils nous oublient le temps d'aller chercher des chips). Oh, et deux paire de jeans. Tout ceci devrait vous simplifier la vie le matin, et si vous ne passez guère de temps à vous demander quoi mettre aujourd'hui, vous n'êtes jamais vraiment sûr du résultat non plus, vous sentant toujours vaguement mal à l'aise quelle que soit la configuration des habits choisis. Vous enviez terriblement les gens qui ont le sens du style -et vous n'entendez pas forcément par-là celui de la mode, mais au moins le sens de son propre style, celui qui nous convient quoi qu'il arrive- et qui pourraient se rouler comme une loutre au milieu de leur logement pour se retrouver parfaitement drapé de ce qui se sera retrouvé sur le chemin (et qui seraient capables d'en imposer dans leur ensemble couverture en tweed-brique de lait vide-petits pois tout sec oublié sous un recoin du canapé).

     

    Vous, vous vous contentez de ce qui vous vient sous la main, mêlant le tout dans un ensemble bien plus dédié à la pudeur de circonstances qu'un réel éclat vestimentaire. Vous avez tendance à repérer ce qui vous plaît, à espérer très fort que cela ne rend pas aussi mal que vous en avez l'impression, et à porter les mêmes choses encore et encore. Et à ce sujet, cela ne pourrait être plus vrai qu'avec votre vieille veste de cuir-qui-commence-à-avoir-des-petits-trous...et vos chaussures. Les chaussures, c'est bien le pire. Elles représentent un monde qui vous est tellement peu familier que vous avez tendance à y trébucher comme un myope ne retrouvant plus où il a posé ses lunettes (la réponse étant généralement sur votre nez (2)). Chausser vos pieds a toujours représenté pour vous un défi certain : vous ne savez jamais quelle taille vous faites, ça change d'une chaussure à l'autre, ils n'ont pas tout à la fait la même taille (ce qui perturbe grandement votre esprit symétrique), ils ont des soucis de communications et ont tendance à se cogner les uns dans les autres sans même faire de constat, ce qui témoigne en plus d'un manque flagrant d'esprit de civisme.

     

    Et plus encore que le reste de vos vêtements, c'est bien pour ça que vous avez la fâcheuse tendance à porter une paire de souliers qui vous convient autant que faire sur peu jusqu'à ce qu'ils commencent littéralement à se désagréger sous vos yeux. Ce qui commence fâcheusement (à entendre par-là : ça fait au moins deux ans que le processus s'est enclenché) à arriver à vos baskets, à savoir l'une des trois paires que vous possédez actuellement (l'une d'elles étant les fameuses chaussures de sports qui représentent plus le concept de faire du sport un jour que le sport en lui-même. C'est très important.). Vous savez que -et ce que quel quoi leur sexe- il y a es gens pour qui se contenter de trois paires seulement constituerait un affront sauvage et impardonnable non pas tant au bon goût qu'au simple confort raisonnable. Vous n'avez aucune intention de juger les gens qui en ont des placards entiers, même s'ils ne les utilisent pas toutes. Après tout, vous collectionnez bien les bouteilles en verre intéressantes, et vous n'y rebuvez pas. Sans parler des bibelots en plastique qui s'amoncellent un peu partout chez vous, à tel point que vous songez à vous faire enterrer avec tel un pharaon dans son mausolée. Alors franchement, collectionner les chaussures, c'est quand même bien plus pratique, et puis on dit toujours que l'important c'est de se faire plaisir (du moment qu'on essaye de poignarder personne avec les objets de sa collection, ce qui à titre purement hypothétique serait quand même plus facile avec des talons qu'avec des couvercles de crèmes à café).

     

    Tout ça pour dire que vous baskets sont en train de mourir autour de vos petons, révélant à travers un petit trou ici ou une fente là vos chaussettes colorées et apposées de logos divers et variés (vous vous facilitez grandement la vie depuis que vous ne vous contentez plus que de chaussettes noires, ce qui vous donnait l'impression d'être un chercheur d'or en train de tamiser ses pépites lorsqu'il s'agissait de remettre les bonnes ensemble après chaque lessive). Un peu plus, et tel l'un de vos personnages favoris dans les romans de Terry Pratchett, et vous serez capables de reconnaître la rue où vous vous trouvez rien qu'à la texture du pavé sous vos semelles quasi inexistantes (ce qui, vu votre sens d'observation légendaire (3), pourrait devenir un atout, qui sait?). Vous auriez votre permis de conduire et une voiture, vous feriez sûrement la même chose, ne consentant à changer de modèle que le jour où vous vous retrouverez assis dans la ru avec les lambeaux du siège sous les fesses et un volant dans les mains (avec une roue tournoyant quelques mètres plus loin dans la rue, parce que si vous n'avez aucune notion réelle de conduite, vous en avez une plus poussée de ce qui constitue un impératif narratif).

     

    Ce qui vous embête le plus dans tout ça, c'est surtout que cet hiver,vous avez déjà dû, de guerre lasse, changer l'autre paire que vous mettez régulièrement à cette saison, à savoir celle qui est censée offrir une certaine résistance aux intempéries et vous éviter de vous donner l'impression de vous balader avec chaque pied dans un bain public. Vous n'aviez tout simplement pas le choix : c'était ça, ou colmater avec du carton. Fort heureusement, vous n'en aviez pas à disposition, ce qui en dit long sur votre flemme étrange et vos préoccupations pratiques. Vous avez donc bravé le seuil d'un de ces endroits si peu visités : les magasins de chaussures. A noter que quand vous étiez petit -probablement dès l'âge de la marche jusqu'à une douzaine d'années- l'épreuve du magasin de chaussures était pour vous une véritable torture. Pour vos parents, vos sœurs ou toute personne assez innocente pour vous y accompagner, c'était tout autant d'odyssées infernales. Encore aujourd'hui, vous êtes incapables de comprendre pourquoi il y avait en vous un tel dégoût inné, une telle haine primordiale des magasins de chaussure. Les autres vêtements ne vous amusaient pas beaucoup non plus, et rien ne vous ennuyait plus que d'essayer habit après habit dans une cabine d'essayage, mais tout palissant en comparaison de vos réactions au milieu des boîtes en carton renferment tout ces potentialités pédestres. Vous hurliez tandis qu'un adulte à bout vous traînait entre les rayons, passant par toutes les étapes allant de la colère à la supplication en passant par la haine et les menaces (le tout deux ou trois fois dans une série de montagnes russes émotionnelles généralement réservées au montage de meubles suédois), refusant de faciliter la moindre demande. Chaque nouvelle paire à essayer était comme une torture, on aurait cru de vous un condamné à l'inquisition, les grands sur le point de vous passer aux pieds de ces étranges outils barbares à base de leviers et de grosses visses. Et qu'on vous fasse essayer trois paires qui pour vous se ressemblaient toutes, et qu'on vous demande de marcher dans les allées pour voir (encore aujourd'hui, vous avez l'impression d'être un pingouin très emprunté lorsque vous vous dandinez pour le fameux test), et que ça hurle dans tous les sens et que, de guerre lasse, les deux partis finissent par abandonner à la paire qui donne ne serait-ce que vaguement une bonne impression. C'était bien le genre d'événement dont personne ne se réjouissait à la maison, et une telle sortie était alors toujours envisagée comme le fait d'aller à la guerre plutôt que de sortir faire des courses.

     

    Avec le temps, cette angoisse enfantine mâtinée de caprice qui l'était tout autant s'est plus ou moins résorbée. Vous ne vous sentez plus comme un démon dans une église quand la nécessité vous pousse à retrouver le chemin d'un magasin de chaussures. Aujourd'hui, vous vous y sentez plutôt décontenancé (à vrai dire votre état naturel dès votre seuil franchi), intimidé par les rayonnages qui se succèdent sur des piles et des piles de cartons, la musique en fond typique de ce genre de magasin, le côté aseptisé qui vous paraît presque hospitaliers, et les souvenirs tenaces de votre enfance qui persistent tout de même dans un recoin de votre crâne. Vous errez alors de chaussures en chaussures, terrifiés à l'idée qu'un vendeur ou une vendeuse vous demande si vous avez besoin d'aide (vos capacités d'interactions sociales avoisinant également celle du pingouin moyen dans de telles circonstances), essayant sans trop y croire une paire, puis deux. Dans les moins chères possibles bien sûr ; vous êtes capable de vous transformer en véritable harpagon dès qu'il s'agit de quelque chose du genre, transformant mentalement le prix de telle paire de chaussures ou même d'une nouvelle veste dont vous auriez bien besoin en autant de livres et de bons repas. Plutôt que de vous sentir parfaitement à l'aise dans vos baskets (ah ah), vous finissez inévitablement par vous rabattre sur la première paire où le dandinement donne le moindre résultat probant, tout en sachant pertinemment qu'un pied ne s'y sentira pas aussi à l'aise que l'autre, et que les lacets finiront par se découdre trois jours après (ce genre d'événement n'étant pas exclusif aux chaussures : quoi que vous achetiez, vous avez un talent certain pour que trois jours plus tard, l'objet donne l'impression de se léguer dans la famille depuis au moins trois générations. C'est hélas particulièrement vrai à propos de vos livres dès qu'ils sont plongés puis ressortis la première fois de votre sac).

     

    D'ailleurs, les lacets de cette paire de bottines achetée cet hiver, voilà que la semaine qui suivait leur achat ils se retrouvaient déjà pelé d'une couche sur le soulier droit, ce que vous aviez alors constaté avec l'acceptation résignée de celui qui a depuis longtemps réalisé que tout ce qu'il touchait finissait rapidement par se dégrader d'une manière aussi inévitable que la couche glaciaire. Alors maintenant, l'idée de tout recommencer pour aller changer de baskets, voilà qui vous enthousiaste fort moyennement. D'autant que vous les aimez bien, vos baskets ! Elles ont survécu à votre deuxième déménagement, ont plus d'année que doigts sur une main et en sont venus à mouler tellement parfaitement vos pieds (non pas à travers la qualité de leur marque et de leur confection, mais à travers la force brute de les porter quoi qu'il arrive et on verra bien ce que ça donne) que vous pouvez les y glisser comme les en ôter aussi facilement qu'on cligne des yeux ! Mais d'un autre côté, il va bien falloir que vous entendiez raison : il y a un stade où tout ça, ce n'est plus sérieux. Et puis vous ne seriez pas contre éviter ce qui s'était passé avec les baskets précédentes il y a bien des années : à savoir perdre le fond d'une chaussure là, au milieu du trottoir, le pauvre s'étant décollé dans un dernier sursaut d'agonie, ce qui avait rendu le retour relativement peu confortable.

     

    Alors il va bien falloir que vous preniez la décision, que vous fassiez quelque chose, que vous trouviez littéralement chaussure à votre pied, errant entres les rayonnages de la même façon qu'entre les comptes Tinder, espérant vaguement trouver quelque chose qui aille. Jusqu'à la prochaine fois. Et puis vous recomptez en livres, vous vous dites qu'il y a ce restau sympa à tester, et puis bon, ça peut bien attendre un peu, non ? Quand quelque chose va, autant le porter jusqu'au bout du bout, ce serait dommage de le jeter avant. Parfaitement. Voilà. C'en est même plein de bon sens. Vous y repenserez le jour où vous baisserez les yeux pour apercevoir vos orteils entre le rayon des produits laitiers et des surgelés dans le supermarché du coin.

     

    Et vous avez bien un trou à votre veste...

     

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    1. Vous ne verriez pas la mode même si elle se dressait soudain face à vous pour vous asséner des coups de sac sur la tête.

    2. Ainsi qu'à une étrange occurrence, dans le frigo.

    3. Légendaire au sens propre : on en parle beaucoup mais il n'existe pas.